« Me voilà, en costume, pas une once de maquillage et ma coupe de cheveux – et je me dis pourquoi je ne pourrais pas exister dans ce monde de cette façon-là ? »
Quand elle prononce ces mots sur un tapis rouge en août 2018, l’actrice et scénariste ouvertement lesbienne Lena Waithe a bien conscience d’incarner une puissante et trop rare représentation de ce que c’est que d’être une butch.
« Butch », c’est un terme qui désigne une lesbienne perçue comme masculine, par le choix de ses vêtements, par son style, par son attitude, mais aussi par ses hobbys, ou encore son métier. Comme le mot « queer », il a longtemps été utilisé comme une insulte contre celles qui ne rentraient pas dans les codes féminins. De la même façon, il a été récupéré par les personnes prises pour cible, qui en ont alors fait leur propre définition. C’est ce qu’on appelle un retournement de stigmate.
« L’équivalent de butch en France, ce serait camionneuse, mais personne ne se revendique camionneuse », explique Amandine, 37 ans, elle-même butch.
Teresa, 29 ans, s’est aussi approprié ce terme :
« Malheureusement ou heureusement, il faut nommer les choses, sinon elles n’existent pas, donc s’il faut choisir un mot, alors oui, butch, c’est ce qui me correspond. C’est une dénomination qui est liée à l’histoire de la communauté LGBT, mais aussi à ma propre histoire, à mon enfance de marimacho, “garçon manqué” en espagnol.
C’est aussi une façon de proposer une autre masculinité, et en même temps d’explorer un autre type de féminité. »
L’histoire du mot butch puise notamment ses racines dans les milieux ouvriers des années 1930 et 1940 aux États-Unis, où des femmes s’emparent des vêtements de travail habituellement portés par les hommes, comme l’explique Allison Graham dans cette vidéo pour Them :
Être (forcément) visible ou ne pas être
La butch incarne la lesbienne visible sans en avoir vraiment le choix. On sait d’elle qu’elle est lesbienne au premier coup d’œil, elle n’a pas besoin de coming-out, contrairement à celles qui vont recevoir des réflexions étonnées du type « j’aurais pas cru ! » quand elles annoncent qu’elles aiment les filles.
« Dans la société en général, il y a cette idée que toutes les lesbiennes sont des butchs, même quand le mot n’est pas mis », note Amandine.
Une visibilité de fait, qui n’est pas bénéfique pour autant, car en étant visibles, les lesbiennes butchs sont exposées à tous les rappels à l’ordre de notre société hétéropatriarcale, à l’instar des hommes gays efféminés. Déroger aux codes de son genre, se situer en dehors des stéréotypes féminins, c’est risquer de subir des réflexions, voire du harcèlement, des insultes ou des agressions.
Visible, mais très rarement montrée dans les représentations culturelles, la butch n’existe que trop peu à l’écran. « Quand on a la chance d’avoir des lesbiennes dans les contenus mainstream, elles doivent faire plaisir au regard masculin, on doit être séduisantes », s’agace Teresa. Pas de place pour des femmes qui ne sont pas désirables selon les standards hétérosexuels, à quelques exceptions près.
Teresa prend l’exemple de Big Boo, rare personnage de butch qui avait gagné en présence à l’écran au fur et à mesure des saisons dans Orange Is The New Black. Un personnage de butch, joué par Lea Delaria, une actrice tout aussi butch, qui sert de ressort comique mais qui charrie quand même son lot de clichés, comme quand elle harcèle le personnage de Piper.
« Une femme masculine, ça ne fait pas vendre », résume Teresa.
« Moches, pas polies, ringardes »
Mi-juillet, un post Instagram de l’auteur de BD Bastien Vivès nous rappelait qu’il est encore facile (et pas du tout subversif) de se moquer des lesbiennes masculines. Dans une série de strips postés sur son Instagram, il représente un couple. L’une est un archétype de bimbo blonde à très forte poitrine aux yeux écarquillés, qui ne dit pas un mot. L’autre a toutes les caractéristiques de la butch : petite et trapue, sapée comme un homme, cheveux courts et blouson de cuir, elle ne s’adresse à l’autre femme que pour la rabrouer, exprimer sa possessivité et sa jalousie.
Une publication lesbophobe qui a indigné un grand nombre de lesbiennes, pour la (on le suppose) plus grande joie de son auteur. Celui-ci a ainsi bénéficié grâce à leur indignation d’une exposition maximale sur les réseaux sociaux.
Teresa ne cache pas sa colère face à ces dessins qui entretiennent des clichés nauséabonds sur les butchs, déjà trop souvent catégorisées comme « moches, pas polies, ringardes » : « On dit qu’on est des machos, qu’on reproduit des comportements machos, c’est un peu fatigant. » Adopter des codes masculins ne signifie pas adopter une attitude machiste comme si elle était inhérente à l’habit. Et ce serait oublié qu’être butch, c’est aussi subir du sexisme. « En tant que femmes lesbiennes, on n’a pas été éduquées pareil que les hommes, et on a une expression de genre très marquée, que les mecs ne subissent pas. »
Un autre cliché a tendance à l’agacer, celui qui voudrait que les butchs seraient des hommes trans qui n’ont pas encore entamé leur parcours de transition.
Amandine confirme elle aussi ce cliché tenace. Si certains hommes trans ont pu en passer par l’appropriation de cette identité avant d’entamer leur transition, il serait réducteur et faux de ne percevoir l’identité butch que comme un marchepied pour vivre sa transmasculinité.
« Cette idée que l’identité butch est l’antichambre de la transition, ça nous met, nous les butchs, face à des situations où on nous demande parfois “et toi, quand est-ce que tu t’y mets ?” Ça m’est arrivé, alors que je n’ai jamais envisagé de transitionner. »
De façon plus globale, Amandine remarque fréquemment que l’on plaque certaines préconceptions sur l’expression de sa masculinité :
« À partir du moment où on est une femme qui s’habille dans le vestiaire masculin, tout de suite, l’étiquette de non-binarité arrive avec des questionnements sur notre genre. Je trouve que ça nous restreint.
On présume parfois que ça va me flatter de me genrer au masculin. Plusieurs personnes que je connaissais, qui connaissait mon nom, se sont mises à me parler au masculin, parce que je portais une cravate. Quand je porte une cravate, c’est juste parce que je me trouve classe avec ! »
Une butch qui fascine et qui transgresse
Pourquoi l’expression de genre masculine chez une femme déclenche-t-elle la moquerie ou le mépris ? Pourquoi gêne-t-elle encore ?
« La ”masculinité” est vue comme une transgression », résume Stéphanie Arc dans son livre Identités lesbiennes.
« Elle signifie le refus du système des genres. Tout comme les garçonnes des années 1920 qui font couper leurs cheveux, les lesbiennes “masculines”, se définissant parfois comme “butch”, rejettent le rôle que la société impose aux femmes. Elles s’affranchissent ainsi de ces contraintes, de l’obsession des régimes minceur au port de talons d’une improbable hauteur. »
S’approprier le vestiaire masculin dans une démarche esthétique, mais pas toujours, ou en tout cas, pas seulement, rappelle-t-elle plus loin : « D’un point de vue plus pragmatique, certaines femmes trouvent à cette “masculinité” des avantages concrets : d’abord, elles gagnent du temps et se trouvent plus à l’aise. Ensuite, elles se sentent bénéficier d’une plus grande considération sociale, car une allure masculine les autorise à s’imposer. »
Une définition qui fait écho à un récent post de Louise Morel, autrice de Comment devenir lesbienne en dix étapes, qui fait justement référence à la fascination pour les lesbiennes masculines :
Plus loin, Louise Morel développe son analyse :
« Je crois que cette obsession pour les lesbiennes masculines vient aussi et surtout du fait qu’en hétérosexualité, les codes de la féminité sont incroyablement étroits. Comme dans notre société, le masculin a le privilège du neutre, ce qui est perçu comme masculin, c’est tout ce qui sort, même d’un millimètre du cadre de la féminité traditionnelle. Autrement dit : beaucoup de lesbiennes féminines ou androgynes seront lues comme masculines par une personne hétéro. »
Faire siens les codes masculins est parfois toléré, mais à certaines conditions : « Le milieu de la mode et une certaine forme d’élite sociale, peuvent adorer que les femmes jouent avec certains codes du masculin, mais en envoyant des signaux de réassurances », explique Amandine. « Il faut affirmer très fort l’idée que c’est un jeu. »
« On réclame cette visibilité, mais si elle nous fait du mal, on ne préfère pas ! », résume finalement Teresa. Une visibilité à double tranchant, sur laquelle les butchs veulent donc avoir le contrôle pour ne plus subir les clichés ni devoir montrer une facette forcément respectable et qui ne bouleverse pas trop l’ordre hétéropatriarcal.
- L’excellente vidéo de la youtubeuse Agrafe sur l’identité butch :
- Le compte Instagram Butch it yourself
- Ma mère n’est pas Catherine Deneuve, texte écrit par Amandine et publié dans PD La Revue
- La série Gentleman Jack, à voir sur OCS, qui met en scène la figure féministe britannique Ann Lister dont la vie et les conquêtes lesbiennes ont été documentées dans ses journaux intimes.
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Crédit photo : Jakayla Toney via Unsplash
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Les Commentaires
Bah celle qui gagne le plus d'argent et fait le moins de taches ménagères "fait l'homme" hein.
Calquer un modèle patriarcal dans des relations où les mecs ne sont pas impliqués semble obligatoire pour qu'une relation soit légitime ux yeux de la société.