Chère Monica Lewinsky,
J’avais 16 ans quand tu es « tombée amoureuse de ton patron », comme tu dis. Tu en avais 22. Pourtant, personne à l’époque, sur Internet mais surtout à la télévision ou à la radio, ne m’a parlé de ton histoire d’amour. Ils n’ont JAMAIS employé le mot « amour ». À la place, ils ont transformé ton histoire, en juteux scandale.
Monica Lewinsky, la « slut » du président
Tu es devenue une blague, la petite « slut », la pute du président. Je me souviens du cigare, de la robe tachée de sperme. Je me souviens de toi, un peu enrobée, avec ton béret, sous la pluie de remarques désobligeantes et violentes sur ton physique. Clinton n’avait, selon les tabloïds, même pas eu la décence de se choisir une « jolie Marilyn », comme l’avait fait Kennedy, et ma mère acquiesçait : être trompée pour une femme comme… ça ? Sérieusement ?
Puis j’ai oublié cette histoire. Je t’ai vue vendre des produits de régime, puis disparaître. J’ai vaguement eu vent de ta dépression. Mais on m’a poussé à me focaliser sur le courage d’Hillary Clinton, la femme bafouée. On m’a parlé de « pardon », forcée à admirer la dignité du président qui faisait des excuses publiques (alors que c’est un homme, que c’est lui le patron).
Toi tu étais l’autre femme, la maîtresse, la pute de l’ombre, la stagiaire arriviste avec son rouge à lèvres trop écarlate, qui a fait trembler le pouvoir. Tu ne méritais pas l’empathie, c’est ce que tout le monde pensait. J’avais 16 ans, je ne t’ai accordé aucune pensée. Je ne me suis même pas dit « la pauvre, ça doit vraiment être chaud pour elle ».
Le prix de la honte, le TED Talk de Monica Lewinsky
2015. Je me connecte sur Facebook, je partage des vidéos de rongeurs qui mangent des concombres et mes pensées sur « vous devez tous voir Derek ». Soudain quelqu’un partage une conférence TED, Le prix de la honte. J’ai vu ton nom, je t’ai trouvé belle, et j’ai pensé « Tiens, pourquoi Monica Lewinsky sort de l’ombre aujourd’hui ? ».
La claque.
Je t’ai écoutée 5 fois, je crois. Je t’ai entendue, au-delà de ce que j’avais pu imaginer.
Avant de te dire MERCI, du fond du cœur, pour ce discours, qui m’a à jamais marquée, je voudrais m’excuser sincèrement. Ce n’est pas que je t’ai fait personnellement quoi que ce soit, mais mon silence, à l’époque où on te raillait, est pour moi tout aussi offensant que quand Les Guignols se foutaient de ta gueule.
Quel enfer ça a dû être, d’être publiquement humiliée à 22 ans… Ils ont été affreux, et on s’est tous échangé ton histoire en riant, mangeant, trinquant. « Hahaha, elle s’est fait prendre la main dans le sac, ou plutôt la bite dans la bouche ! »
Monica Lewinsky, « patiente 0 du cyber bullying »
Que tu es mal tombée, aussi : comme tu le racontes, tu étais le patient 0 de ce qu’on appellera quelques années plus tard le cyber bullying, ou harcèlement en ligne. On s’est servi de ton image pour faire du clic et vendre, à l’heure où Internet se rodait. Ils ont même payé tes amis pour qu’ils te balancent… et ils l’ont fait.
En une nuit, je suis passée d’une personne privée à quelqu’un d’humilié publiquement partout dans le monde.
Tu as décidé de parler, pour toutes les victimes de harcèlement sur Internet. Pour ces jeunes qui finissent par se suicider, ces stars moquées à cause d’une photo où elles dérapent, pour tous ceux et toutes celles qui ont fait une bêtise un jour. Parce que si l’humain pardonne, il n’oublie pas… et Internet est une caisse de résonance.
Une quête pour positiver sur Internet
Quand je demande des excuses, je cherche à savoir comment je peux me rattraper. Aujourd’hui, tes mots m’ont inspirée, et c’est mon cœur tout entier qui a envie d’aimer.
Depuis quelques temps, sur Internet, j’ai commencé une quête. Une quête pour la victoire du positivisme. Ça ressemble à un régime, mais avec des résultats immédiats ! Je voudrais être gentille, parce que je préfère les gentils. Mais ça n’a pas toujours été le cas : être une « mean girl » ça me semblait un peu cool aussi, un peu rock.
Whitney, dans The Affair, est forcée de s’excuser après avoir harcelé une camarade de classe sur Twitter.
Je crois que j’ai été méchante, parce que j’ai participé au harcèlement dans certains cercles. En taillant, en critiquant des personnes qui a priori ne méritaient ni mon estime, ni mon amour. J’ai adoré les petits ragots,
j’ai collaboré à la mesquinerie sur les réseaux sociaux. Puis il y a quelques années, il y a eu un revirement de situation. De quel droit pouvais-je rejeter la méchanceté, alors que j’étais loin d’être un modèle de gentillesse ?
« L’empathie d’une personne peut tout changer »
Je ne suis pas fière, surtout quand j’ai compris, à mon tour, ce que c’était que d’être la cible de groupes nocifs. La vie est bien faite, elle finit toujours par nous remettre en place ! J’ai appris. Fait le tri. Gardé les gentil•le•s. Je tente de l’être à chaque seconde, et c’est loin d’être simple.
Monica, tu dis que sur Internet « L’empathie d’une seule personne peut tout changer ». Je suis d’accord. Il faut dénoncer le harcèlement, ne pas fermer les yeux sur la méchanceté gratuite, il faut repeindre l’ambiance nauséabonde de négativité sur Twitter ou Facebook par des messages tendres et pleins d’amour.
Il faut partager des vidéos d’animaux qui se font des câlins, des photos d’enfants qui rigolent, des initiatives pour aider ceux et celles qui en ont besoin. Il faut TOUT repeindre. Je veux être un artisan de ce beau chantier !
Chère Monica, au-delà de l’amour que j’éprouve pour toi, je voudrais crier : Monica Lewinsky Présidente !
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This is what happened when we posted Monica Lewinsky's TED Talk