Il semblerait que le terme de Money Slave soit devenu un mot clé comme les autres sur Twitter. Sûrement (en partie) parce que le BDSM est un fétiche très populaire : selon une étude datant de 2022 signée la célèbre boutique Dèmonia et relayée par le magazine Elle, 61,4 % des Français·es s’adonneraient à cette pratique sexuelle. Et elle ne se cantonne évidemment pas au lit conjugal : sur les réseaux sociaux, les comptes de dominatrices professionnelles ont fleuri à toute vitesse ces dernières années, et en particulier celles qui sont spécialisées dans la domination financière. Le principe ? Recevoir sans contre-partie de l’argent de la part d’hommes soumis qui prenant plaisir, dans le cas de relations hétérosexuelles, à payer des femmes dominatrices sans qu’elles aient à lever le petit doigt. Car, comme nous l’explique Maîtresse Claire, travailleuse du sexe à temps partiel, une vraie dominatrice ne va pas chercher ses soumis, ce sont ses soumis qui viennent à elle :
Les Money Slaves prennent du plaisir à vous acheter des choses ou à vous donner de l’argent directement. Une fois, j’ai simplement tweeté que j’allais dîner avec mon conjoint et que je voulais que quelqu’un paye mon restaurant. Quelques minutes plus tard, j’ai eu une notification de virement, sans aucun message de l’émetteur. Les Money Slaves sont excités par le fait d’être purement et simplement dominé, il n’y a rien de physique ou sexuel.
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Dominatrice financière… mais pas que
Le méga bon plan, vous avez dit ? Si cela en a tout l’air, et que le Money Slavering est dans l’imaginaire collectif un moyen de gagner de l’argent facilement, cette idée reçue a été démentie par toutes les Money Mistress que nous avons interrogées. Selon Hélène*, dont le compte Twitter dédié à la domination financière est actif depuis 2019, la soumission financière serait un fétiche plutôt rare, bien que le sujet fasse du bruit dans les médias :
Les soumis qui envoient de l’argent ou font des cadeaux sans rien en échange, il y en a en réalité très très peu. La plupart paient pour une prestation, même s’il n’y a pas de contact physique : nude, photos de pied… Malheureusement, beaucoup de filles, notamment les plus jeunes d’entre elles, ignorent cette réalité et se jettent dans la fosse aux lions, croyant être en terrain connu parce qu’elles ont lu tel ou tel article. Il n’est pas rare qu’elles tombent alors sur des faux profils de Money Slaves qui leur promettent Monts et Merveille mais qui, au final, ne paient pas
Tout comme Hélène*, Lana Nawa, dominatrice depuis 2016, s’est rapidement rendu compte que les hommes à la recherche de domination financière étaient assez rares sur le marché du travail du sexe. C’est pourquoi, en tant que Domina, elle propose des prestations liées plus généralement aux pratiques BDSM :
Depuis que j’ai commencé, j’ai eu seulement affaire à 3 ou 4 Money Slaves. La plupart de mes clients sont des hommes soumis adeptes des pratiques BDSM qui veulent entrer en relation avec des femmes dominatrices. Les Money Slaves sont simplement une pratique parmi d’autres dans le spectre des pratiques BDSM. On peut croire que beaucoup d’hommes sont prêts à donner de l’argent contre rien, mais ce n’est pas le cas.
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De grandes qualités humaines et une lourde charge émotionnelle
L’autre point commun entre Lana Nawa et Maîtresse Claire ? Le goût pour les pratiques BDSM et l’amour pour la domination, sans quoi il leur aurait été impossible de continuer à pratiquer cette activité pendant toutes ces années. Car être Domina, c’est avant tout donner de son temps :
On ne se rend pas compte du travail colossal qu’il y a derrière le statut de Domina. D’abord, nous devons filtrer les demandes, qui arrivent par centaines. Et entre les arnaques, ceux qui fantasment sans jamais passer à l’acte et les déséquilibrés, le tri prend énormément de temps. Ensuite, il faut cultiver sa présence sur internet. Et puis il ne faut pas oublier que, pratiquer la domination, c’est avant tout un travail très cérébral. Il s’agit donc de créer de vrais liens durables avec le soumis. Ces derniers demandent énormément d’attention. Contrairement à ce qu’on croit, être Domina, ce n’est pas se contenter d’insulter les soumis. C’est entretenir des relations humaines avant tout.
Outre le côté chronophage de ce travail à part entière, pour Pascale Robitaille, sexologue et psychothérapeute spécialisée dans le travail auprès des communautés sexuelles stigmatisées dont font partie les travailleuses du sexe et leurs clients, l’exercice du métier de Domina mobilise un large panel de compétences et de qualités humaines insoupçonnées :
Être Domina, c’est créer et entretenir son personnage et être sans cesse créatif. Cela demande une intelligence érotique que peu de personnes ont en elles. Elles font un travail des émotions, qui a une vraie valeur à l’échelle humaine, et cela crée une charge émotionnelle immense. C’est loin d’être un métier facile : si c’était le cas, tout le monde serait travailleuse ou travailleur du sexe. Mais honnêtement, je connais peu de personnes qui ont les épaules pour travailler dans ce milieu.
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Une histoire de genre
Pour cette enquête, nous n’avons été en contact qu’avec des Money Mistress qui parlaient de leur Money Slaves au masculin. Alors, une question nous est venue : existe-t-il des Money Slaves au féminin ? Maîtresse Claire nous a affirmé n’avoir été confrontée qu’une seule fois à une Money Slave au féminin, tandis que Lana Nawa n’a pour sa part jamais eu de demande de la part de femmes en 7 ans d’exercice. Et son avis sur la question rejoint celui de sa consoeur :
Je ne vois pas pourquoi les femmes paieraient pour être dominées financièrement. Elles le sont déjà au quotidien. La domination masculine est partout, et même lorsqu’ils payent pour être dominés, certains hommes arrivent quand même à faire en sorte de décider. Dans ces cas-là, il s’agit d’un faux jeu de domination. En ce qui concerne la question de l’argent plus particulièrement, le fantasme de l’homme soumis financièrement est peut-être une façon pour eux de se décharger temporairement du rôle que la société leur assigne.
Pour Pascale Robitaille, si la rareté des Money Slaves au féminin peut effectivement s’expliquer par la domination financière subie par les femmes dans notre société patriarcale, on peut également mentionner nos rapports très genrés à l’argent :
Les femmes ont un accès restreint à l’argent comparé aux hommes. De plus, on imagine mal une mère prendre l’argent de ses enfants pour l’investir dans sa vie sexuelle. En effet, les femmes ne sont pas habituées à dépenser leur argent pour satisfaire leurs désirs sexuels. Plus de 95% des clients de l’industrie du sexe sont des hommes.
* Le prénom ont été changé
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