Journaliste au Monde Diplomatique, Mona Chollet a récemment publié Beauté Fatale, un ouvrage dans lequel elle dépeint au vitriol « les nouveaux visages d’une aliénation féminine« . L’essayiste suisse, engagée à gauche, y livre son analyse de ce qu’elle appelle « le complexe mode-beauté« , celui-là même qui travaille à maintenir le sexisme au coeur de notre société. Épluchant blogs mode, presse féminine, publicités, témoignages de mannequins, séries télévisées et analyses sociologiques, Mona Chollet montre comment sous le culte de la beauté se cache en réalité une haine de soi.
« En toutes circonstances, même les plus officielles, les hommes, on les écoute ; les femmes, on les regarde« , nous dit Brigitte Grésy dans son Petit traité contre le sexisme ordinaire. Qu’est-ce que cette citation évoque chez vous ?
Le partage des rôles féminins et masculins est effectivement très difficile à infléchir. Globalement, les femmes ont toujours du mal à affirmer leur dimension de sujet : leur droit à avancer des idées, à donner leur avis, à agir, à parler, à écrire, à filmer, sans qu’on les ramène constamment à leur apparence, à leur physique, au spectacle qu’elles offrent. Quand Hillary Clinton était candidate à l’élection présidentielle américaine, en 2007, un chroniqueur de radio conservateur avait lancé : « Qui a envie de voir une femme vieillir jour après jour pendant quatre ans ? » C’était un bon résumé de ce qui est attendu d’une femme : qu’elle soit agréable à regarder. Et en fonction de critères précis, la jeunesse – implicitement valorisée dans une telle déclaration – dénote une personne inexpérimentée, inoffensive, qui ne risque pas d’imposer une personnalité jugée menaçante. En fait, les femmes qui gagnent le plus d’argent dans notre monde sont celles dont on rémunère la beauté et la fraîcheur : les mannequins, les actrices…
Rachida Dati, Marie-George Buffet, Martine Aubry, Eva Joly… nombreuses sont les femmes politiques à avoir les cheveux courts.
Une femme évoluant dans un univers qui a longtemps été réservé aux hommes (l’entreprise, la politique) doit se tenir sur une ligne de crête très mince : elle doit exhiber à la fois des signes de crédibilité et d’efficacité forgés par les normes masculines (coiffure stricte, tenue sobre) et des signes de féminité, sous peine de s’attirer des remarques désobligeantes – et parfois aussi pour se rassurer elle-même sur sa propre séduction, malgré la transgression que représente son intrusion dans un monde d’hommes. On voit bien que pour les femmes politiques jugées trop « masculines », la sanction est immédiate
. Naomi Wolf écrit dans Le mythe de la beauté que le matin, en ouvrant sa penderie, une salariée – ou une femme politique – devrait avoir droit à la présence d’un avocat…
Vous dites que Bernard Henri-Lévy et Arielle Dombasle incarnent « un couple médiatiquement très vendeur » parce que monsieur « pense et pontifie » pendant que madame « danse nue au Crazy Horse et dispense des conseils de beauté« . Que penser de cette banalisation des activités genrées ?
Avec ce couple, on est dans la caricature des rôles assignés à chaque sexe. Et cela plaît : BHL nourrit les médias « sérieux » et Dombasle la presse magazine, les féminins, etc. D’un côté la posture creuse mais vendeuse de l’intellectuel germanopratin engagé, de l’autre la féminité, la frivolité, le luxe, le charme, etc. Chacun, à sa manière, perpétue l’imagerie d’une certaine tradition française. Personne ne voit le problème; en réalité, cela semble plutôt être l’incarnation d’un idéal du couple pour le milieu parisien. Pourtant, les propos qu’a pu tenir BHL dans son livre de dialogue avec Françoise Giroud (Les hommes et les femmes, éditions Plon) sont d’un machisme révoltant, de même que le discours de sa femme dans les interviews – du genre « je m’installais avec un grand intellectuel, je voulais être une bonne ménagère« …
Mad Men, une des séries étudiées par Mona Chollet dans son ouvrage
On pointe souvent du doigt le machisme comme le grand mal de l’inégalité des sexes. Mais les femmes ne s’auto-censurent-elle pas aussi ?
Je pense qu’il y a quelque chose de confortable et de rassurant à rester dans les limites que la société vous assigne. Protester contre ces limites vous expose toujours à passer pour l’emmerdeuse, avec le risque que ça nuise à votre vie professionnelle, amoureuse… Récemment, une blogueuse féministe disait sur Twitter: « Il y a des fois où une bienheureuse ignorance et une unique et totale passion pour le gloss me faciliteraient la vie« . C’est un peu extrême, mais assez juste ! Sauf qu’en même temps, rester sagement dans son rôle expose à toutes les névroses et les frustrations. Ce n’est pas pour rien qu’au cours de l’histoire autant de femmes se sont rebellées… Bref, on dirait bien qu’il n’y a pas de solution: quand on est une femme, on ne peut que choisir entre deux sortes de problèmes…
Au regard de ces constats, quel est votre avis sur la discrimination positive ?
On me pose beaucoup la question depuis que mon livre est sorti, mais franchement, je n’ai pas assez étudié la question pour avoir un avis. Spontanément, je m’intéresse plus à l’analyse des représentations, des rêves et des idéaux dont nous sommes imprégnés, parfois inconsciemment. Il me semble que c’est là que se trouve la clé d’un changement des mentalités.
— Beauté Fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, Éditions Zones
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Les Commentaires
Et puis, surtout merci Mme Chollet