Tout a commencé il y a un an, alors que j’avais 22 ans. Lors d’un gros coup de déprime, j’avais appelé un ami pour aller mieux, parce que souffrir dans son coin, c’est pas bien. Je suis étudiante, et j’habite dans un studio ; le seul endroit pour s’asseoir est mon canapé-lit. Après avoir bien parlé et pleuré, je m’y suis endormie, tard, à côté de mon ami.
C’est la douleur qui m’a réveillée, à cause de sa main qui était en moi.
Je me suis redressée, et après une minute d’immobilité des deux côtés, je lui ai dit de partir. Je crois que j’avais la voix qui tremblait un peu. Il est parti en silence. Je me suis lavée et je me suis couchée. Je ne crois pas avoir très bien dormi, car je me souviens de la nuit et de la lune par la fenêtre.
Sur le moment, j’ai surtout agi par instinct, j’ai juste eu une réaction défensive et de repli en fait. Je ne sais pas si j’ai réalisé, j’étais surtout choquée.
Quelques jours après, j’en ai parlé à un ami, en lui interdisant de prononcer le mot « viol ». Je refusais ce terme, parce que malgré tout ce que j’avais pu lire, je minimisais l’acte que j’avais vécu car ça ne correspondait pas à un certain imaginaire violent que beaucoup de personnes ont. Et je pensais qu’il ne m’avait pas violée ; pour moi, un viol c’était une pénétration avec le sexe.
Le week-end suivant, j’ai vu mon copain qui n’habitait pas dans la même ville, et je lui en ai parlé aussi. Tout comme l’ami auquel je m’étais confiée, il était sonné, et pensait surtout à m’entourer. Il m’a toutefois conseillé d’aller à la police, mais j’ai refusé.
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Instable et perturbée
Mon violeur (appelons-le J.) était dans la même école que moi, et surtout dans la même association que moi au sein de cette école. Je l’ai croisé plusieurs fois. On a parlé de ce qu’il s’était passé, et il s’en voulait apparemment énormément, il s’est excusé. Je l’ai rassuré et je lui ai remonté le moral à plusieurs reprises quand j’étais d’humeur. J’ai fait l’infâme erreur de lui envoyer des SMS. Je pense avoir été vraiment stupide, je passais de la haine profonde à l’affection résiduelle que j’avais pour lui. J’étais complètement instable avec lui, complètement perturbée.
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Je sais qu’à un moment, je lui ai envoyé un message avec des choses du style « Je te hais autant que je t’aime » — ce qui dans le contexte et dans mon vocabulaire sous-entendait bien une affection amicale. Je comprends que ces réactions peuvent paraître étranges ; c’est d’ailleurs l’une des principales raisons qui font que je n’en parle pas, que très peu de personnes sont au courant. Mais pourquoi ne serais-je pas instable à un moment ? Est ce que quand les gens nous font du mal, on arrête tout de suite de leur parler ? Est-ce que pour passer de l’amitié à la haine, il n’y a pas cette période où les deux coexistent ?
Entre temps j’ai vu l’infirmière scolaire, qui m’a elle aussi poussée à aller voir la police, mais de façon plus véhémente. Et au bout d’un moment, les arguments de cette gentille infirmière ont fait leur chemin.
Je pense que si je suis allée voir la police, c’est surtout que j’avais envie d’oublier toute cette affaire, de trouver quelque chose qui y mettrait un terme, qui me permettrait d’avancer. J’essaye toujours de marcher sur mes douleurs, comme si elles étaient des paliers qui me permettaient d’avancer. Ça fait encore plus mal de s’appuyer dessus, mais j’essaye d’avoir la force de les monter, ces saletés de marches.
Premier contact avec la police
Je me suis retrouvée à l’hôtel de police, endroit où je n’avais jamais mis les pieds. Le temps de comprendre, je suis allée voir le policier de l’accueil quand c’était mon tour, et je lui ai dit avec les jambes qui tremblaient : « Je voudrais porter plainte pour agression sexuelle ».
Le jeune policier a eu une réaction très normale, qui m’a rassurée : il m’a demandé de m’asseoir après m’avoir demandé de préparer ma carte d’identité. Je ne sais plus exactement s’il est venu vers moi ou s’il m’a demandé de revenir au guichet, mais il m’a dit qu’une femme allait arriver dans un délai de moins d’une heure pour m’écouter. En attendant, j’ai bouquiné un livre pour mon mémoire.
La personne est arrivée, elle m’a appelée et m’a serré la main, puis emmenée dans une petite pièce avec un bureau, mais sans fenêtre. Il y avait deux portes, celle par laquelle je suis arrivée, et une autre en face, par où un policier est entré après que j’ai été un petit moment seule. Il a pris ma carte d’identité pour noter mon nom, et il m’a demandé de raconter mon histoire.
Peu de temps après, il est reparti et est revenu avec quelqu’un d’autre. Je crois que c’était une femme, mais je ne suis plus très sûre. J’ai tout raconté une nouvelle fois, et ils m’ont reposé des questions.
Ils ont fini par me dire que ce n’était pas une agression sexuelle mais un viol, et ils m’ont donné le nom et le numéro d’une personne en me demandant de l’appeler pour porter plainte. Quand je l’ai appelée, elle m’a donné rendez-vous une semaine après, et elle m’a dirigée vers l’assistante sociale de la police, qui m’a donné un prospectus sur une association d’aide aux victimes.
Je me suis donc d’abord rendue dans une petite maison de ville, dans mon quartier, pour y voir la psychologue de cette association, qui m’a expliqué qu’elle travaillait là bénévolement.
C’était très étrange avec la psychologue, parce que je pensais qu’elle allait avoir des paroles qui apaiseraient les boules que j’avais dans le cœur et l’estomac constamment, alors qu’elle a en fait passé l’entrevue à m’exhorter d’être furieuse, d’être en colère contre J., me disant qu’il méritait vraiment que je porte plainte. J’avais l’impression qu’elle était plus en colère que moi. J’avais de mon côté compris que porter plainte était une démarche que je faisais pour moi, et pas pour punir quelqu’un d’autre.
La seule chose que je trouvais agressive et cruelle en moi, c’était le désintérêt pour ce qui allait arriver à J. C’était assez étrange du coup, ce fossé entre ce qu’elle me disait et ce que je lui disais. Par contre, elle m’a dit que je devais arrêter de me sentir coupable ou responsable : ça, c’était vraiment cool, et ça m’a aidée.
Puis elle m’a expliqué que je devais prendre rendez-vous avec la médecine des étudiants pour continuer les séances de psy, parce qu’en tant qu’étudiante j’avais droit à des séances gratuites : je n’avais donc pas besoin de leur association.
Porter plainte
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La semaine suivante, je suis retournée à l’hôtel de police pour déposer ma plainte. J’ai attendu un peu, puis le cher policier dont je veux vous parler est venu me chercher pour me faire traverser tout le bâtiment jusqu’à son bureau. J’ai dû croiser la moitié du commissariat, et il a dû plaisanter avec pas mal des gens qu’on a vus.
Il m’a ensuite installée dans un bureau où ils étaient deux. Je me suis assise au coin d’un bureau, pratiquement au milieu de la pièce, me sentant très petite. Il s’est présenté et il m’a présenté sa collègue, qui travaillait à ses affaires de brigade des mœurs.
Dans ce bureau, plusieurs choses m’ont marquée, et dérangée.
Sur le mur que je voyais en face de moi, derrière eux, il y avait un cadre avec plein de photos de gens, un cadre « entre potes » avec « Brigade des mœurs » dessus et surtout des dessins de pénis et d’autres trucs un peu bizarres dont je me rappelle moins. Mais ce qui m’a franchement rendu très mal à l’aise, c’est une affiche comme on en voit devant les cinémas, et qui prenait environ un quart de la largeur de la pièce :
Moi qui avait vu cette série, ça ne m’a pas vraiment emballée de voir cette image en face de moi pendant qu’on m’interrogeait. Je crois que c’est ce qui m’a le plus dérangée.
J’étais donc assise sur une chaise face à cette image, sans avoir de place sur le bureau pour poser mes mains ou mes bras. Au lieu de regarder le mur, j’ai regardé la couronne de l’Avent qui trônait juste devant moi.
Le policier m’a posé beaucoup de questions, bien plus gênantes que tout ce qu’on m’avait demandé auparavant, mais je m’y attendais (même si je n’étais pas vraiment préparée) : il voulait des détails, c’était normal. Mais pendant ce temps-là, la collègue a passé un coup de fil, et laissé un message vocal : « Bonjour, c’est X. de la brigade des mœurs, vous pouvez venir récupérer votre culotte, on a fini de faire les analyses dessus, rappelez-moi ! », avant de râler contre cette personne qu’elle n’arrivait pas à joindre.
Et puis il m’a aussi demandé comment se passait ma vie sexuelle depuis. Il s’avérait que le week-end juste avant, j’avais eu une relation avec mon copain, et que j’étais très heureuse d’avoir pu, à nouveau, que ça m’avait fait du bien.
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Mais ça ne lui a pas plu, parce que du coup, il ne pouvait apparemment pas me faire examiner.
Contrairement à l’attitude neutre que j’avais rencontrée précédemment, j’avais l’impression de devoir convaincre le policier, qu’il doutait. Il m’a dit que sans l’examen, sans preuves, c’était ma parole contre une autre. Je lui ai dit que la personne en question avouerait sûrement les faits, vu qu’elle s’était déjà excusée. Je lui ai d’ailleurs aussi parlé des comportements instables que j’avais eus avec J. avant de venir à l’hôtel de police.
Il a fait une tête bizarre. Il a commencé à s’énerver. Avec des mots durs, il a dit que si je portais plainte, ça aurait des conséquences lourdes, que je devais aller jusqu’au bout et ne « pas le lâcher ou laisser tomber en plein milieu », comme ça venait de lui arriver ; ça le foutait vraiment dans la merde et ça l’énervait.
Je lui ai demandé de m’expliquer exactement les conséquences d’une plainte, parce que jusqu’à présent, je n’en savais rien. Je ne m’étais pas renseignée avant, c’était mon tort. Mais personne ne m’a expliqué, donc je ne me posais pas vraiment de questions. Il m’a expliqué que c’était le procès, avec avocats, prison pour le garçon et une grosse amende (je me souviens pas des chiffres précis).
Et là, je me suis mise à pleurer. Parce que je ne voulais pas infliger ça à qui que ce soit. Et que je ne me sentais pas la force de faire tout ce chemin toute seule. Et surtout, comme j’ai expliqué plus tôt, je voulais faire tout ça surtout pour moi, pas pour « punir ». Donc je ne voulais pas être responsable de l’emprisonnement d’une personne que je connaissais bien, et que, pas longtemps avant, je considérais comme un ami.
Il ne l’a pas bien pris. Il a dit que dans ce cas, ça ne servait à rien que je sois là. Il m’a dit que si je n’étais pas sûre de vouloir le faire, c’était mieux que je ne commence pas, pour ne pas lâcher en plein milieu. Je ne sais plus d’où c’est venu, mais il en est arrivé à m’expliquer que je pouvais aussi poser une main courante, mais que généralement ça ne faisait pas pour les viols. Moi, je ne savais même pas ce que ça voulait dire…
Il m’a expliqué que c’était sans poursuites judiciaires, mais que ce serait quand même inscrit dans le casier judiciaire de J. Du coup j’ai dit que ça me conviendrait mieux. Et il a donc écrit, en récitant à voix haute, un résumé de ce que j’avais dit. Puis il m’a demandé de lire et de confirmer. J’ai essayé de lire convenablement, et vite, à moitié penchée sur le bureau, sur l’écran qu’il avait tourné pour que je vois.
« Le dépôt sur main courante est une simple déclaration d’un particulier.
C’est un moyen pratique pour dater des événements d’une certaine gravité mais qui ne sont pas à eux seuls caractéristiques de la commission d’une infraction. »
Contrairement à ce que le policier a dit à cette madmoiZelle, la main courante n’apparaît pas dans le casier judiciaire de la personne concernée ; d’ailleurs les « personnes impliquées dans les déclarations ne sont pas nécessairement averties par les forces de l’ordre du dépôt de la main courante.
Mais son enregistrement peut quand même constituer un début de preuve dans une procédure ultérieure, notamment s’il est suivi d’une vérification des faits par la police ou la gendarmerie. »
Le viol est considéré comme un crime, et toujours selon le site de l’administration française, la victime dispose d’un délai de 10 ans pour porter plainte. La plainte est quant à elle :
« l’acte par lequel une personne qui s’estime victime d’une infraction en informe le procureur de la République, directement ou par un service de police ou de gendarmerie. Elle permet à la victime de demander à l’autorité judiciaire la condamnation pénale de l’auteur (peine d’emprisonnement, d’amende…). La plainte peut être déposée contre une personne identifiée ou contre X, si l’identité de l’auteur des faits est inconnue. »
De plus, « La réception de la plainte ne peut pas vous être refusée ».
J’ai confirmé, il a validé et imprimé une feuille que j’ai encore, qui confirme que j’ai posé une main courante dans la catégorie « divers ». Je l’ai signée, et je crois qu’il en a aussi un exemplaire. Il m’a demandé si je voulais qu’il demande à J. de se présenter à la police, devant lui, pour qu’il lui fasse « la morale » et qu’il puisse se défendre. C’était à moi de décider qu’il le fasse convoquer ou non. J’ai décidé que oui, me disant que ça le marquerait peut-être assez pour qu’il ne recommence pas. Il m’a demandé son numéro de téléphone, que je lui ai donné. Puis je suis partie.
Le soir-même je crois, ou pendant la nuit, j’ai envoyé à J. un message : « je suis désolée ». Quand je vous disais que j’étais instable…
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Un policier qui a tout aggravé
Le lendemain, je suis allée me balader dans le centre de ma ville avec un ami. Sur le chemin du retour, alors que nous étions dans le tram, j’ai reçu un appel d’un numéro inconnu. J’ai décroché, c’était le policier que j’avais vu la veille :
« C’est X de la Brigade des Mœurs, j’ai monsieur J. devant moi. »
J’ai commencé à trembler un peu, et je lui ai dit que j’étais dans le tram et que je ne l’entendais pas très bien. Il a répondu, sèchement, « Je vous entends bien, ne vous inquiétez pas ». Au ton de sa voix, j’avais surtout compris « Arrêtez de me raconter des salades, restez au téléphone avec moi ». Il a continué :
— Donc j’ai monsieur J. devant moi et j’aimerais vous demander si vous vous êtes foutue de moi. — Non, pourquoi ? — Parce que j’ai le téléphone de J. dans la main, et vous lui avez envoyé plusieurs SMS, dont « Je t’aime autant que je te hais ». Vous m’avez menti hier en me disant que la relation d’amitié était claire entre vous ! Je ne sais pas à quoi vous jouez avec votre ami là, mais vous avez de la chance que je ne porte pas plainte ! D’ailleurs je devrais porter plainte contre vous deux : mentir à la police, c’est grave ! Je vais pas le faire, mais vous savez que toutes les mains courantes sont relues, et si ça semble louche, on peut porter plainte contre vous deux. Franchement, vous êtes tous les deux malades, je lui ai dit de ne plus vous parler, vous devriez vous faire soigner, allez voir un psy !
Ce à quoi je me suis retenue de répondre « Va te faire foutre », mais avec la même émotion j’ai répondu « Merci, c’est déjà le cas, au revoir ». Il a répondu « Au revoir », et j’ai raccroché.
Et là, je suis descendue au premier arrêt de tram, je me suis accroupie dans un coin parce que mes jambes tremblaient, comme tout mon corps, et que j’ai cru que j’allais vomir tellement je paniquais et pleurais. Heureusement j’avais quelqu’un de génial à côté de moi, qui m’avait vu me décomposer petit à petit pendant le coup de fil, à qui j’ai du coup tout raconté et qui m’a aidée à rentrer chez moi.
« Entre 2010 et 2012, 83 000 femmes sont victimes de viols ou tentatives de viols par an (0,5% des femmes). 83% d’entre elles connaissent leur agresseur :
- 31% des auteurs sont connus mais ne font pas partie du ménage de la victime ;
- 31% des auteurs sont les conjoints vivant avec la victime au moment des faits ;
- 21% des auteurs font partie du ménage mais ne sont pas le conjoint ;
- 17% des auteurs sont inconnu de la victime.
11% des victimes seulement portent plainte, et 13% déposent une main courante. »
Presque 90% des violeurs ne sont donc pas poursuivis suite au crime qu’ils ont commis.
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La peur et la culpabilité au ventre
Peu de temps après, j’ai croisé J., et je lui ai demandé pourquoi il lui avait montré nos échanges. Il m’a dit que le policier lui avait demandé si on avait eu des contacts entre mon rendez-vous à l’hôtel de police et sa convocation. Il a dit oui, et le policier lui a donc demandé le téléphone pour voir. Il a ensuite lu tous nos échanges, sans demander à J. Pour ensuite m’appeler, en haut-parleur, alors qu’il était à côté.
J. m’a remerciée de ne pas avoir porté plainte.
Je n’ai rien fait contre le policier parce que j’avais l’impression d’être en tort. Et j’avais peur, ça m’a fait pas mal paniquer. Je me suis surprise cet été-là à ne pas vouloir adresser la parole à un policier lambda.
Mais j’ai réalisé que c’était le policier qui était en tort quand j’en ai parlé avec l’infirmière, qui était complètement choquée. Et qui « après en avoir parlé avec son mari, mais sans dire mon nom », m’a dit que lui non plus ne trouvait pas ça normal. Elle m’a juste conseillé d’en parler à une psy. Je pense qu’elle avait ce même sentiment que moi qui est « on n’y connaît rien, lui c’est son métier, il a forcément raison, ou même s’il a tort, c’est lui qui aura raison ».
Je suis allée voir la psy de la médecine étudiante après, et même si je lui ai dit pourquoi je suis venue, je n’ai jamais vraiment abordé la question avec elle. Puis j’ai arrêté les séances en fin d’année scolaire.
En fait, je n’ai juste plus envie d’avoir affaire à la police, j’ai peur que ça se retourne contre moi.
Je suis bien consciente des soucis que peuvent rencontrer les policiers au quotidien ; il y a des policiers dans ma famille, et l’un d’entre eux a carrément travaillé dans le même hôtel de police. Je suis donc bien consciente du manque d’effectifs et de l’ambiance, mais de là à dire que cela excuse, ou ne serait-ce qu’explique le ras-le-bol du policier que j’ai vu et son attitude hautement irrespectueuse avec moi… je ne pense pas.
Et après ?
En fin de compte, je n’ai jamais eu de contact ni de nouvelles de la police ou de quoique ce soit de judiciaire. Mais j’ai longtemps eu peur. J’ai fait de nombreuses crises de panique. Puis je me suis dit « Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ».
J’ai décidé de témoigner ici pour pouvoir dire plus facilement ce qui m’est arrivé à mes proches, parce que je n’arrive pas à en parler. Les seules personnes vraiment au courant sont mon copain, l’ami à qui j’en avais parlé, et celui qui m’a vu violemment paniquer.
En début d’année J. est revenu une fois à l’association, mais j’ai fait une petite crise de panique (encore), et du coup quelqu’un lui a demandé de ne plus venir. Il redouble, donc je ne risque plus de le croiser cette année, ou en tout cas beaucoup moins.
J’ai complètement arrêté les échanges de textos après la discussion avec le policier. Malgré la panique, ça m’a quand même aidée à dépasser cet état précédent. Parce que je m’étais prouvé que j’étais assez forte pour avancer, qu’il n’y avait pas que ça dans la vie, et que j’avais d’autres chats à fouetter que de me soucier de sa personne. Et surtout, « j’avais fait quelque chose », j’avais agi. La prise de position d’aller voir la police, décision que j’ai prise seule (et j’y suis allée seule à chaque fois), ça m’a aidée.
Mais c’est l’acte en soi qui m’a aidée, certainement pas la manière dont ça s’est passé. À part en ce qui concerne les autres policiers, qui eux n’étaient ironiquement pas de la brigade des mœurs ; ceux que j’avais vu en premier ont en quelque sorte « posé » l’affaire par leur neutralité, leur professionnalisme. Cela m’a permis de faire le point, d’enfin mettre fin à mon instabilité ; ça a « calmé » les torsions que j’avais en moi. Le fait que J. ait été convoqué, malgré les conséquences que cela a eu, a aussi mis un terme à cette histoire.
Mais sans cet appel du policier, tout aurait été beaucoup plus « fini ». Ma peur a juste prolongé, et prolonge encore, la guérison de cette histoire. La psychologue que j’avais vue avait été bénéfique, en me montrant que je n’étais pas responsable ni coupable, et lui il a tout renversé, en ajoutant une autre culpabilité par-dessus : celle d’avoir en plus commis un crime en allant le voir !
Au lieu de mettre définitivement un terme au viol, cette épée de Damoclès sur la tête fait qu’au lieu de pouvoir vraiment tourner la page, j’y ai repensé beaucoup plus/trop souvent. Ça a ralenti tout le processus de guérison que j’avais voulu mettre en place.
Aujourd’hui je vous raconte tout cela parce que je veux juste agir et avancer. Et en parler, ce qui fait un sacré changement !
« Plus les témoignages seront nombreux, et plus ils permettront d’avoir un état des lieux représentatif. Ensuite, Les Dé-chaînées comptent interpeller les ministères de l’Intérieur, des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, ainsi que de la Défense.
Vous pouvez répondre et relayer cette enquête autour de vous ! Souvenez-vous : 154 000 personnes ont été victimes de viol en France en 2012, seules 10% portent plainte. Il y a de fortes chances pour que certaines de ces victimes silencieuses fassent partie de votre entourage. »
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Les Commentaires
J ai aussi été victime quand j avais 7 ans... Et j ai aussi ressenti ces soupçons de la part des policiers. Avec une copine nous nous étions faites attouchées par un garçon de 16 ans dans notre lotissement. Par peur nous n avions pas dit non (a 7 ans). Mais on a été choquees. Nous avons porté plainte 2 ans plus tard quand nous avons enfin osé le dire à nos parents. Et le policier qui m a interrogée n a pas arrêté de remettre ma parole en question "c est bizarre, ta copine ne nous a pas donné cette version", "elle a dit que c était toi qui t était échappée en premier et toi tu me dis que c est elle" enfin que des trucs comme ça qui m ont fait me sentir hyper coupable et hyper mal a l aise. J avais l impression d être une petite menteuse. Pourtant je n avais que 7 ans au moment des fait et 9 au moment de la plainte. Donc je veux meme pas imaginer l.horreur pour la madmoizelle qui témoigne et va porter plainte à l âge adulte. Parce que si ils sont capables de faire culpabiliser des enfants, je veux meme pas imaginer ce que ça donne sur une jeune femme... Courage en tout cas