Avant d’écrire ça, je tiens à me préciser que je ne sais pas où ça va me mener et ce qui va en sortir, mais je note ici en Arial douze que j’assume l’intégralité des conséquences de cette confidence sur ma future vie.
Quand j’avais seize ans, j’ai vécu quelque chose dont je n’ai presque pas parlé. Avec le temps et l’expérience, je comprends pourquoi je l’ai gardé secret mais aujourd’hui si c’était à refaire, je ferais tout autrement.
Ma vie sexuelle avait déjà commencé depuis quelques années mais je n’avais jamais eu de copain plus de trois semaines. Alors quand mon père m’a parlé du fils d’un de ses bons amis qui avait mon âge et qu’il m’a proposé de le rencontrer, j’ai accepté avec l’espoir qu’il serait mon Prince Charmant. Nos parents étaient amis de longue date, on s’était déjà vus enfants et je me sentais en confiance.
Le fils de l’ami de mon père, ce bourreau
Je le rencontre donc en tête-à-tête, comme prédisposée à l’embrasser et à entamer avec lui une histoire d’amour. Ce soir-là, on s’embrasse tendrement et nous décidons de nous revoir le lendemain. Le lendemain, on couche ensemble. Tout comme je l’avais imaginé, tout comme j’avais vu dans les films d’amour cheesy.
Et tous les week-ends j’allais chez lui, et on passait de bons moments ensemble. Mais son comportement sexuel devenait de plus en plus inhabituel.
Il me raconte qu’un jour en essayant de télécharger un film de Disney, il était tombé sur un film pornographique, et que depuis ce jour-là, il en regardait souvent. Et plus nous entrions dans une relation intime et amoureuse, plus il allait chercher son inspiration dans le porno.
Au début c’était discret, quelques positions acrobatiques et peu confortables, puis c’est devenu plus fréquent et fort. Il insistait pour me sodomiser, me proposait des plans à trois avec son ex, et n’arrêtait pas de parler de mes fesses et de mes seins à ses amis.
Il se vantait de mes formes à qui voulait bien l’entendre, au point qu’un jour il a soulevé mon t-shirt devant un de ses copains pour bien montrer que mes seins avaient beaux être petits, ils étaient beaux.
Plus jeune, je m’étais dit que le sexe, c’était avant tout pour les garçons. Je n’arrivais pas à jouir avec lui, parce que je ne me sentais pas légitime de le faire. Toute seule en revanche, je me connaissais très bien mais jamais il ne me serait venu à l’esprit que je pouvais lui demander de me satisfaire.
Je le laissais donc faire ses expériences avec moi sans rien dire, parce que c’était « normal » dans mon esprit. Je me disais que quand on est en couple, on doit accepter ce genre de choses par amour et pour contenter l’autre. Mon contentement à moi, je m’en fichais éperdument.
Le soir où c’est arrivé
Il avait organisé une soirée chez lui. C’était probablement la première fois que j’étais à une soirée alcoolisée. Des gens fumaient des joints dans un coin d’autres s’enfilaient des shots, je me sentais si grande, en couple comme une adulte, en train de transgresser les règles, sans parents, sans interdictions.
La soirée battait son plein quand il m’a proposé de fumer un joint et de prendre un verre de vodka. J’ai refusé parce que je n’en avais pas envie. Puis ses potes très éméchés sont venus et à trois ils ont tout fait pour me convaincre. « Allez, c’est drôle tu vas voir », « Il paraît que faire l’amour défoncé ça décuple le plaisir », « Fais pas ta prude », et de fil en aiguille je me suis retrouvée à tirer sur ce pétard un verre de vodka dans les mains.
Presque immédiatement j’ai commencé à me sentir mal. Consciente mais très affaiblie par cet état que je ne connaissais pas, je me suis allongée dans la chambre de mon copain à l’abri des regards. J’avais froid et chaud et je n’arrivais pas à me calmer.
Puis j’ai entendu la porte de la chambre s’ouvrir. J’ai vu mon copain me regarder, et il est entré avec ses deux amis. Ils chuchotaient et je n’ai pas entendu ce qu’ils ont dit. L’un d’eux est venu sur moi, et a glissé sa main sous ma chemise. Je l’ai repoussé une fois, puis deux, j’appelais mon copain à l’aide, et j’entendais « Mais non, ça va regarde, c’est bon ».
Son autre ami s’est approché et ils ont commencé à me déshabiller. L’un d’eux a essayé de me mettre son pénis dans la bouche mais comme il n’arrivait à rien, je l’ai entendu dire « Tu lui en as trop mis elle est bonne à rien dans cet état ».
Complètement nue, prise de panique et dans un état que je ne savais pas du tout contrôler, les deux garçons m’ont pénétrée à tour de rôle, pendant que mon copain riait de bon cœur et se masturbait.
« Je t’aime »
Quand ils m’ont enfin laissée tranquille, mon copain s’est glissé à mes côtés dans le lit, et m’a dit « Je t’aime » avant de s’endormir lourdement. Je n’ai pas fermé l’œil pendant que je retrouvais mes esprits, et au petit matin je suis allée vomir tout ce que j’avais dans le corps.
Quand il s’est réveillé, il m’a demandé si j’avais aimé ce qui s’était passé la veille. Pétrifiée devant lui, je lui ai dit que je n’avais aucun souvenir. Il m’a dit que j’avais abusé de boissons et que j’étais vraiment chaude quand j’étais éméchée.
Je suis rentrée chez moi comme vidée de toute espèce de vie. Quand ma mère m’a vue, elle m’a demandé si j’allais bien. Devant elle, qui s’était fait violer par un inconnu quelques années auparavant, je n’ai rien dit, parce que je ne voulais pas l’inquiéter.
Quelques jours après, je suis allée voir mon père. En pleurant, je lui ai dit que le fils de son ami était allé trop loin. Il m’a regardée et a froidement changé de sujet.
Honteuse de ce qui m’était arrivé, souillée par la pensée de cette nuit-là, j’ai avalé mes larmes et j’ai décidé de ne le dire à personne. C’était mon secret, et je me disais que moins j’y pensais, moins ça aurait une conséquence sur ma vie.
Puis est venue la colère
Quelques mois après cette histoire, et du haut de mes seize ans, j’avais tellement de colère en moi que j’ai tenté d’en faire baver à tous les hommes qui allaient croiser ma route.
Dès que je voyais un garçon, je faisais tout pour le séduire, pour qu’il ait envie de moi. Et juste avant de passer à l’acte je le laissais là, seul. J’avais besoin de les affaiblir en les mettant dans une position qui pour moi était la plus primaire et la plus dégoûtante : l’excitation. Et une fois excité, je fuyais volontairement. C’était terrible à vivre cette envie de vengeance, que tous les mâles de l’espèce humaine étaient responsables et capables de faire du mal comme on m’avait fait du mal.
En grandissant, cette envie de me venger s’est éteinte complètement. Et un an après cette histoire je tombais amoureuse de ma première copine. J’ai découvert le sentiment brûlant de désirer quelqu’un, j’ai découvert l’orgasme à deux, j’ai découvert que parfois le sexe ça ne fait pas du mal, et j’ai su que je pouvais aimer inconditionnellement.
La peur de l’alcool
Mais j’ai découvert une peur que j’ignorais jusque-là et que j’ai mis du temps à expliquer. La peur de l’alcool et de son effet chez les autres.
Dès que je me trouvais en face de quelqu’un qui avait bu, j’étais terrifiée. L’articulation approximative, l’haleine, l’odeur que dégage la peau, la démarche chancelante, et parfois même le vomi, tout ça me faisait tellement peur que si j’étais confrontée à une personne dans cet état, je somatisais pendant plusieurs jours. Ça allait de l’ami proche, à un simple individu dans la rue, homme comme femme, à chaque fois j’étais prise d’une peur panique.
Je me suis longtemps cachée derrière le fait qu’une phobie n’est pas forcément rationnelle. Quand on me demandait si c’était parce que j’avais un passé houleux avec l’alcool, je répondais agressivement que non, et que c’était juste un dégoût constant, un point c’est tout. J’évitais les soirées, je fuyais les foules, et je me ménageais autant que possible. Bien entendu, je ne buvais jamais, ou vraiment à peine. J’étais sans cesse en contrôle de mon état.
Sexuellement, j’avais compris que le sexe n’était pas un privilège et que si j’avais envie, j’avais le droit d’en profiter aussi. J’ai appris à connaître mon corps et mes goûts en multipliant les rencontres.
J’avais réussi à oublier mon viol, à avoir des amourettes, des histoires sans lendemain, à pardonner le choix que mon père avait fait d’ignorer mon appel à l’aide, et je me disais que vraiment, c’était mieux comme ça.
Si j’avais réussi à surmonter mon traumatisme physique, je n’en demeurais pas moins traumatisée en soirée. Impossible de rentrer trop tard chez moi de peur de croiser quelqu’un qui avait abusé de l’alcool. Impossible de sortir avec mes amis. Impossible d’embrasser quelqu’un qui avait bu, ne serait-ce qu’une bière.
Mais à force d’avoir voulu autant que possible oublier mon viol, je n’avais pas compris que c’était de ça que résultait ma peur de l’alcool, ma peur de l’état second incontrôlable.
Le secret total
À l’époque, personne ne savait rien de cette histoire : ni mes amis les plus proches, ni ceux que j’aime le plus, ma mère, ma famille.
Quand je m’imaginais en parler, je ne voyais vraiment pas comment faire. Est-ce que je dois asseoir mon interlocuteur comme si j’allais lui annoncer la nouvelle du siècle ? Non, je ne voulais pas de pitié, de compassion, je m’en étais sortie toute seule, et maintenant c’était trop tard, rien ne pouvait effacer mon viol mais pour rien au monde je n’aurais laissé cette histoire ressortir en plein jour.
Sauf qu’il y a quelques mois, je passais une excellente soirée avec quelques amis, et pendant le dîner, on parle de nos expérience avec les drogues. Chacun y va de sa petite histoire, de son anecdote amusante, puis quand vient mon tour, je dis que je n’ai fumé de joint qu’une seule fois dans ma vie. Pourquoi, me demande-t-on. « Parce que quand j’avais seize ans, j’en ai fumé un et je me suis fait violer par deux amis de mon copain devant lui ».
Ce jour où j’ai lâché la bombe
Le bombe venue de nulle part était lâchée. Le moment était gênant mais après quelques secondes, j’ai ressenti au fond de moi une sorte de liberté, un petit soulagement terriblement agréable. Deux de mes amis m’ont regardé droit dans les yeux, et comme une piqûre j’ai compris.
Je me suis rendue compte de tout. Je ne buvais jamais pour pouvoir me contrôler et ne jamais plus me retrouver dans un état où je n’étais pas en possession de l’intégralité de mes moyens.
J’avais peur des gens alcoolisés parce que ces garçons qui m’avaient agressée étaient passablement bourrés. Et ce silence pendant des années avait comme installé une sorte de boîte sous pression au fond de moi. Et là, trop de pression, tout sortait. Bout par bout.
J’ai compris aussi que je ne pourrais jamais l’atteindre lui. Que je n’aurais jamais ses excuses, que sa vie n’avait pas été bouleversée comme la mienne et que ce ne serait jamais le cas.
Et de la même manière que j’ai pardonné à mon père sa bêtise et sa maladresse, j’ai pardonné à ce garçon. Je lui ai pardonné et je me suis pardonnée, j’ai accepté que cette histoire ne disparaîtrait jamais. Je me suis pardonnée de m’être fait du mal en taisant ma peine et ma peur.
Aujourd’hui je suis sereine, je suis en train de comprendre que quand on attend des excuses pour avancer on avance avec un boulet de six milles tonnes aux pieds.
Let It Go
J’ai laissé mon traumatisme à mes seize ans, ma colère à mes dix-sept ans, et je ferai tout pour laisser ma peur le plus tôt possible. Si j’ai tiré au moins un bon conseil de Frozen, c’est bien « Let It Go ». Aujourd’hui, je fais le maximum pour me débarrasser des poids qui m’ont trop souvent retenue de vivre comme j’en avais envie.
J’en ai parlé à la plupart de mes amis aujourd’hui, et toujours en le glissant dans la conversation parce que je n’arrive qu’à le dire comme ça, pour dédramatiser, parce que la dernière chose dont j’ai besoin c’est de drame dans cette histoire.
Je ne compte pas en parler à ma mère, en tout cas pas immédiatement. Mon père continue à voir le père de ce garçon, et quand je le croise, mon corps se serre de moins en moins.
Mais peu à peu je libère cette histoire. Je crois ne jamais l’avoir racontée en entier, avec des détails, parce que revoir ces scènes dans ma tête ça me fiche des frissons.
Si j’avais pu faire autrement…
Si j’avais pu faire autrement, j’aurais porté plainte. J’aurais pris le risque d’être jugée, de décevoir, de choquer. J’aurais pris le risque d’être obligée d’en parler, plusieurs fois, mais au moins j’aurais immédiatement crevé l’abcès. Je n’aurais peut-être pas eu peur, peut-être que si, mais j’aurais reçu de l’aide au moins.
J’aurais porté plainte parce qu’aujourd’hui, je me dis que pas mal de personnes vivent normalement après avoir fait quelque chose d’aussi terrible et que plus on luttera contre ça, moins on se taira, plus on aura de chances de vaincre la peur.
Un jour je le dirai à mon père. Je lui dirai que je ne lui en veux pas mais que j’ai longtemps été amère, que je lui en ai voulu de ne pas m’avoir protégée et que c’est pour ça qu’aujourd’hui, nos rapports sont cordiaux mais pas intimes. Peut-être que j’en parlerai à ma mère aussi, mais plus tard. Je vais déjà prendre le temps de faire mon chemin, mais je leur dirai pour avoir enfin toute cette histoire hors de moi.
Parce que oui, cette histoire a eu lieu, et arrêter de le nier sera probablement le plus grand bond en avant que je ne ferai jamais (sauf si je vais sur la Lune).
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Les Commentaires
Oui battez vous, oui parlez, mais faut avoir du courage et de la force pour affronter ce qui s'en suit.
Je suis émue par tes mots, ta force et je te souhaite sincèrement de continuer à vivre. Tu le mérite, on le mérite, vous le méritez.