J’ai rencontré Pierre au lycée, en 2007. C’était l’ami d’une amie. Rapidement, nous avons constitué un groupe d’ami.es avec un noyau solide, et des ami.es qui gravitaient autour de nous. Pierre était de tous les voyages, de toutes les soirées. Pierre était celui qui me disait « J’arrive » quand je lui disais que je n’allais pas bien. Il était toujours prêt pour un resto, un ciné, curieux de tout. Il riait tout le temps, ses fous rires étaient mémorables. Il hurlait des insanités dans la nuit. Chaque année, on s’envoyait des vocaux pour nos anniversaires, c’était à qui serait le plus sale. Et ça nous faisait rire. On avait prévu de finir à l’EHPAD ensemble, on avait beaucoup de potentiel.
Pierre c’était mon gars sûr, mon vieux poulpe, ma sangsue alitée, ma vieille tête, mon vieux cul ; et surtout : c’était Lapinou. Je suis fière de l’avoir intronisé Grand Maître du Pâté en mars 2020, après qu’il m’ait offert une boîte de pâté en me souhaitant bonne chance pour le confinement. Il était comme ça.
Pierre vivait à fond. Il avait un travail de bureau pour se consacrer pleinement à sa passion : les jeux vidéo. Il était connu sous le pseudo d’Aquateur, il avait son blog et sa chaîne Youtube, ainsi que ses réseaux sociaux spécialement dédiés à son activité.
La dernière fois qu’on s’est vus, c’était dans un cadre festif, pour mon anniversaire en décembre dernier. Nous étions tous.tes parti.es visiter les châteaux de Chambord et de Cheverny. Ces dernières années, les différents événements de la vie nous ont amenés à moins nous voir. Il pouvait se passer quelques semaines sans que l’on se parle parce qu’on était tous les deux très occupés. Mais il y en avait toujours l’un ou l’autre qui finissait par prendre des nouvelles, par proposer que l’on se voit. Et à chaque fois, c’était super.
La dernière fois que j’ai parlé à Pierre, c’est parce que je suis allée faire du ski dans une station où il allait tous les hivers et où on s’était dit qu’on irait un jour tous les deux. Au téléphone, il m’a expliqué qu’il était cette année un peu trop occupé pour aller skier, mais qu’on irait ensemble l’année prochaine…
L’appel qui a tout changé
Le mercredi 17 mai, j’étais chez moi quand mon téléphone personnel a sonné vers midi. Comme je n’ai pas reconnu le numéro, j’ai laissé sonner. Mais ce même numéro m’a rappelée dans l’après-midi, vers 16 heures. J’ai fini par décrocher. C’était une collègue de travail de Pierre au bout du fil. Elle m’a dit :
« On ne se connaît pas, mais la maman de Pierre ne peut pas parler, alors elle m’a demandé de t’appeler. »
Sur le coup, je n’ai pas compris. Elle a poursuivi :
« Pierre a fait un malaise cardiaque ce matin au travail. »
Je n’ai réussi qu’à lui demander comment il allait. Dans ma tête, je me préparais à aller lui rendre visite à l’hôpital. Elle a alors ajouté qu’il « n’avait pas survécu ».
Sur le moment, j’ai eu un bug absolu. Ça aurait beaucoup fait rire Pierre, d’ailleurs, car j’ai insisté : « Mais il va bien ? » Ce à quoi sa collègue a répondu : « Mais Laura, il est mort. »
C’est là que j’ai pris conscience que Pierre n’était plus là. Sa collègue m’a raconté que ce matin-là, en arrivant au travail, il ne se sentait pas bien. Dans le bus qui le menait au bureau, il s’était senti oppressé, il avait du mal à respirer. Il a appelé ses parents pour leur demander de venir le chercher pour l’emmener à l’hôpital. C’est en arrivant au travail qu’il a fait son malaise. Malgré le massage cardiaque prodigué par ses collègues, son cœur n’est pas reparti.
Je l’ai appris à cette occasion, mais Pierre avait été prévoyant. Il avait établi une liste de contacts d’urgence, et mon nom, ainsi que mon numéro de téléphone, figuraient tout en haut de cette liste. J’ai donc contacté tous nos amis du lycée, même ceux qui habitaient loin et que je n’avais pas revus depuis des années.
J’ai appris la mort de Pierre deux heures avant d’aller à mon cours de théâtre. Ma présence était requise car on répétait une pièce que l’on devait représenter en juin. Mais quand mes ami.es m’ont vu.es arriver avec la tête à l’envers, ils ont compris qu’il venait de se passer quelque chose de grave. Je leur ai raconté en pleurant, et m’ont dit que j’aurais dû rester chez moi. J’ai fini par rester pour répéter et, à la fin du cours, mes ami.es m’ont soutenue, m’ont emmenée au restaurant pour me changer les idées.
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Vivre deux fois plus fort
Le pire s’est produit le lendemain matin. Quand j’ai ouvert l’application Facebook, j’ai vu que tous nos amis et plein d’autres gens avaient écrit un mot sur la page de Pierre, pour faire part de leur tristesse, de leur manque, et pour lui rendre hommage. C’est là que j’ai réalisé que Pierre était bien parti, que je ne le reverrai jamais et que ce qui s’était passé la veille était vraiment arrivé. J’ai eu une très, très grosse crise de larmes. Je crois que je n’avais pas pleuré comme ça depuis que j’avais 5 ans. J’avais l’impression de pleurer comme une enfant. Je ne cessais de me répéter « mon copain est mort ». C’était vraiment terrible. D’autant plus qu’en quelques mois, j’avais déjà perdu mon grand-père de 95 ans et mon oncle de 72 ans. Mais perdre mon meilleur ami de 31 ans d’un infarctus du myocarde, ça n’a aucun sens.
Quand j’ai annoncé le décès de Pierre à une de nos amies, elle m’a répondu que maintenant, on allait devoir vivre deux fois plus fort parce qu’il avait des tas de projets. Qu’on allait devoir vivre pour nous, et pour lui. Ça m’a beaucoup touchée, ça a bousculé beaucoup de choses en moi.
Le décès de Pierre est d’autant plus incompréhensible et injuste qu’il avait une hygiène de vie irréprochable. C’était lui qui partait toujours de soirée à 22h30, celui qui ne buvait que de l’eau. Il ne fumait pas, faisait du sport tous les jours, mangeait équilibré… Il faisait attention à lui et à sa santé. Il n’avait aucun facteur de risque mais il est parti, et on ne sait pas pourquoi. Même les médecins n’ont pas su expliquer sa mort brutale.
La mort de Pierre me ramène à ma propre mortalité. Voir mourir quelqu’un de mon âge ramène à une réalité effroyable, inévitable. Nous sommes déjà plusieurs dans notre groupe à avoir pris nos dispositions après la mort de Pierre. Certains ont fait leur testament, d’autres ont déjà pris un contact légataire sur leurs réseaux sociaux, nous nous sommes envoyés des messages concernant nos souhaits quand le moment sera venu… Aborder ce sujet est toujours difficile, encore plus avec des proches, cela nous sort d’une certaine légèreté que l’on peut avoir entre ami.es. Je crois qu’en ce qui nous concerne, après ce que nous venions de vivre, cela nous a rassuré.
La perte, le chagrin, l’absence, tout est là. Mais cette impression que la mort peut nous cueillir n’importe quand est une grande source d’angoisse.
« Je ne sais pas très bien où est ma place dans ce deuil »
Le deuil en amitié est quelque chose de très complexe. En ce qui me concerne, je ne sais pas très bien où est ma place. Je parle parfois avec sa maman, mais je n’ose pas lui dire que j’ai du chagrin. Qui suis-je alors qu’elle vient de perdre son fils ?
J’ai eu beau chercher sur internet, le deuil en amitié n’est abordé que par la notion de « rupture/déception amicale », c’est-à-dire quand deux ami.es coupent les ponts. Pas quand l’un.e des deux vient à mourir. On m’a même dit « ça va, c’était juste ton ami ». Oui après tout, un de perdu… Les gens ne se rendent pas compte de la portée de leurs mots. À part nos ami.es et mon psy, je ne sais pas à qui en parler. J’ai l’impression qu’il y a une sorte de tabou autour du deuil en amitié.
Pierre est mort et je me sens affreusement seule depuis qu’il n’est plus là. Il m’est difficile d’écouter Linkin Park, son groupe préféré ; d’entendre parler de l’Eurovision qu’il ne ratait pour rien au monde ; de regarder Harry Potter qu’il adorait ; d’aller sur son profil et de voir tous ces messages qui me paraissent absurdes et qui me rappellent qu’il ne sera plus jamais là…
J’écoute beaucoup cette chanson de Marie-Pierre Arthur, « Chanson pour Dan ». Elle résume très bien ce que je ressens :
« Joueur de tour
Jusqu’au dernier jour
Ton silence résonne encore
Si fort aux alentours »
La cérémonie pour Pierre a été très belle, et très émouvante. Nous, ses ami.es, avons fait un discours en commun. J’ai moi-même parlé, dit quelques mots pour lui. Je crois que ça a été la chose la plus difficile que j’ai eu à faire de ma vie, mais ça m’a finalement fait du bien.
Depuis l’enterrement de Pierre, nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion de nous rassembler tous.tes ensemble. Ce sont des moments tristes, car il manque quelqu’un auprès de nous, mais aussi très beaux, car ils sont l’occasion de parler de Pierre, de nous rappeler de lui, d’honorer sa mémoire. Pierre était quelqu’un de solaire, qui riait sans arrêt, qui avait un rire incroyable… Ce sont ces souvenirs joyeux que l’on évoque et, quelque part, évoquer ce Pierre-là nous rend encore joyeux. Ou du moins, un peu moins tristes.
La prochaine étape, pour rendre hommage à Pierre, sera peut-être de nous faire un tatouage en commun. L’idée est lancée, mais ce ne sera peut-être pas pour tout de suite. Je ne réalise pas encore que Pierre est mort, j’ai encore des moments où je veux l’appeler, lui envoyer une vidéo débile, lui laisser un vocal sale…
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Sensibiliser aux maladies cardiovasculaires
Ce que j’aimerais aussi dire, en racontant ce deuil, c’est que l’infarctus du myocarde peut toucher n’importe qui, à n’importe quel âge, même les sujets en bonne santé et sans facteur de risque. Pierre en est malheureusement la preuve.
Pierre était jeune, il avait une hygiène de vie irréprochable et aucun facteur de risque connu. On a tendance à croire que l’infarctus ne touche que les personnes à partir de 50 ans, à tel point qu’il existe peu de données pour les sujets jeunes (< à 55 ans). La prévalence de ces maladies est probablement sous-évaluée, et malheureusement on constate une hausse des infarctus du myocarde chez les femmes jeunes.
Il existe des examens non invasifs comme une simple échographie cardiaque, un écho-doppler, voire un test à l’effort. Au mois de janvier, l’Inserm a publié un article sur la cardiogénétique, qui vise à un dépistage par une simple prise de sang.
Même sans facteur de risque, un dépistage pourrait vous sauver la vie.
Je voudrais dédier ce témoignage à ses parents et à sa grande sœur.
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