Je m’appelle Mathilde Cabanis, j’ai 34 ans. Je suis conférencière et formatrice sur la thématique du handicap et je suis aussi en situation de handicap.
« On ne peut pas vivre avec un gros foie »
Ma fille Hortense est née en octobre 2019 et au début, c’était un bébé vraiment super souriante, un super bébé, qui dort beaucoup, un peu trop justement.
Quand elle a eu neuf mois, on s’est rendu compte que son ventre commençait à grossir jusqu’à avoir le nombril qui ressort. Et c’est ça qui a commencé à nous alarmer. Sauf qu’on était en plein confinement. Il n’y avait plus de pédiatre, plus de médecin et on ne voulait pas aller à l’hôpital pour si peu. Donc on a tardé un petit peu à consulter. On a vu le pédiatre qu’à la fin du premier confinement, qui nous a envoyé directement aux urgences et il s’avère qu’Hortense, en fait, avait un gros foie.
Au bout de quelques mois, on a réalisé qu’elle avait une maladie génétique qui s’appelle la glycogénose de type 4. Donc c’était un problème de foie, où elle ne synthétise pas les graisses, et donc ça fait des gros foies et on ne peut pas vivre avec un gros foie.
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« C’est mon mari qui a pu lui donner un bout de son foie. »
Notre seule option était la greffe de foie. Et on a été hyper chanceux dans notre malheur, parce que ça a été très rapide. On est arrivés à l’hôpital en juillet 2020, en novembre 2020, elle était greffée. Entre temps, il y a eu un autre confinement, ce qui fait qu’il y avait plus de donneur.
Il n’y avait plus de greffon disponible à cause du fait qu’il n’y avait plus d’accident sur la route. C’était très bien d’un côté, mais pour toutes les personnes en attente de greffe, c’était assez problématique puisqu’on attendait des greffons qui n’arrivaient pas.
Alors qu’en France, c’est pas forcément ce qui est privilégié – le don vivant entre parents. C’est mon mari qui a pu lui donner un bout de son foie.
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Le confinement dans une chambre d’hôpital et diagnostic vital engagé
Personnellement, j’ai vécu cette période de manière très très difficile et assez intense puisque moi je travaillais, j’avais repris un petit peu le boulot, ce n’était pas dans mes plans d’être mère au foyer. Je trouve que c’est incroyable d’arriver à s’épanouir dans ce rôle parce que personnellement, c’était très très complexe pour moi de rester à la maison et surtout de rester à l’hôpital en fait.
Parce que le deuxième confinement, on l’a vécu dans une chambre de dix mètres carrés. On n’avait pas le droit d’être en contact avec les autres parents, avec les autres enfants, alors que normalement, c’est un lieu très vivant en fait l’hôpital avec des enfants. Et les infirmières nous disaient « vous n’avez pas de chance, mais en fait, là, c’est tout le monde masqué, dans les chambres ». On ne pouvait pas voir notre famille, personne ne pouvait venir nous relayer.
Gros épuisement mental, physique, émotionnel, beaucoup de stress et d’angoisse. Parce qu’en fait, on parlait du diagnostic vital qui était engagé.
Hortense, elle n’allait pas survivre à l’année 2020 si elle n’était pas greffée. Donc c’était pas une période très joyeuse. Pour autant, je me suis marrée, je pense, tous les jours à l’hôpital parce que j’avais un petit bébé de neuf mois qu’il fallait bien maintenir en vie et qu’il fallait lui donner envie de rester avec nous.
Et donc je me suis un peu donnée comme ambition, même si je pleurais la nuit, de faire bonne figure la journée. Elle m’a vu pleurer, c’est certain, mais elle m’a surtout vu beaucoup chanter, danser.
Alors j’ai dû arrêter de travailler pendant cette période parce que bon, déjà, c’était un bébé de neuf mois qu’on amenait à l’hôpital et on restait à l’hôpital.
Donc il était hors de question pour moi d’être séparée de ma fille et de la laisser seule avec des gens inconnus. En fait, avec l’angoisse et le stress, de toute façon, je n’étais pas du tout productive, mon cerveau n’était pas du tout câblé pour pouvoir avoir une activité intellectuelle cérébrale dans un premier temps.
Alors je me suis beaucoup posé de questions sur ce que je devais faire pour pouvoir arrêter de travailler.
Devenir aidante
Et la solution qui s’est offerte à moi, c’est de prendre un arrêt de travail parce que mon médecin m’a dit : de toute façon, vu votre état psychologique, émotionnel, l’arrêt, il était justifié. Il y a d’autres options qui peuvent s’offrir à nous, comme les allocations journalières de présence parentale. Mais au vu de mon salaire et du temps, on ne savait pas trop combien de temps ça allait prendre, l’arrêt m’avait semblé être la meilleure option.
Et mon mari est chef d’entreprise, donc lui c’était encore plus compliqué, en fait, pour lui parce qu’il devait jongler entre l’hôpital, les tests pré greffe, organiser toutes ces affaires au cas où il mourrait et gérer sa boîte. Donc c’était pour lui aussi, une période assez assez difficile.
J’ai eu beaucoup de chance parce que mon entreprise a été très bienveillante et je travaillais à la mission handicap de cette entreprise et on gérait les aidants familiaux.
Mes boss étaient vraiment sensibilisés à la question du handicap et de l’aidance, de la maladie. Donc c’est vrai que j’ai tout de suite été très transparente avec eux et en fait c’était trop chouette parce que, j’étais dans une entreprise qui a une politique d’aidance pour les aidants familiaux et donc j’ai pu bénéficier de chèques CESU pour financer de l’aide ménagère.
J’ai eu trois mois de dons de jour, ce qui est quand même assez chouette parce que là j’étais pas en arrêt de travail, c’était vraiment des collaborateurs qui avaient donné leurs congés pour que je puisse, moi, rester à l’hôpital pour les trois mois avec mon enfant.
Et ça, c’était vraiment un soulagement parce que, quand on se retrouve avec une perte de salaire, c’est la double peine, un petit peu, en tant qu’aidant, et après un an et demi d’arrêt, je leur ai dit que même si je pouvais retravailler, je reviendrai pas travailler parce que ça me paraissait trop difficile de revenir à un endroit où ils m’avaient connue sans être maman, sans avoir des problématiques de santé.
Et j’avais du mal à me projeter en fait, en étant en CDI dans une boîte, avec tous les problèmes médicaux qu’il fallait gérer à côté. Un aidant familial, c’est vraiment le fait d’aider bénévolement un proche, que ce soit un proche de la famille, donc un parent, un enfant, un conjoint, un frère ou une sœur. Mais ça peut aussi être votre voisin, votre meilleure copine, quelqu’un avec qui vous avez un lien fort et même moins fort, mais en tout cas que vous avez décidé d’aider.
Et donc pour moi, être aidant, c’est vraiment un acte d’amour à part entière, parce qu’on se consacre un petit peu à notre aidé et la difficulté, c’est vraiment de ne pas s’oublier.
À l’heure actuelle, on peut maintenant déclarer quand on est en situation de handicap ou qu’on est en fin de vie, on peut déclarer un aidant auprès de la MDPH et l’aidant, peut du coup débloquer on va dire, des droits comme par exemple le congé d’aidance qui permet de prendre certains jours pour pouvoir en fait, sur son temps de travail, peut-être s’arrêter un mois, deux mois sur une année, pour accompagner un proche quand il en a besoin.
Il y a aussi les droits au répit qui peuvent être activés avec la possibilité de laisser son proche dans un endroit qui soit sécurisé, où on va s’occuper de lui pendant qu’on puisse un petit peu souffler. Parce qu’une des problématiques, c’est vraiment cette notion de lâcher prise. On a tous l’impression que personne ne peut faire le job à notre place et dans certaines situations, c’est tellement intense que c’est compliqué de se projeter en disant on va confier cette tâche à quelqu’un d’autre.
« Il n’y a pas de vacances, il n’y a pas de week-end »
Nous, on a eu de la chance avec mon mari, c’est que ma fille, à l’heure actuelle, sa principale contrainte, c’est d’avoir des médicaments et en fait, n’importe qui peut apprendre à faire le médicament parce que c’est une préparation à faire avec des horaires à respecter.
Et on a choisi de faire confiance à nos parents, à notre entourage proche pour que de temps en temps on puisse un peu souffler parce que il n’y a pas de vacances, il n’y a pas de week-end, c’est tous les jours de l’année jusqu’à la fin de sa vie, elle devra prendre ces médicaments-là.
Mais il y a des situations où c’est compliqué de demander aux proches, où des fois les proches sont eux-mêmes aidant d’autres proches et ils ont aussi besoin de souffler. Et donc on peut se reposer sur certaines associations qui proposent de la garde de personnes handicapées, de personnes malades.
Maintenant, il y a même à Lyon un établissement où on peut venir avec son aidé et loger dans cet établissement pour pouvoir un peu souffler parce qu’on est en vacances en fait, un peu, avec son aidé, mais quelqu’un d’autre gère la logistique et ça, ça peut faire du bien parce que des fois, le rôle aidant/aidé, il peut-être épuisant et on peut passer à côté des bons moments parce qu’il y a trop logistique, trop de stress, trop de charge mentale.
J’accompagne beaucoup de clients sur cette thématique de comment est-ce qu’on prend en compte les salariés aidant ? Un salarié sur quatre qui sera aidants d’ici 2030. Donc forcément, les entreprises doivent s’emparer des sujets.
Il faut savoir, déjà qu’il y a 80% de handicaps invisibles, donc c’est énorme par rapport aux représentations qu’on peut avoir, surtout que le logo des personnes handicapées, ça reste encore cette petite personne en fauteuil roulant.
La personne semble être en bonne santé, mais au final, au fond d’elle, elle peut ressentir des douleurs, elle peut ressentir des problèmes de concentration, la fatigue, beaucoup de rendez-vous médicaux et une charge mentale administrative qui est assez énorme. Et ça, c’est des choses qui ne se voient pas.
Et donc on a toujours tendance à dire que le handicap invisible, ce n’est pas un handicap imaginaire, ça existe bel et bien. Et donc ces personnes qui ont ces handicaps, ils peuvent travailler en entreprise comme n’importe qui, mais des fois il y a besoin d’aménagements pour pouvoir compenser justement ces fatigues, ces douleurs et qu’on prenne en compte leur situation.
« Je vis au gré des horloges et des horaires de jeune à respecter »
On va dire que notre quotidien aujourd’hui, c’est vraiment cette notion de médicament qui prend beaucoup de place parce que je vis au gré des horloges et des horaires de jeune à respecter. C’est toujours un peu difficile de lui expliquer qu’elle n’a pas le droit de manger. Priver son enfant de nourriture, c’est assez difficile des fois, surtout quand elle a très très faim en rentrant de l’école.
On a aussi beaucoup de rendez-vous médicaux, des prises de sang, des échographies, mais par rapport à tout ce qu’on a traversé, en fait, ça me semble rien à l’heure actuelle et le stress aussi un petit peu pour elle, si je commence à me projeter dans l’avenir, forcément j’angoisse un peu sur combien de temps durera sa greffe parce qu’être greffée, c’est un miracle, mais c’est pas forcément pour toute sa vie.
Surtout qu’elle a été greffée quand même à l’âge d’un an, donc très très jeune. Donc on s’attend et on se prépare à ce qu’il y en ait au moins une deuxième quand elle sera plus grande et je pense qu’elle aura toutes les clés pour gérer ça. Mais on vit au jour le jour.
Hortense, aujourd’hui, c’est une fille pleine de vie, elle a 5 ans, on vient de fêter son cinquième anniversaire et c’est vrai qu’elle va à l’école, elle fait du karaté, de la danse.
On parle régulièrement de sa situation parce qu’elle a une grande cicatrice sur le ventre et elle a ses médicaments que son frère n’a pas.
Et donc c’est vrai qu’elle pose beaucoup de questions. Et puis plus elle formalise aussi, elle arrive a poser des questions vraiment très précises et donc là, c’est vrai que c’est assez agréable de pouvoir lui expliquer.
On a un livre photo avec toutes les photos de la greffe aussi, qu’elle peut consulter quand elle veut et pour moi c’est important qu’elle soit au courant de son histoire et qu’elle soit fière aussi de qui elle est et de ce par quoi elle a traversé parce que c’est notre petite guerrière.
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