Personnellement, je ne suis pas très à l’aise avec la mort. Toute cette histoire de ne plus exister m’angoisse au plus haut point — et je ne peux pas dire que je sois particulièrement aguichée par le sang, les viscères et la décomposition non plus.
Ce rejet pour les choses de l’au-delà aurait pu s’avérer anecdotique au quotidien, si seulement je n’avais pas eu l’idée saugrenue de mettre au monde non pas un, mais deux enfants qui poussent à une vitesse hallucinante et qui… MAIS NON, ILS NE VONT PAS MOURIR UN JOUR À LEUR TOUR, ÇA VA PAS BIEN NON ?
Je disais : qui aiment me challenger sur des sujets métaphysiques bien glauques et creepy.
Les questions qui fâchent à 8 heures du matin
La vie étant ce qu’elle est, un jour, mon aînée débarque et me demande ce que ça signifie être mort. Bien entendu, il est 7 heures 47 et je n’ai pas encore bu de café. Mon premier réflexe serait de lui répondre « Tu te rappelles hier quand tu t’es sauvée sur le milieu de la route super fréquentée ? Bah, la mort, c’est si le camion poubelle n’avait pas freiné à temps » mais je me contente d’un « Euh. Ah. Demande à papa. »
ERREUR. En bon scientifique, son rapport à la chose est totalement décomplexé — quoique tristement pragmatique. « La mort, c’est quand on ne vit plus », commence-t-il donc, très sûr de lui.
L’enfant ne s’avoue pas vaincue.
« Et on va où quand on est mort ? »
Je m’apprête à intervenir et à trahir par la même occasion toutes mes convictions les plus profondes en brandissant des histoires de ciel et de gens qui nous protègent depuis là-haut mais mon mari ne m’en laisse pas le temps :
« Souvent on est enterré dans la terre. Tu vois par exemple, le chat quand il est mort, on l’a enterré dans le jardin, sous le framboisier. »
Ma fille adore les framboises, l’histoire lui plaît beaucoup.
« Et pourquoi on meurt alors ? »
Là moi, ça, je sais. J’interromps mon mari qui s’apprêtait à se lancer dans une histoire de dégénérescence cellulaire, de cancers et d’accidents de la route sanglants pour nous diriger vers un plus consensuel « On meurt quand on est très très vieux car on a fini sa vie ».
« Ah d’accord, je vois, ça veut dire que tu vas bientôt mourir alors ? Je pourrais t’enterrer dans le jardin aussi ? Tu me donneras tes colliers quand tu seras morte ? »
Mourir bientôt, certainement — du chagrin d’avoir mis au monde une gosse maudite.
Jouer avec des trucs morts c’est trop rigolo
Suite à la petite conversation, ma fille affiche une curiosité pour la chose que j’essaye d’accueillir avec décontraction, même si parfois ça va beaucoup trop loin et que je dois à plusieurs reprises la dissuader d’aller déterrer le chat précédemment cité pour lui faire un câlin.
Assise sur les dalles du jardin, elle semble aujourd’hui s’amuser comme une folle avec un petit caillou. Un petit caillou qui possède un aspect très flasque quand on regarde de plus près.
Je pousse un hurlement et lui ordonne de lâcher immédiatement ce souriceau mort. Ma fille se met à pleurer. On pourrait croire que mes cris l’ont effrayée ou qu’elle s’est rendue compte de son erreur d’appréciation quant à son passe-temps du moment, mais pensez-vous : l’enfant pleure parce qu’elle veut continuer à jouer avec son nouveau copain.
Mort ou vivant, qu’est-ce que ça change ? Il n’y a que les très très vieux dans mon genre, ceux qui ont déjà deux pieds dans la tombe, pour être perturbés par ce type de considérations bassement triviales.
Rassemblant tout mon courage, je me débarrasse du cadavre avant de jeter mon enfant dans un bain de Javel.
Achevez-moi, au pire
Je décide de refouler l’épisode au plus profond de ma mémoire, mais dès le lendemain, une petite voix guillerette m’accueille d’un « Maman ferme les yeux, j’ai une surprise pour toi ». Qu’elle est mignonne, quand même.
Ravie d’avoir engendré une progéniture attentionnée, je la laisse me guider. « Donne-moi ta main maman ! » Je m’exécute en gloussant.
Je sais, vous qui me lisez, vous êtes en train de vous dire « NAN MAIS NE FAIS PAS ÇA, TU CHERCHES AUSSI » et vous avez raison puisqu’effectivement, elle dépose un amas froid et visqueux sur ma paume.
« Tu peux ouvrir les yeux, SURPRISE. C’est un escargot mort maman, c’est moi qui l’ai tué en marchant dessus. Mais j’ai pas fait exprès, tu sais. Il ne faut JAMAIS tuer exprès… »
Et de quitter la pièce en riant aux éclats.
Au secours et joyeuse Toussaint à tous.
À lire aussi : Ma vie de parent dénuée d’autorité, une forme de bolosserie constante
Crédit : Charles Parker / Pexels
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Déjà avant 6 ans, un enfant n'a pas le concept de "pour toujours". Un mort est juste immobile et/ou parti mais peut revenir à tout moment. Un papy mort ou en vacances à Cancun, il ne fait pas vraiment la différence.
Après, l'enfant devient capable de comprendre qu'un mort est mort toujours. Mais il n'y a pas assez de capacités d'abstraction pour comprendre ce que la mort veut vraiment dire avant 10-12 ans. Avant 10-12 ans, il va voir la mort comme "le corps s'arrête" mais il n'est pas capable de comprendre ce que ça implique pour l'"" "âme" "" du défunt (désolée de la mauvaise explication).
Donc un enfant de 4-5 ans qui est relax par rapport à la mort, c'est tout à fait normal ^^