J’ai maudit Elvis Presley pendant toute mon enfance.
C’est en partie la faute à mon Papa qui insistait chaque année pour qu’on déballe les cadeaux de Noël en écoutant les chants pieux du King, et qui mettait toujours une éternité à retrouver le vinyle et à l’installer sur la platine alors que ma soeur et moi trépignions d’impatience dans nos grenouillères. Et puis d’abord, qu’est ce qu’il avait de plus que les charmants frères Hanson cet Elvis, à part un nom à la con et des voitures dignes de Barbie ? Il est mort obèse et (d’après la légende) au petit coin, il avait des goûts vestimentaires et décoratifs plus que douteux et tous ses films ou presque sont des navets. Je ne voyais pas ce qui pouvait justifier une telle adoration et un tel respect unanimes, mais j’ai finalement compris : il suffisait d’écouter.
Cela fait aujourd’hui 33 ans que le King est mort, et on va profiter de l’occasion pour parler du jeune Elvis Presley. Vous pouvez donc allègrement oublier la légende décadente du King : la drogue et l’obésité, le ridicule faste qu’il aimait tant, les produits dérivés ringards, les minables sosies de Las Vegas et les idiotes rumeurs qui le disent vivant, tout ça : on s’en balance. On se focalise sur les origines du King.
HaMomChouPop
En 1953, Elvis Presley (de son vrai nom) vit dans des HLM de Memphis avec son père et sa mère, Gladys, avec laquelle il a une relation fusionnelle. Elvis est alors connu comme un jeune homme timide, sensible et très poli, mais possédant des goûts vestimentaires assez originaux.
C’est un grand fan de gospel, notamment des quartets The Statesmen et The Blackwood Brothers, et il passe beaucoup de temps à gratouiller sa guitare à 12$ de l’époque avec les autres gamins du quartier auprès desquels il passe pour un piètre musicien (parmi lesquels les frères Burnette, petits teigneux dont je suis fan qui feront également carrière dans la musique).? Mais Elvis sait ce qu’il veut : faire de la musique son métier et mettre sa Maman à l’abri des soucis financiers.
En 1953, cela fait déjà plusieurs années que Sam Phillips a installé ses studios Sun Records à Memphis. Le producteur a une belle expérience musicale puisqu’il avait sorti Rocket 88, qui est considéré par certains comme le premier morceaux de rock’n’roll de l’histoire, et avait également travaillé avec Howlin’ Wolf et B.B. King (on n’y est pas encore, mais il profitera par la suite du succès rencontré par Elvis pour lancer Carl Perkins, Jerry Lee Lewis, Roy Orbinson
ou encore Johnny Cash, bref des mecs qui ne sont pas franchement des gros nuls).
Elvis se rend à Sun Records en août pour y enregistrer à ses frais “My happiness”, un tube sorti en 1948 de Jon et Sondra Steele. Officiellement, il affirme avoir voulu faire une surprise à sa maman, mais son ambition cachée était vraisemblablement de se faire repérer par le propriétaire du label. Et vous savez quoi ? Ca n’a pas marché : Elvis semble sur cette chanson se complaire dans la mièvrerie et avec tout le respect que je lui dois, la version originale est bien meilleure. La secrétaire annote l’enregistrement sous les termes de “bon chanteur de ballades”, mais rien de frappant n’émane du gamin.
Ils avaient une autre gueule qu'aujourd'hui, les DJ de l'époque ! David Guetta peut aller se recoiffer !
Elvis continua pourtant très régulièrement à se rendre au studio dans l’espoir de se voir proposer une opportunité. Celle-ci se présenta enfin en juin 1954 mais Sam Phillips, bien que sentant finalement du potentiel chez ce garçon, n’est cependant pas emballé par la ballade qu’ils viennent d’enregistrer. Il parle pourtant du jeune homme à Scotty Moore, guitariste à la recherche d’un chanteur, qui l’appelle à son tour et lui propose de faire un essai. La rencontre est éprouvante et décourageante tant elle est infructueuse jusqu’au moment où Elvis, à bout de nerfs, commence à fredonner une chanson qui lui trotte dans la tête. Il se lève, commence à faire l’idiot en sautant dans tous les sens, et les autres musiciens reconnaissant “That’s alright Mama” le suivent gaiement pour relâcher la pression et la tension qu’ils subissent.
Sam Phillips se rend immédiatement compte que cette version improvisée et débridée du tube blues d’Arthur Crudup est la foudroyante naissance d’un genre nouveau : c’est l’évolution musicale qu’il pressentait depuis tant d’années qui se manifeste enfin devant lui. Le nouveau morceau obsède tous ceux qui l’entendent (Sam Phillips et son ami le DJ super-star Dewey Phillips en feront tous les deux une insomnie), et fait un carton à Memphis : ce sont les débuts d’Elvis Presley.
Ce nouveau son si différent de ce que l’on peut entendre à l’époque n’est en fin de compte qu’un mélange de tout ce que cette (talentueuse) éponge d’Elvis Presley a pu entendre dans sa vie, c’est un mix inédit de country et de blues, un métissage de la musique blanche et de la musique noire qui marquera à jamais l’histoire de la musique que ce jeune homme de 19 ans sans préjugés est le premier à réaliser. Le problème, c’est que ni lui ni ses camarades ne savent comment ils sont arrivés à ce son, et ils auront dans un premier temps du mal à retrouver le chemin menant au rockabilly. C’est balot, pas vrai ?
La suite, tout le monde la connait et le moins que l’on puisse dire c’est qu’Elvis est plus actif que Martine : Elvis rencontre le succès, Elvis a un jeu de scène furieusement sensuel, Elvis déchaine les foules, Elvis cumule les tubes, Elvis est (à son grand désespoir) critiqué par l’Amérique croyante et puritaine, Elvis achète Graceland, Elvis fait du cinéma, la Maman d’Elvis meurt, Elvis est traumatisé, Elvis fait son service militaire, Elvis chante des ballades, Elvis se marie, Elvis fait son come-back, Elvis a une petite fille (qui épousera Michael Jackson), Elvis va à Las Vegas, Elvis se drogue, Elvis devient gros, Elvis meurt.
Et si un jour mes hormones m’assassinent, sachez que les véritables responsables sera cette vidéo de 1956.
http://www.youtube.com/watch?v=efL17ekQZ5k&feature=fvst
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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