« Ton corps change », disaient Doc et Difool* au temps de ma puberté. C’était vrai en 91** et ça l’est toujours aujourd’hui : au fil des rush d’hormone et des régimes, d’activité sportive en absence totale de, mon corps change et ça n’est pas près de s’arrêter.
* Ta gueule. C’est pas comme si j’avais dit « à l’époque bénie de Marithé et Gilbert Carpentier », tout de même.
** J’étais précoce.
Il y a eu bien sûr le grand chambardement adolescent. Quand deux nénés en poire ont posé leur paquetage sur ma cage thoracique. Du haut de ma jeune décennie, j’ai immédiatement pigé ce qui m’attendait : le balconnet à vie ou l’effet gant de toilette. Arnaque. Trahison morphologique. Dire que j’avais demandé les mêmes demi sphères qu’une statue grecque…
Avec mes nouveaux compagnons ont débarqué la surcharge pondérale et le poil, mon ami, mon confident. Celui que j’arrache à l’épilateur électrique pour me défouler aujourd’hui (masochisme, tu es ma religion et Babyliss est ton prophète). Celui que j’attaquais au rasoir, sans savoir que plus dur serait son retour. Et puis le poil qu’on appelle « duvet », la discrète moumoute de bouche qui me valait des « Alors, José, on s’est pas rasé ce matin ? » de la part de certains collègues masculins.
A l’époque, je me sentais douloureusement proche de ma prof de sport, dont la luxuriante moustache décolorée prenait à mes yeux valeur d’avertissement. « Déconne pas Stellou », me disais-je à chaque session d’EPS, « Manie ta pilosité avec délicatesse, sinon gare à l’invasion.». En bonne tête d’ampoule, j’essayais d’intellectualiser la chose. « Pourquoi vouloir te conformer à la norme ? » me disais-je. « à poil ou en fourrure, être une femme, c’est être une femme, non ? ». Oui mais voilà : mes théories faisant déjà la guerre à mes pratiques, toutes les Frida Khalo du monde n’auraient pu me persuader de garder un tel ornement.
Puisque j’avais le corps étranger et que ma tête en réclamait un autre, j’ai commencer à vouloir le mater. Et depuis, je me comporte avec lui comme une concierge psychorigide envers un locataire excentrique. Quand il enfreint mes règles dictatoriales, je l’engueule. Le reste du temps, j’arrête pas de le mater en me demandant quel mauvais coup il peut bien préparer. Et le soir, en sirotant mon Porto, je prie pour que le ciel m’en envoie un autre (de locataire, pas de Porto).
« Mais accepte-toi comme tu es, enfin. » m’enjoindront les converties de la Dove Philosophy. Celle qui dit que tout corps est une oeuvre d’art. Je veux bien. Mais encore faudrait-il que j’arrive à m’en faire une représentation à peu près stable, de mon corps. Parce qu’avec toutes les images de moi qui se bousculent, mon oeuvre d’art a des allures de compression de César. A peine le temps de me voir mince que paf, je reprends du poids. A peine le temps de mémoriser ma nouvelle taille de jean que pfft, elle est déjà caduque.
Alors quand je pense à ce qui m’attend – l’affaissement des chairs, le débarquement des rides, mieux : l’utérus transformé en squat***, je me dis : « Stellou. Est-ce qu’il est envisageable qu’un jour, tu finisses par aimer ton corps dans toute son élasticité ? Est-ce que tu pourrais lui pardonner ses sautes d’humeur et ses petites schizophrénies ? Te décoller le nez du nombril, dire adieu à tes fantasmes photoshopés ? ». Et j’essaie, j’essaie. On peut avoir du mal à le croire, mais mine de rien, j’ai déjà fait pas mal de progrès. Alors qui sait ? Il me reste après tout un bon paquet de décennies pour y arriver…
*** Ca arrive, ces choses-là.
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Les Commentaires
Chouette ! C'est quoi le prix au kilo ? Si t'en a genre trois en rab', je veux bien. Oh et puis si ils pouvaient se stocker directement dans mon soutien-gorge hein.
L'expression est parfaitement choisie.