Je m’appelle Élise, j’ai 22 ans. En juin 2019, alors que je venais juste d’avoir 18 ans, on m’a découvert un lymphome de Hodgkin, complètement par hasard. Je chahutais avec mon copain, quand j’ai reçu un coup de son genou au niveau du cou. À l’époque, j’avais les cheveux très longs et très lisses. Quand j’ai soulevé mes cheveux, au niveau de la nuque, j’ai découvert une grosse boule. Je lui ai tout de suite dit que c’était de sa faute, qu’il m’avait fait un hématome.
Une boule suspecte au niveau de la nuque
La boule étant importante, j’ai consulté mon médecin, qui m’a traitée pour une contracture musculaire. Mais au fil des semaines, le décontractant ne fait pas effet, la boule ne diminue pas et j’ai toujours aussi mal. Je décide d’aller aux urgences, où un médecin m’a fait culpabiliser. Il m’a dit que j’étais venue pour rien, que tout le monde a des ganglions, et que j’occupais la place d’un « vrai malade ». Je passe néanmoins une échographie, qui met en évidence les ganglions. Mais on me répète à nouveau que c’est parfaitement normal et que je ne dois pas m’inquiéter.
Quand j’ai finalement compris que j’avais un cancer, je me suis effondrée. Je me suis dit que j’allais mourir, que c’était fini pour moi.
Elise
Sauf que quelques semaines plus tard, au mois d’août, je n’en peux plus, je souffre trop. Sur les conseils de mon médecin, je finis par faire une prise de sang. Et les résultats sont catastrophiques : ils montrent que j’ai une forte inflammation, mais aussi que mon système immunitaire ne tient plus la route. Je passe alors un scanner, à la suite duquel je suis convoquée dans le bureau du médecin. Ce dernier m’annonce que je suis malade. À ce moment-là, j’imagine encore que ce n’est rien, qu’on va me faire une ordonnance et que tout va rentrer dans l’ordre.
Chaque séance de chimio était pire que la précédente
Mi-octobre, je fais une biopsie après laquelle verdict définitif tombe : j’ai un lymphome hodgkinien de stade 3, qu’il faut absolument traiter. Ma première question a été de savoir si j’allais perdre mes cheveux. Quand le cancérologue m’a confirmé que oui, je l’ai remercié et lui ai dit que dans ce cas-là, je ne suivrai pas les traitements. Deux semaines plus tard, sa secrétaire m’a rappelée pour provoquer chez moi un électrochoc. Elle m’a dit que de beaux cheveux ne me serviraient à rien dans la tombe.
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Je suis donc retournée voir le cancérologue, qui m’a détaillé le protocole que j’allais suivre : chimiothérapie et radiothérapie. Au total, j’ai suivi 10 séances de chimio et 15 séances de rayons. Je n’ai pas bien vécu la chimiothérapie. Chaque séance était pire que la précédente : je vomissais et je mettais des jours à m’en remettre… Et comme elles avaient lieu tous les quinze jours, j’avais à peine le temps de me remettre sur pied qu’une nouvelle commençait.
J’ai un peu mieux supporté la radiothérapie – même si je vomissais toujours – mais les dernières séances m’ont brûlé les glandes salivaires. Ça a été très compliqué de manger, de déglutir.
Finalement, en juillet 2020, j’ai reçu une lettre de mon cancérologue m’annonçant que j’étais en rémission. Ça a été la libération, je ne voulais pas y croire.
Après le cancer, la découverte de mon handicap
Mais la rémission n’a pas mis fin à mes souffrances. Lors de mes séances de chimiothérapie, j’ai développé des douleurs neurologiques. J’ai suivi un traitement – qui n’a pas fonctionné -, puis j’ai consulté un neurologue, qui a constaté que certains nerfs dans ma jambe gauche ne répondaient pas correctement. Mais selon lui, cela pouvait être dû à la chimio, tout rentrerait dans l’ordre une fois les séances terminées.
Sauf que l’effet n’a rien eu de temporaire. Une rhumatologue m’a diagnostiqué une dégénérescence moteur du nerf sciatique : c’est un peu comme si un rat avait grignoté un câble – mon nerf sciatique -, qui risquait de rompre. Sauf que le nerf sciatique qui lâche, ce n’est pas rien : je risque de ne plus pouvoir du tout me servir de ma jambe et donc devoir utiliser à vie un fauteuil roulant.
Suite à ce nouveau diagnostic, j’ai dû réadapter toute ma vie. Jusqu’à présent, je courais, je faisais du foot… J’ai dû arrêter toutes ces activités. Si je me rends dans un endroit où je risque de beaucoup piétiner, ou de beaucoup marcher, il faut que je prenne mon fauteuil.
J’ai aussi dû accepter les douleurs neurologiques. À chaque fois que je fatigue, je ressens comme des décharges électriques dans la jambe, des fourmis puissance mille, qui rendent chaque pas douloureux et presque impossible.
Comme si ça ne suffisait pas, en novembre 2020, on m’a aussi diagnostiqué une endométriose sévère, une adénomyose [lorsque l’endométriose touche l’intérieur de l’utérus, ndlr] et le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) suite à l’arrêt de ma pilule contraceptive. Est-ce que j’avais ces pathologies avant le traitement de mon cancer ? Impossible de le savoir.
Mais il y a une autre pathologie que la chimiothérapie m’a amenée à coup sûr : la tachycardie de Bouveret, qui est elle aussi handicapante. Dans les moments de stress, il arrive que mon cœur s’emballe et atteigne 190 battements par minute.
En raison de toutes ces pathologies, j’ai dû me résoudre à accepter le mi-temps thérapeutique que me proposaient les médecins, pour supporter le rythme de mes études. En rentrant de cours, je n’avais tellement plus d’énergie que j’allais immédiatement dormir. Ça n’est pas une vie. Ou du moins, ça n’est pas la vie que j’imaginais avoir à 22 ans.
Faire comprendre que je suis handicapée n’est pas toujours facile
Reprendre mes études après mon cancer a été très difficile. En 2019, j’ai entamé un DUT, que j’ai abandonné en raison de la lourdeur des traitements contre le cancer. J’ai finalement repris ma première année en septembre 2020 après ma rémission et j’ai entamé à distance – Covid oblige – ma deuxième année. C’est à ce moment-là que ça s’est mis à dérailler : certains profs oubliaient régulièrement de brancher la visio pendant leur cours. J’ai fini complètement découragée quand on m’a dit qu’on ne me ferait pas de « traitement de faveur » en aménageant les examens pour moi, alors que je me remettais à peine de mon cancer. À cause de toutes ces difficultés, je suis tombée en dépression. J’ai fini heureusement par changer d’école et la nouvelle est bien plus bienveillante.
Trouver un boulot, un parcours du combattant
La première entreprise qui m’a accueillie en alternance a aussi été super. J’y suis restée trois ans, jusqu’en 2022, malgré mon cancer. Mais ça a été une toute autre histoire avec la suivante. Pendant l’entretien, on m’avait assuré que j’allais travailler à 900 mètres de chez moi, que j’aurai un bureau, que j’allais être formée en communication… Mais j’ai vite déchanté quand je me suis rendu compte que l’agence à laquelle j’étais rattachée était à 25 km de mon domicile et qu’au lieu d’un vrai bureau, j’allais devoir travailler sur une chaise de bar, attablée à un comptoir. Impossible pour moi de rester cambrée toute la journée en raison de la dégénérescence moteur du nerf sciatique. J’ai donc demandé la rupture de ma période d’essai. Mais ça a été hyper compliqué pour moi de retrouver une autre entreprise qui accepte des aménagements de poste liés à mon handicap.
Je me souviens d’un entretien avant lequel la recruteuse m’avait semblé hyper sympa et bienveillante au téléphone. Mais à mon arrivée dans les locaux, la première chose qu’elle a souhaité savoir était pourquoi j’avais une RQTH [une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, ndlr] et si ma maladie « pouvait revenir ». Elle m’a aussi dit qu’avoir « quelqu’un qui est toute le temps en arrêt maladie, ça ne l’intéresse pas ». J’ai préféré mettre un terme à l’entretien.
Être handicapé·e, ce n’est pas uniquement être dans un fauteuil
Car il faut savoir que même si je n’en ai pas l’air au premier regard, je suis bien handicapée. Au niveau de ma jambe, c’est très compliqué. Quand je suis en crise, je marche à la traîne, je suis obligée de me tenir. Ce sont de grosses douleurs, en plus desquelles il faut subir les regards. J’ai un fort tempérament, donc la plupart du temps, je m’en fiche. Mais c’est vrai que c’est désagréable de se faire regarder de travers parce que je n’ai pas l’air « malade ».
Par exemple, lorsque je me rends à la gare, j’utilise pour ma voiture une place handicapée, plus proche de l’entrée, car j’ai très souvent mal à la jambe à la fin de la journée. Il y a quelques semaines, un monsieur qui habite en face de la gare a appelé la police parce que selon lui, j’usurpais ma carte de stationnement handicapé. Même les policiers municipaux ont dans un premier temps refusé de me croire quand j’ai dit que c’était bien la mienne ! Ils ont fini par s’excuser quand ils se sont rendu compte de leur erreur. J’ai trouvé ça tellement sidérant que j’ai fini par en parler sur les réseaux sociaux.
Cet épisode est loin d’être le seul que j’aie vécu. Combien de fois m’a-t-on tapoté sur l’épaule au supermarché parce que j’étais à la caisse prioritaire et que je « n’avais pas l’air handicapée », alors que je devais littéralement m’accrocher à mon caddie pour avancer ? Ou venir me poursuivre jusqu’à ma voiture pour me demander si je « n’avais pas honte » d’occuper une place handicapée ?
Devoir se justifier sans cesse, c’est épuisant. Je n’ai pas le temps ni l’envie de devoir m’expliquer à chaque fois que j’utilise ce qui me revient de droit. D’autant que je suis loin d’abuser. Évidemment que je laisse passer en priorité les personnes âgées au supermarché lorsque je sens que je ne suis pas trop fatiguée. C’est vraiment du bon sens.
Les premières fois où ça m’est arrivé, je ne pouvais pas me retenir de dire aux gens d’aller se faire voir et de se mêler de leurs affaires. Désormais, j’ai adopté une autre stratégie, encore plus payante. Je leur fais un listing de tous mes problèmes de santé : « cancer, dégénérescence moteur du nerf sciatique, maladie cardiaque, endométriose sévère, SOPK, ça suffit ou il vous faut encore autre chose ? » Après ça, les gens se sentent cons et me répètent qu’« ils ne savaient pas ». Eh oui, c’est le principe du handicap invisible. J’en viens à raconter ma vie à de parfait·es inconnu·es qui n’ont aucune légitimité, mais c’est la seule solution pour qu’on arrête de me casser les pieds.
Sensibiliser, une nécessité
Aujourd’hui, ce que j’aimerais, c’est qu’on sensibilise le public à la problématique du handicap invisible. Et ça peut passer par des trucs tout bêtes, comme modifier ces put* de logos sur les places de stationnement handicapé, où on voit un personnage en fauteuil roulant. 80 % des handicaps sont invisibles, il est temps que la société s’en rende compte.
Il faudrait aussi des interventions de sensibilisation, par exemple dans les établissements scolaires, pour éduquer les adultes de demain, et les sensibiliser au handicap et à la discrimination. Et pourquoi pas, faire une grande campagne nationale sur le handicap invisible parce que les préjugés sont encore trop lourds.
Quant aux personnes porteuses d’un handicap, j’aimerais leur dire d’oser utiliser leur carte de priorité. Sur les réseaux, j’ai reçu des tas de commentaires de personnes me disant qu’elles n’osaient pas parce qu’elles étaient trop timides. Il faut se préparer un discours dans sa tête, comme moi j’ai fait, pour prouver que vous êtes légitime et que vous avez le droit d’être là. Ou bien brandissez votre carte et montrez votre tête, pour montrer que vous avez toute votre place.
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Les Commentaires
Mon entreprise actuelle a organisé plusieurs séminaires et discussions sur ce sujet et pour une fois j'étais fière de leur démarche c'était très intéressant, bcp de salariés ont participé, je pense que ça fait tout doucement son chemin.