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Cinéma

« Millenium », l’adaptation (très réussie) en BD – Interview

« Millenium », la saga culte de Stieg Larsson, a été adaptée en BD par les talentueux Sylvain Runberg et José Homs. Elsa les a interviewés au Salon du Livre 2013 !

Au départ, on voit « adaptation BD de Millenium », et on grimace un peu. Les adaptations de roman en bande dessinée sont nombreuses ces dernières années, et la déception est parfois grande tant l’exercice est difficile. Car transposer une œuvre d’un média, le roman, à un autre, la BD, implique un autre rythme, une narration différente, mais aussi de mettre concrètement en images ce qui n’était que des mots. Pour Millenium, en plus, il y a le fait qu’il y a déjà eu deux adaptations (la série suédoise, et le film américain) et qu’on voit suspicieusement venir le titre commercial qui voudrait surfer sur le succès de la franchise. Oui mais je vous arrête tout de suite, on aurait vraiment tort de penser ça du Millenium que nous offre Runberg et Homs.

Que l’on ait lu ou pas les romans de Stieg Larsson, que l’on ait vu les films ou non, le plaisir sera au rendez-vous. Le duo a réussi le tour de force de réinventer Millenium, sans jamais le dénaturer. C’est la même histoire et pourtant… c’est différent. Sylvain Runberg, le scénariste, a retravaillé le roman de telle manière qu’il nous propose de regarder chaque évènement, chaque détail, sous un angle différent. Et Homs, dessinateur incroyablement talentueux, allie une mise en scène impeccable à un dessin sublime (et la colorisation est superbe elle aussi). Le rythme du roman était lent, ici la tension grimpe à chaque page. La part belle est faite à la Suède, véritable personnage de l’histoire. Les héros, eux, n’ont rien perdu en personnalité, et cette Lisbeth-là concurrence sans problème Noomi Rapace question charisme.

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Un rapide résumé au cas où. Mikael Blomkvist, journaliste suédois, est engagé par un vieil homme d’affaires pour résoudre le meurtre de sa nièce survenu plusieurs décennies auparavant. En parallèle, Lisbeth Salander est enquêtrice pour une société privée ; ses méthodes ne sont pas des plus légales mais elle est d’une efficacité redoutable. Sa route va bientôt croiser celle de Blomkvist…

Fan des romans ou simplement amatrice de polar, ruez-vous sur cette merveille, vraiment. Runberg et Homs sont allés bien au-delà de la simple adaptation, et nous livrent un vrai petit bijou, sombre et lumineux à la fois, qui n’aurait, à coup sûr, pas déplu à feu Stieg Larsson.

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Sylvain Runberg et José Homs, l’interview

J’ai eu la chance de pouvoir interviewer les auteurs au Salon du Livre.

Pouvez-vous vous présenter, nous raconter votre parcours ?

Runberg – Je m’appelle Sylvain Runberg, je suis scénariste de bande dessinée depuis 8 ans maintenant. Millenium est mon 35ème album. J’ai publié des récits assez différents, science-fiction, historique, thriller, autobiographies… Je partage mon temps entre la France et la Suède depuis une dizaine d’années. C’est comme ça que je me suis retrouvé il y a 4 ans à proposer à Dupuis une éventuelle adaptation de Millenium en bande dessinée, parce que quand c’est sorti en Suède, pas mal de gens m’en avaient parlé en me disant « Quand ça sera traduit en français tu devrais le lire, ça va te plaire ». Ce que j’ai fait quand il est paru en France. J’ai tout de suite accroché aux deux personnages principaux, Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander, à l’univers, aux thématiques explorées dans les trois romans. J’ai donc proposé ça à Dupuis, on m’a dit que c’était une bonne idée, mais que ça n’était pas forcément possible. Deux ans plus tard, je n’en avais plus entendu parler, et ils m’ont rappelé pour me dire que cela faisait un an qu’ils négociaient en secret pour l’achat des droits, qu’ils venaient de les avoir.

Homs – Je suis Homs, je suis le dessinateur de Millenium. Je travaille pour le marché français depuis deux ans. J’ai notamment travaillé sur une série appelée Secrets avec Frank Giroud. Avant, j’ai également travaillé deux ans pour le marché américain.

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Comment vous êtes vous rencontrés ?

Runberg – Quand Dupuis m’a appelé pour me proposer l’adaptation, ils m’ont dit qu’ils avaient déjà un dessinateur en tête, José Homs. On ne se connaissait pas, mais je connaissais son travail. Ils cherchaient quelqu’un qui soit capable de tout dessiner, puisqu’il y a des ambiances très différentes dans Millenium. Il fallait aussi un excellent metteur en scène, ce qu’est José. On a commencé à collaborer et ça a tout de suite bien fonctionné, parce qu’on a vraiment la même vision du projet. Ça a démarré très vite et très bien, et ça suit son cours depuis.

On a parlé tout à l’heure de ce qui vous a donné envie d’adapter Millenium, mais n’avez-vous pas eu peur d’un effet overdose, après les films, la série, etc. ?

Runberg – Quand j’ai commencé à penser l’adaptation, il n’y avait ni le film américain, ni la série télé suédoise. Quand on me l’a proposée, deux ans plus tard, j’avais vu évidemment la série suédoise, mais ça n’était pas du tout l’optique que j’avais en tête pour l’adaptation, donc je savais que ça ne poserait pas de problème. Le seul doute que j’ai eu pendant trois mois, c’est que quand j’ai commencé l’écriture, le film de David Fincher n’était pas sorti. Je me disais « Bon, qu’est-ce que va faire David Fincher, et qu’est-ce que je fais s’il a la même optique que moi ?

». Je suis allé voir le film à sa sortie, et ça n’avait absolument rien à voir avec ce que je voulais faire, donc j’ai continué à écrire.

Je pense que l’univers de Millenium est assez riche pour pouvoir en donner des visions très diverses et pour captiver le lectorat. Dans ma tête, ce que j’ai toujours voulu faire, c’est traiter cette adaptation comme une œuvre originale, c’est-à-dire que les gens qui ne connaissent pas Millenium puissent prendre du plaisir à le lire, et aussi que les lecteurs du livre, et les gens qui ont vu les films puissent quand même découvrir une vision inédite. La trilogie s’y prête bien parce qu’elle est tellement riche, il y a tellement d’aspects qui ont été explorés par Stieg Larsson, mais certains n’ont pas été poussés, tout simplement parce qu’il est mort trop tôt. Il y avait pas mal d’angles que moi, en tant que lecteur, j’aurais voulu voir développés, et qu’en tant que scénariste j’ai creusés.

En plus de ça, je connais très bien la ville de Stockholm. Je partage mon temps entre la France et la Suède depuis une dizaine d’année, donc je connaissais aussi la matière première qu’a utilisé Stieg Larsson pour faire ce roman. J’ai pu jouer avec ces connaissances-là, les adapter. Je pourrais citer des centaines de détails comme ça, mais par exemple dans le roman, Lisbeth Salander a l’habitude de se rendre dans un café qui s’appelle le Moulin, Kvarnen, pour rencontrer un groupe d’amies, des filles qui ont monté un groupe de hard-rock quand elles étaient au lycée. Le Moulin, il y a une quinzaine d’années à Stockholm, c’était un lieu alternatif, plutôt lié à l’extrême-gauche. Ça n’est plus du tout le cas aujourd’hui, c’est un pub avec une clientèle tout public. Donc pour moi c’était impossible de voir Lisbeth Salander aller au Moulin aujourd’hui. J’ai donc transposé ce lieu de rencontre dans un bar qui s’appelle Bröderna Olsson, qui est un bar de Stockholm très lié aux mouvements punk, rockabilly ou alternatif. J’ai procédé à plein d’adaptations comme ça pour offrir de nouveaux angles de vue aux lecteurs.

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Comment s’est passé votre travail ensemble ?

Runberg – Alors, je travaille de cette manière : d’abord je construis un synopsis séquence par séquence, ensuite je fais un découpage page par page, case par case, avec les dialogues. José, c’est le metteur en scène donc à partir de là, il en fait ce qu’il veut. Ce qui était important pour nous c’était d’être très réalistes par rapport à ce qu’est Stockholm aujourd’hui. Donc José est venu passer une semaine à Stockholm l’année dernière, j’ai pu lui montrer tous les endroits qui apparaissaient dans le roman, ceux qui allaient apparaître dans notre adaptation, et puis tout simplement prendre le pouls de la ville, voir ce qu’est Stockholm aujourd’hui, afin qu’il puisse le rendre graphiquement.

Parce que ça aussi c’est quelque chose qui est intéressant par rapport aux versions cinéma et télé, c’est que par exemple, dans le film de Fincher que j’ai beaucoup aimé, la représentation de Stockholm ne ressemble absolument pas à Stockholm. Ça ressemble à une ville soviétique des années 80, alors que Stockholm c’est une ville colorée où il y a de la nature partout. Et nous on voulait jouer justement sur cette ambivalence entre un récit très dur et un environnement où il fait bon vivre. C’est sur tous ces aspects-là qu’on a travaillé ensemble.

Homs – C’est vrai. C’était important de venir à Stockholm, de saisir l’atmosphère des lieux. Nous avions la même vision du projet. Nous ne voulions pas faire un simple remake des films, ou même des livres. Nous avons fait de nouvelles séquences, que l’on ne trouve pas dans les livres et qui permettent au lecteur de comprendre comment sont les personnages.

Runberg – La chance qu’on a eu aussi sur ce projet, et je pense que c’est assez rare sur l’adaptation d’un roman qui s’est vendu à 60-70 millions d’exemplaires, c’est qu’on a eu une liberté artistique totale. On a rencontré les gens qui représentaient les ayant-droits de Stieg Larsson à Stockholm. On a discuté avec eux plusieurs heures, en leur expliquant quels étaient nos points de vue en tant qu’auteurs, ils ont apprécié et nous ont dit « Vous pouvez y aller ». Ce qui fait qu’effectivement dans notre adaptation il y a des scènes qui n’apparaissent ni dans les romans ni dans les films. Il y a des angles propres à ce qu’on a écrit, qu’on ne verra pas ailleurs, mais qui sont toujours en relation avec les romans de Stieg Larsson, et surtout avec le profil psychologique de ses personnages. C’est quelque chose auquel on n’a absolument pas touché. Parce que pour nous, le moteur de Millenium c’est quand même ce trio entre Mickael Blomkvsit, Lisbeth Salander et Erika Berger. Les profils des personnages sont exactement les mêmes que dans les romans. Après, ce qu’on s’est permis de faire, c’est d’inventer de nouvelles scènes en se disant « Voilà comment ils sont dans les romans, comment est-ce qu’ils réagiraient dans cette situation ? ».

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José Homs, quels outils et techniques avez-vous utilisés sur ce titre ?

Homs – Pour ce livre, j’ai travaillé d’une manière traditionnelle, à l’encre et au pinceau. J’ai porté beaucoup d’attention au noir et blanc, parce que c’est un polar, une histoire sombre. Le noir a donc une grande importance. Il y a certaines scènes auxquelles j’ai donné un traitement différent, très très sombre. Ces pages tranchent avec les autres. Car quelque chose que nous avons changé par rapport au livre, c’est que les scènes de meurtres sont dans la BD.

Sylvain Runberg – Oui il y a effectivement des scènes de crimes, qui sont évoquées dans les romans, mais uniquement à travers des rapports de police, et que nous on a traité en images. Parce qu’on pensait que pour que le lecteur comprenne véritablement que la violence se déroulait sur plusieurs décennies, il fallait la montrer, sans tomber dans le gore non plus. On voulait qu’il y ait vraiment de l’empathie pour les victimes. Et ne montrer qu’une partie de la scène de crime, sans en dévoiler les éléments les plus sanglants, pour nous c’était forcer le lecteur à imaginer la suite, et à faire en sorte que ces scènes de violence prennent une véritable dimension humaine. On ne voulait pas qu’il y ait des scènes dures sur lesquelles le lecteur puisse passer sans rien ressentir.

Ces scènes créent une tension. Le livre a un rythme plus lent dans l’évolution..

Runberg – Oui, on a voulu adapter le roman par rapport au média bande dessinée, et les mécanismes de narration ne sont pas les mêmes, donc le rythme n’est pas le même. Il y a à la fois des nouvelles séquences, et des évènements qui ne sont pas placés au même moment dans notre adaptation que dans le roman.

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Justement, comment avez-vous travaillé sur l’adaptation ?

Runberg – Il faut conserver l’essentiel, ici les personnages, avec évidemment quelques faits qui rythment vraiment la construction du livre et qu’il faut garder. Et ensuite il faut savoir s’en détacher pour essayer d’offrir une œuvre originale au lecteur, sans trahir l’esprit de Millenium. Il ne faut pas faire un copier-coller qui ne rimera à rien. C’est ce qu’on a fait et c’est ce qu’on fait de plus en plus au fur et à mesure qu’on avance dans le récit puisque moi j’ai déjà écrit les trois premiers tomes. Et plus on avance, plus on va s’éloigner du roman en quelque sorte, dans le sens où il y aura vraiment de plus en plus de scènes inédites. Il y aura des choses qui sont une nouvelle fois effleurées dans le roman, donc on sait à peu près ce qu’il en est, mais ça n’a pas été développé. Et on a pour optique de les creuser. Par exemple sur le passé de Lisbeth : elle a une sœur jumelle qui n’apparaît presque pas dans le roman, mais qui sera beaucoup plus présente dans notre version. On pense que Stieg Larsson avait l’intention d’en faire un des personnages principaux par la suite, mais malheureusement comme il n’a pu écrire que les trois premiers romans, elle n’apparaît pas plus que ça. Et nous, avec cette perspective-là, on essaie d’insuffler un souffle nouveau à notre adaptation.

Et au niveau de la suite, comment cela va-t-il se passer ? Ce premier tome est la première moitié du premier livre…

Runberg – Il y a six tomes de prévus, de 62 pages chacun, deux tomes correspondant à un roman. 62 pages, pour une bande dessinée franco-belge c’est une belle densité, normalement un tome c’est 46 pages. On a 124 pages de bandes dessinées pour chaque roman, ça nous permet d’avoir quand même pas mal d’espace pour explorer toutes les possibilités qu’on veut développer dans l’adaptation. Ces six livres paraîtront en trois ans. Le tome 2 paraît en novembre de cette année, puis les 3 et 4 au printemps et en hiver, et même chose pour les suivants.

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Merci à Sylvain Runberg et José Homs, ainsi qu’à Eloi pour l’organisation de cette interview !

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