Alors que je sirotais paisiblement mon café matinal, un jour, une pote m’a fait part de sa méfiance vis-à-vis des personnes militantes — peu importe la cause qui leur tient à coeur.
Elle n’est pas à l’aise face à ces groupes qui essaient d’imposer leur modèle, face à leur communication agressive, et face aux militants qui sont sans arrêt dans la démonstration et l’assurance d’avoir raison tandis que les autres ont tort.
Malicieuse, j’ai attendu qu’elle finisse son propos pour lui demander : « et moi, tu me trouves extrémiste, en politique, sur le féminisme, ou sur le veganisme, par exemple ? » Non répondit-elle : moi, elle me connaît, nous discutons souvent, j’ai des positions argumentées, et pas doctrinales !
Et pourtant, je suis militante
Moi aussi, j’ai longtemps été rétive à l’idée de m’affirmer militante. Les militants étaient pour moi des gens qui renonçaient à leur liberté de conscience, pour adhérer corps et âme à une cause, une idéologie, qu’ils défendraient envers et contre tout et tous, y compris à l’encontre de leurs propres sentiments…
Qui était vraiment extrême dans sa manière de penser ? À vous de me le dire.
J’ai changé d’avis en entrant à Sciences Po, où j’ai été confrontée à un paradoxe à mes yeux : je fréquentais des jeunes gens brillants, s’étant illustrés à des épreuves de composition et de réflexions aux concours d’entrée, et donc capables de recul critique et d’analyse.
Et dans le même temps, ces gens étaient aussi engagés : dans des associations plus ou moins politisées, dans des syndicats, voire carrément encartés dans des partis politiques.
Je découvris (au passé simple, pour l’emphase dramatique) que l’on pouvait donc rejoindre un groupe de personnes engagées sur une cause commune, sans pour autant renoncer à une pensée critique. J’ai décidé de tenter l’expérience.
On faisait bouger les clivages
J’ai donc rejoint un mouvement de jeunes au sein d’un parti politique très populaire dans le Nord. J’y ai rencontré toutes sortes de personnes : des très jeunes, engagées depuis leurs années de déléguées de classe ; des plus anciennes, militantes chevronnées ; des expertes sur leurs sujets de prédilection ; des curieuses ; des dilettantes, et j’en passe.
J’ai rencontré des gens optimistes, motivés, d’autres un peu résignés, lucides, certains passionnés, d’autres têtus, opiniâtres, des gens charismatiques, convaincants, des gens sincères, impliqués.
J’étais loin d’être tombée dans l’espèce d’armée de clones que j’imaginais être l’univers militant avant d’y mettre les pieds.
On ne m’a pas demandé de renoncer à mes convictions, on n’a pas essayé de me faire rentrer dans le crâne une ligne officielle. Même au sein d’un parti, plusieurs courants de pensée coexistent. Mes meilleurs débats, je les ai eus lorsque je fréquentais les milieux militants, que ce soit au sein de mon propre « camp » ou avec mes adversaires politiques.
Nous partagions tous le même intérêt pour les affaires publiques et la politique, et même si nous n’étions pas d’accord sur les solutions à apporter, cela ne nous empêchait pas d’en débattre. Il ne s’agissait pas d’avoir raison ou tort, ni de convaincre l’autre, mais pourtant, nos échanges étaient loin d’être stériles. Nous faisions bouger les lignes. Parce que les clivages politiques ne sont pas figés, parce que nous avions un âge et des préoccupations qui nous rapprochaient, malgré nos désaccords idéologiques.
Je débattais avec des gens exigeants, informés, qui avaient des convictions auxquelles ils tenaient aussi fort que je tenais aux miennes. J’ai aiguisé mon sens de la rhétorique, j’ai pris de l’aisance à l’oral.
Ce fut le meilleur entraînement possible aux examens oraux que j’ai été amenée à passer par la suite ! Je n’ai plus craint une séance de questions-réponses avec un jury depuis que j’avais pris l’habitude d’écouter un interlocuteur tout en préparant dans ma tête une réponse qui mobilise mes connaissances, mes convictions, et qui se raccroche aux éléments apportés par mon contradicteur.
« Toi, t’es militante, alors on sait ce que tu penses ! »
Ce passage par le militantisme politique m’a effectivement coûté mon indépendendance, mais pas de la manière dont je me l’étais imaginé…
Je n’ai pas cessé de faire appel à mon esprit critique, je n’ai pas progressivement adopté les positions officielles du parti en renonçant aux miennes, bien au contraire : mon accès privilégié à l’information et mon expérience à l’intérieur d’une structure militante m’ont amenée à modérer certaines de mes positions.
Quand on réalise, par exemple, l’ampleur des difficultés concrètes et pratiques à la mise en place d’une action, on glisse de l’idéalisme vers le pragmatisme. Les « il suffirait de » et autre « y à qu’à – faut qu’on » incantatoires ont progressivement disparus de mon vocabulaire.
Je craignais de me radicaliser au contact du milieu militant, ce fut plutôt le contraire. Mais cette évolution, rares sont les personnes de mon entourage qui l’ont remarquée. Je fus très surprise de constater que j’avais perdu toute liberté de parole auprès de bon nombre de proches.
Nous avions toujours les mêmes discussions, les mêmes débats, mais à présent, il y avait toujours quelqu’un pour me sortir « mais toi, t’es militante, alors on sait ce que tu penses ! » — sous-entendu, on connaît déjà la position de ton parti sur ce sujet, et par extension la tienne.
Essayer de se défaire de cet argument, c’était perçu comme de la mauvaise foi. Tout ce que je viens d’écrire sur mon évolution personnelle au contact du militantisme, je n’ai jamais pu l’exprimer auprès de ces gens. Pour eux, j’étais endoctrinée, point. Toute tentative de discussion se soldait inlassablement par la même question qu’ils pensaient piège :
« Tu dis que tu gardes tes propres opinions, ta liberté de pensée, ok. Mais pourquoi t’encarter, alors ? Pourquoi t’engager, devenir militante, si t’es pas 100% d’accord avec leur cause ? »
Quand j’ai annoncé à mes parents que j’étais désormais strictement végétalienne, ils ont appelé ça « ma religion » et toute tentative de dialogue à ce sujet s’est arrêtée là.
Idées reçues sur le militantisme
En fait, cette question est biaisée, puisqu’elle est pleine d’idées reçues sur le militantisme, à commencer par l’évidente « être 100% d’accord avec une cause », ou un groupe de personne. Qui fait ça ? Qui a déjà été entièrement d’accord avec d’autres personnes ? Personnellement, je ne suis pas toujours d’accord avec moi-même, c’est dire si j’en suis loin !
Oui, le militantisme est une forme de lobby, qui oeuvre à promouvoir un modèle de société. Et c’est tout l’intérêt de rejoindre un groupe de personnes qui sont engagées dans le même sens que moi : que ce soit en politique, autour du féminisme ou du véganisme, ces trois entrées soutiennent un projet de changement.
Et oui, le but du jeu est d’avoir un groupe assez grand et assez influent pour pouvoir peser sur les politiques publiques. Par exemple, un décret du Conseil d’État contraint les cantines scolaires à servir de la viande à tous les repas. Les repas végétariens ne sont pas considérés comme des repas équilibrés, alors que proposer une alternative végétarienne dans les cantines pourrait aussi permettre de résoudre les problèmes liés aux différentes religions !
L’Association végétarienne de France milite pour que ce décret soit modifié, et qu’il soit possible pour les collectivités de servir des options végétariennes dans les cantines. Bien sûr que cette action vise à promouvoir un mode de consommation, mais il ne s’agit pas pour autant de faire interdire la viande !
Militer pour un modèle de société ne revient pas à lutter contre tout ce qui ne va pas dans le sens de notre cause ! Il ne s’agit pas « d’imposer » son modèle, mais plutôt de faire valoir au maximum tout le positif qu’on peut en tirer, mis en concurrence avec tous les autres.
Tout n’est pas rose au pays des idéalistes
Bien sûr qu’il y a des extrémistes parmi les militants, des gens engagés corps et âmes au service de leur cause, mais il ne faut pas ramener tout le monde à ce stéréotype.
Bien sûr qu’un lobbying efficace n’est ni une preuve de justice, ni une preuve de légitimité : ce n’est pas parce qu’un groupe militant bénéficie d’une grande exposition médiatique ou d’un fort pouvoir d’influence que leur cause ou leur projet est forcément le meilleur.
Évidemment, les opérations de communication menées par les associations militantes ne sont pas toutes très mesurées : elles visent à convaincre, à surprendre, à interpeller, à choquer, à provoquer l’indignation ou l’adhésion, et sont souvent fort peu nuancées, effectivement.
J’ai beau être une vegan convaincue, si je suis heureuse qu’il existe des organismes aussi impliqués que PETA, je vomis leurs campagnes de communication. Je les trouve offensantes, déplacées, contre-productives, je ne m’y reconnais absolument pas et ne les cautionne pas. Ça prouve bien qu’on peut être d’accord avec une cause, mais pas forcément avec les groupes qui la défendent !
Il n’y a pas que des fails : cette campagne de Greenpeace, adressée à Lego (partenaire de Shell) est plutôt canon.
Juger tou•te•s les militant•e•s d’une cause sur la base des campagnes de communication de leur association, c’est faire preuve de
la même étroitesse d’esprit et du même jugement péremptoire qui sont souvent reprochés aux militant•e•s !
Bien sûr que les milieux militants ne sont pas des paradis où l’harmonie règne et la passion anime le quotidien. Il y a des désaccords internes, ce qui ne devrait pas vous surprendre si vous m’avez suivie jusqu’ici. Il y a des luttes internes pour le pouvoir, des conflits entre idées, entre personnes.
Le microcosme militant reproduit les biais sociaux, à son échelle : abus et lutte pour le pouvoir, compétition, mensonges et manipulation. Mais ce n’est pas vraiment surprenant…
Si tu es militante, tu es déjà actrice, et en rejoignant un groupe militant, tu te retrouves immergée dans un environnement où les gens sont eux aussi engagés, volontaires. Ils ne sont pas là par hasard, et toi non plus. Ce n’est pas étonnant que les travers que l’on observe dans la société en général se retrouvent exacerbés dans l’univers militant : c’est une concentration d’acteurs !
Erin Brockovic, tellement badass.
Engagez-vous !
J’ai pris de la distance avec le militantisme politique parce que j’étais fatiguée de porter l’étiquette aux yeux de mon entourage. Je n’aurais jamais réussi à être prise au sérieux pour mes opinions : ils y voyaient trop souvent « la ligne du parti ». Ils continuent d’ailleurs, et la plupart ignorent que j’ai depuis… changé d’affinité politique !
Je reste militante sur d’autres sujets qui me tiennent à coeur, comme le féminisme. Là encore, il me faut accepter de perdre une partie de l’auditoire, de ceux qui pensent que « je suis militante, alors je ne suis pas objective ».
Flash info : personne n’est objectif, nous sommes des sujets ! Bien sûr que mes convictions sont subjectives, mais elles sont réfléchies, argumentées, et surtout, elles ne sont pas figées. Elles continuent d’évoluer au gré de mes lectures, de mes rencontres et de mes débats.
Mon militantisme a beaucoup contribué à mon développement personnel. Il m’a permis de prendre confiance en moi, d’entendre la contradiction et d’apprendre à remettre en question mes raisonnements, sans nécessairement me remettre perpétuellement en question.
Il m’a permis d’approfondir mes connaissances dans des domaines qui m’ont intéressée, puis passionnée, et continuent de me passionner aujourd’hui.
Et surtout, il m’a permis de faire des rencontres extrêmement enrichissantes, avec des gens aussi engagés que moi, parfois allant à l’encontre de mes propres convictions — et alors ? Ces rencontres-là ont sans doute été les plus intéressantes.
J’ai rencontré des gens qui m’ont inspirée, de véritables exemples qui me rappellent au quotidien que je ne suis pas seule à vouloir faire bouger les choses, et qu’il suffit parfois de quelques bonnes volontés (et de beaucoup d’investissement !) pour provoquer le changement.
Soyez militant•e•s ! Où à défaut, changez vos idées reçues négatives sur le militantisme : nous ne sommes pas tou•te•s des agents endoctrinés, convaincu•e•s de notre supériorité morale. Promis !
Le militantisme n’est pas une religion, les associations et groupes politiques ne sont pas des sectes : si tu n’aimes pas ce que tu y trouves, rien ne t’empêche de partir !
Et toi, quelles sont les causes qui t’intéressent, ou te passionnent ? Es-tu militante ? Pourquoi ?
Des portraits de madmoiZelles militantes :
- Interview d’Ambre, militante au PS
- Interview d’Elsa, militante au NPA
- Interview de Maëlle, militante pour Solidarité et Progrès
- Interview de Camille, militante pour Europe Écologie – Les Verts
- Interview d’Agnès, militante du MoDem
- Interview de Marie, militante UMP
- Interview de Marine, militante au Front National
- Interview de Stéphanie, militante du Front de Gauche
- Interview d’Olivia, militante pour Debout la République
- Entretien avec Iseul, militante Antigone infiltrée chez les Femen
- Mar_Lard et A-C Husson, deux féministes de la nouvelle génération
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Les Commentaires
Et la coïncidence est pas mal du tout, car j'ai eu cette exacte discussion il y a trois jours, avec mon propre compagnon donc c'est dire si c'est une discussion qui compte. Et étant telle que je suis, je ne peux pas m'empêcher de revenir toute seule dans ma tête sur ces discussions par la suite, de me demander si j'ai brandi les bons arguments, si j'ai dit ce qu'il fallait pour bien me faire comprendre... Alors quand je lis cet article, que je vois mes mots (grosso modo) y apparaître, et n'étant plus dans la position de celle qui se juge elle-même mais de quelqu'un qui évalue le discours d'autrui, ben je les trouve justes, je les trouve posés et sincères, je me dis que oui, c'est bien résumé.
Donc merci pour cet article, qui m'a donné confiance en mes propres arguments à chaque fois que je dois me "défendre" d'être engagée ou en tout cas d'avoir un minimum réfléchi à un sujet donné. C'était pas du luxe.