Il suffit de regarder la page d’accueil des plus grands tubes, ces mastodontes du streaming pornographique, pour remarquer une certaine régularité : la plupart des titres parlent de MILF (la Mother I would Like to Fuck, ou la mère que j’aimerais baiser, en version française), ou de « step- brother/sister/mom » (beau-frère ; belle-soeur/mère). Une ribambelle de liens familiaux plus ou moins sanguins ou directs, du gendre idéal à la demi-soeur, avec quelques scénarios qui se répètent : des demi-frères et soeurs qui couchent ensemble, une belle-mère qui apprend la sexualité aux fils et/ou filles de son conjoint, le beau-père qui punit (sexuellement) sa belle-fille… Ces histoires flirtent tant avec l’inceste qu’elles forment ensemble un genre surnommé dans l’industrie pornographique le « fauxceste ».
Dans son classement 2021, le géant PornHub indiquait ainsi que le terme « MILF » était le 4ème le plus recherché à travers le monde, tandis que « stepmom » pour « belle-mère » se hisse à la 7ème place. Cette tendance peut interroger, surtout à lumière de la part des violences (y compris sexuelles) intrafamiliales. En effet, on estime qu’en France hexagonale, près d’une femme sur 10 a fait part de violences sexuelles avant l’âge de 18 ans, selon l’enquête sur les violences et rapports de genre menée par l’Institut national d’études démographiques (INED) et publiée en 2015. Mais alors, qu’est-ce qui explique la fascination pour ce type de scénarios, et leur omniprésence dans la pornographie ?
Le porno, un genre avec ses propres contraintes
Avant de crier à l’abominable influence que ces scénarios porno auraient sur la jeunesse, il convient de remettre un peu de contexte autour du fauxceste. Quand on parle de « stepbro », « stepsister », « stepmom » dans le porno, cela pourrait se traduire en français par beau-frère (au sens par alliance) ou par demi-frère. Dans les deux cas, le porno s’appuie sur l’imaginaire des familles recomposées, et non sur des liens du sang, détaille pour Madmoizelle Carmina, rédactrice en chef du média d’informations autour du porno Le Tag Parfait et directrice du studio de production de pornographie Carré Rose Films :
« Le terme inceste est bien entendu banni de PornHub, du coup les créateurs essayent de détourner ça pour amener le sujet sans y toucher, pour aller chercher le borderline. »
Dans ses conditions d’utilisation, le site indique en effet que les vidéos montrant l’activité sexuelle, avérée ou simulée, de mineurs est interdite, tout comme le mot clé « inceste ».
Il convient également de prendre en compte le fonctionnement même des tubes, ces mastodontes du porno, où la compétition est rude. Chaque studio, créatrice et créateur de contenus adulte tente de se démarquer des autres. Ainsi, si un mot-clé fonctionne, il y a de fortes chances que les productrices et producteurs le mentionnent en titre, même si la vidéo n’a rien à voir, afin de surfer sur sa viralité. C’est ce que nous confirme Ludivine Demol, chercheuse-doctorante en sciences de l’information et de la communication, qui écrit une thèse sur la consommation pornographique des adolescentes dans leur construction identitaire genrée :
« Une même vidéo peut avoir plusieurs titres sur la même plateforme : une même vidéo peut être un « grand-père » qui baise sa « petite fille », un beau-père et la copine de son fils, ou un vieux qui couche avec une écolière. »
Alors que bien souvent, derrière ces titres de vidéos provocateurs, ce sont des couples lambda, qui jouent des rôles pour attirer plus de clics, selon les tags à la mode. En tapant « step » sur PornHub, on arrive à plus de 126.000 vidéos, et 200.000 avec le mot clé « milf ». Mais à y regarder de plus près, pléthore de ces scénarios titrés avec ses mots-dièses n’évoquent véritablement de prétendus liens familiaux, signe qu’il s’agit bien souvent juste de tentatives de surfer sur la vague de viralité de certains tags.
Consciente du loufoque que peut entraîner cet imaginaire, l’industrie du porno pourrait rapidement l’épuiser et passer à une autre tendance, nous explique Carmina :
« C’est un genre qui a conscience du grotesque, et qui en joue. Quand le scénario fonctionne, on va en refaire : on est sur le clic, il faut que l’excitation soit directe, dès le titre. Je pense qu’on arrive vers la fin de cette tendance, ça va bientôt être galvaudé. »
Une culture populaire fascinée par le tabou de l’inceste
Selon la rédactrice en chef du Tag Parfait et directrice de Carré Rose Films, cette tendance du porno entre en résonnance avec la culture populaire. Du baiser de Star Wars (où Anakin embrasse Leia, sa sœur) aux ébats entre frères et sœurs chez Jamie et Cersei Lannister dans Game of Thrones, la pop culture joue souvent sur des liens familiaux parfois trop proches, estime Carmina :
« Si on regarde le Marquis de Sade, il y a des trucs qui sont beaucoup plus crades que sur PornHub, et qui vont chercher beaucoup plus dans la transgression. Le porno ne fait que reproduire des choses en allant plus loin. »
En 1949, Claude Lévi-Strauss publiait Les Structures élémentaires de la parenté, essai devenu une référence en matière d’études sur l’inceste. L’anthropologue y martèle que « la prohibition de l’inceste constitue une règle qui, seule entre toutes les règles sociales, possède un caractère d’universalité ». En gros, l’inceste serait un interdit commun à toutes les cultures humaines. Alors que la parole, mais surtout l’écoute des victimes se libèrent de plus en plus aujourd’hui (en France, Twitter a même connu un #MeTooInceste en janvier 2021, par exemple), ces scénarios de fauxceste interrogent plus que jamais. Mais pour la chercheuse-doctorante en info-com Ludivine Demol, leur popularité tient justement dans le fait qu’il s’agit de fausses transgressions d’un interdit partagé :
« Pour jouir, on a besoin d’un certain cadre : jouir d’un fauxceste n’est donc pas une transgression, puisque c’est quelque chose qu’on apprend très tôt. L’âge, la domination par un lien de famille est une pratique de domination largement répandue. »
Une recherche de tabou, d’interdit sur lequel se nourrit la pornographie, conclut Carmina :
« Je pense que le porno cherche des dynamiques et des déclencheurs d’excitation qui vont faire passer ce sentiment [de tabou interdit]. »
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Crédit photo de Une : Captures d’écran Pornhub.
Les Commentaires
Au delà des scènes familiales , il y a aussi beaucoup de scénario juge/criminel, patron/secrétaire, femme du patron/employé, donc plein de situations avec un rapport de pouvoir ou une tension entre les deux protagonistes pour apporter un supplément d'émotion au film.