Récemment, j’ai pris conscience que j’avais peur. Énormément de peurs. J’ai largement sous-estimé les conséquences que ces peurs avaient dans ma vie, parce qu’elles sont très superficielles, comme la peur d’être en retard, ou au contraire, très profondes — comme la peur de décevoir.
Je suis en pleine réflexion sur ça, sur la place que prennent les peurs dans mes décisions, dans mes choix. Et c’est tout naturellement que je me cherche des inspirations à suivre, en matière de courage.
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J’ai en tête cette citation, dont je ne trouve plus l’origine : « le vrai courage, c’est d’affronter ses propres peurs ».
D’accord, mais ça marche moyennement pour de nombreuses peurs « abstraites ». Comment affronter la peur de décevoir, par exemple ? En faisant exprès de décevoir quelqu’un ? Oui effectivement, personne n’en meurt, ni moi ni l’autre que je déçois, ça ne m’empêche pourtant pas de vouloir fuir ce cas de figure.
Et puis, j’ai trouvé un exemple de courage absolument transcendant. Ça fait des jours que cet article mûrit dans mes tripes, et il est temps qu’il sorte.
Mariam, dans La Belle et la Meute, actuellement en salles
Je vais spoiler un peu La Belle et la Meute, mais d’une part, il est sorti depuis mercredi 18 octobre donc si tu ne l’as toujours pas vu, file au ciné le plus proche et continue la lecture de cet article plus tard.
D’autre part, La Belle et la Meute est tiré d’une histoire vraie, et je ne pense pas pouvoir véritablement « spoiler » ce film en te racontant ce qui arrive à Mariam. C’est plutôt COMMENT elle vit ces différents événements qui serait un spoiler, et c’est parfaitement impossible à raconter : il faut le voir.
Ainsi voilà, la bande annonce.
Mariam : héroïne malgré elle
Mariam a 21 ans, elle fait partie d’une association étudiante qui organise une soirée. Elle y rencontre Youssef, et tous deux partent faire quelques pas sur la plage voisine. Ils s’embrassent… Enfin c’est ce que Mariam racontera en allant déposer plainte, au commissariat du quartier. Ce n’est pas montré, à l’image.
C’est à travers sa plainte pour avoir été violée par trois policiers que Mariam me raconte sa soirée. C’est dans des bureaux décrépis, mal éclairés, avec la pression de ses agresseurs à quelques mètres d’elle que Mariam détaille son viol.
J’ai passé près de deux heures à souffrir en même temps que Mariam, devenue l’avatar de mes angoisses, projetées sur l’écran géant.
Elle m’entraîne dans le choc, dans la peur, dans la douleur, dans la honte, dans l’impuissance, dans la colère. J’ai envie de me lever dans la salle de cinéma, de hurler, de jeter des objets contondants contre l’écran.
Mais je reste assise et je me tais, je pleure en silence et en serrant les dents, parce que ça ne se fait pas, de taper un scandale dans une salle de cinéma. Et que ça ne sert à rien surtout, c’est pas l’endroit, c’est pas le moment, c’est pas justifié de hurler ma colère à ce moment-là.
La détermination de Mariam mise face à mon impuissance
Je reste assise et en silence, comme très souvent dans ma vie, dans la société, même quand les injustices me font serrer les dents, et m’arrachent quelques larmes.
Même quand tout autour de moi, je lis sur les visages des autres la même colère, le même choc, les mêmes larmes aussi, parfois.
On reste assises et en silence, parce que ça ne se fait pas de se lever maintenant, et puis pour dire quoi, d’abord ?
À l’écran, Mariam aussi subit tout ce qui lui arrive. Le viol. Les refus de prendre sa plainte. Les refus de l’examiner. Les refus de l’entendre, les refus de la respecter. Les refus de l’aider. Les refus de défendre ses droits.
Elle remet nerveusement en place son décolleté et ses bretelles, même quand elles ne bougent pas. Comme un geste nerveux pour rester à sa place. Si seulement elle était plus couverte que ça… On lui prête un voile dans lequel elle s’emmitoufle, mais ça n’empêche pas les regards, les insultes, les gestes…
Quand Mariam décide de se lever contre la Meute
Et puis, il se passe quelque chose dans l’attitude de Mariam. Un changement que j’ai mis plusieurs jours à comprendre, à imprimer en moi-même.
Elle décide d’arrêter de subir. Ça paraît complètement ahurissant, on ne peut pas décider d’arrêter de subir, c’est antinomique. Subir, c’est justement ne pas avoir de pouvoir sur ce qui nous arrive.
Et pourtant je la vois, à l’écran, cette actrice qui donne chair à mes propres angoisses, à ma propre colère : elle se lève, noue son voile en cape de super-héroïne sur ses épaules, et décide d’arrêter de subir les événements.
Elle n’est plus baladée d’hôpital en commissariat, elle décide de porter plainte, et ni la peur ni la honte ni les menaces ne la feront changer d’avis.
Mariam m’a inspiré quelque chose de très fort, dans ce film : un profond respect pour toutes celles qui ont le courage de se lever, et de rester debout.
Le courage de celles qui partagent leurs #MeToo, et refusent d’en avoir honte
Ironie de l’actualité, j’ai vu La Belle et la Meute en avant-première au CinémadZ, quelques jours avant que n’éclate la fameuse affaire Harvey Weinstein, qui allait déclencher une vague de témoignages sans précédent au sein de la société.
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#MeToo, moi aussi, répondent des milliers de femmes sur les réseaux sociaux, en témoignant des agressions sexuelles dont elles ont été victimes, parfois très jeunes, parfois très récemment.
J’ai vu dans leurs témoignages le même courage que j’avais vu dans le rôle que Mariam Al Ferjani incarne superbement dans La Belle et la Meute : celui d’une femme frappée par les violences sexistes et sexuelles, qui se relève et décide de se battre.
Je les regarde toutes et je me dis que si elles sont aussi nombreuses à avoir ce courage, je dois pouvoir le trouver en moi aussi, quelque part, sous la peur, sous la honte et l’humiliation, sous la colère, sous les larmes.
Si Mariam arrive à se lever, alors qu’elle est enfoncée plus bas que terre, alors qu’elle a subi des violences dont j’ai été épargnée, je dois pouvoir moi aussi réussir à rester debout : je pars de beaucoup moins loin qu’elle.
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Le courage de se lever, dans cette salle de cinéma
Dans la vie non plus, ça ne se fait pas de se lever et de donner de la voix pour protester. Ma vie ressemble beaucoup à une salle de cinéma : je reste assise, je réagis en silence au fond de moi, je serre les dents et les poings, je ravale mes colères et mes larmes.
Parce que c’est jamais le moment de protester, j’ai toujours peur de déranger, et je vais pas causer un scandale si c’est pour le regretter et changer d’avis avant d’avoir obtenu ce que je voulais. C’est fatigant de se battre. C’est confortable de rester assise dans un fauteuil de cinéma, de regarder les images défiler devant moi.
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Ces dernières semaines, c’est comme si les actrices qui me faisaient rêver étaient sorties de l’écran pour venir me dire qu’on avait toutes le droit de prendre la parole et de dénoncer ce qui n’aurait jamais dû être accepté, au sein de notre société.
J’ai beaucoup pensé au courage de Mariam, et j’ai décidé de me lever, avec toutes les autres. Et oui, ça fiche le vertige, d’être debout, tout à coup. Mais le monde est en train de changer, et je n’en peux plus de rester assise.
Bien entendu, loin de moi l’idée de donner une définition exclusive du courage, ou d’ériger l’exemple de Mariam en unique exemple d’empouvoirement à suivre. La Belle et la Meute m’a donné une véritable leçon du courage : pas une injonction à me lever, mais bel et bien un exemple, dans lequel j’ai pu puiser une force qui me manquait. Le courage de se lever, et celui de rester debout, quoiqu’il arrive.
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