Il y a des gens dont le parcours professionnel est bien réfléchi et tout tracé. Des gens qui, très tôt, savent à quelle voie ils se prédestinent et qui, sitôt leur premier diplôme décroché, ont une idée bien précise du parcours à suivre pour parvenir à leurs fins. Avoir un objectif professionnel, c’est beau. Ça me rappelle mes années fac où tout le monde bossait très dur dans l’espoir de devenir un jour enseignant-e ou avocat-e (ou psy pour ceux et celles qui avaient queuté leur première année de droit puis leur première année de lettres et qui ne s’avouaient pas vaincu-e-s). Aujourd’hui encore il m’arrive de croiser d’anciennes connaissances de ce genre et je suis toujours sidérée de me dire que ouais, eux, ils l’ont fait, ils sont allés jusqu’au bout du truc et sont parvenus à exercer la profession qu’ils s’étaient déjà fixée en classe de 4èmeB lors de leur première rencontre avec la conseillère d’orientation (celle-là même qui m’avait conseillé d’étudier les langues et qui me voyait bien faire du tourisme tout autour du monde, alors que mon objectif de vie se résume finalement à m’éloigner le moins possible de ma Lorraine natale, la vanne).
Il y a donc ceux qui sont quasiment nés avec un projet de carrière bien défini, un peu comme si on leur avait implanté une puce à la naissance, définissant le job auquel ils seraient voués. Et puis il y a les gens comme moi, les qui-s’en-foutent, les pas carriéristes pour un rond qui, indifféremment, se contentent de choper les jobs qui se présentent en se disant que même si ça ne fait pas rêver, ça remplit toujours le caddie et ça paye la facture de fuel à la fin du mois.
Depuis que je suis en âge de travailler, j’ai dû changer de job une bonne dizaine de fois, passant d’un emploi à son contraire sans me poser trop de questions, à mesure que les occasions se sont présentées. J’ai servi des hamburgers dans un célèbre fast-food à la mascotte clownesque totalement flippante, j’ai vendu des crédits à la consommation à des smicards obsédés par l’acquisition d’un nouvel écran plasma, j’ai fait la maîtresse d’école et enseigné le français et l’histoire à des ados, j’ai fourgué des abonnements presse à des étudiants fauchés, j’ai passé mes week-ends à biper des code-barres à la caisse d’un supermarché, j’ai vendu des canards vibrants dans des réunions Tuppergode, j’ai nettoyé les WC d’un service psychiatrique (et croyez-moi, vous n’avez pas idée de ce que certains malades mentaux sont capables de faire avec une brosse à chiottes et leur caca), j’ai donné la douche à des vieux messieurs qui ne manquaient pas de manifester leur joie de se voir savonner l’entrejambe par une jeune fille en blouse blanche, j’ai empilé des cartons dans les rayons d’un magasin de meuble, j’ai encaissé des clientes au rayon lingerie d’un grand magasin, j’ai été testeuse pour une enseigne de sextoys et maintenant, je joue à la marchande dans mon petit magasin tout en écrivant des piges à droite et à gauche (surtout à gauche), et pour la suite, on verra.
Je n’ai jamais eu de véritable projet professionnel et n’en aurai donc probablement jamais, vous l’avez compris. Cela dit, aussi loin que mes souvenirs me portent, je me rappelle avoir toujours changé d’envies et de projets, aspirant tous les trois jours à un nouveau métier. Et quand j’y repense, même si je ne regrette aucun des jobs que j’ai pu accomplir, aussi chiants et ingrats furent-ils parfois, je reste amère en repensant aux métiers que je rêvais d’exercer quand j’étais môme. Car quand j’étais petite, je ne voulais pas seulement être Jedi, je voulais aussi devenir…
Top model
Je suis née au tout début des années 80, ce qui signifie que j’ai grandi à une époque où une certaine Cindy Crawford faisait fantasmer la Terre entière, bientôt suivie par une certaine Claudia Schiffer et autres égéries de cette nouvelle génération de mannequins auxquelles les ados et les petites filles rêvaient toutes de ressembler. L’une épousait le prince charmant de Pretty Woman, la seconde s’envoyait un magicien capable de voler, sans déconner, ces filles-là avaient vraiment tout pour être heureuses. Ainsi, mon objectif devint-il, du haut de mes neuf ans, de devenir moi-même top model. Rien que cela, oui. Les brushings et maquillages en coulisse, les robes de grands couturiers, les séances photo, les couvertures de magazines, les pubs pour les shampooings qui font les cheveux doux et les crèmes anti-rides pour celles qu’ont pas de rides, voilà un programme que je jugeais fort satisfaisant, un projet de vie qui, pour être honnête, me tentait bien. Et évidemment, la perspective de pouvoir moi aussi dégoter un jour un mari qui vole ajoutait à ce choix de carrière.
Et puis un jour, la crise d’appendicite se pointa, mettant entre parenthèse ma carrière de future apprentie mannequin chez Elite, et m’obligeant à passer sur le billard le jour même, sans que j’aie eu le temps de finir mon découpage de photos de Cindy, Claudia et autres Naomi dans les Téléstar des semaines passées. Et ce jour-là, alors qu’on m’installait en vue de me retirer cette vilaine appendice qui freinait ma carrière de sex symbol international, je fis la connaissance d’un anesthésiste qui, soucieux de mettre en confiance l’enfant que j’étais, se mit à me faire la conversation. « Tu es en quelle classe ? Ah, le CE2, c’est bien ! Tu as des animaux chez toi ? Non, tu es allergique ? Ah, c’est pas d’chatte. Et quand tu seras grande, tu veux faire quoi comme métier ? Ah, mannequin. Ah. Bon ». Silence… « Mais tu sais que pour être mannequin, il faut être très jolie ? Oui, tu sais ? Bien. Mais vraiment, il faut être très, très jolie hein ». Et tandis que me gagnaient les premiers effets de l’anesthésie, je réalisais que pour la première fois de ma vie, un adulte venait de mettre fin à mes rêves de carrière en m’expliquant, avec un tact tout relatif, que j’étais trop moche pour réussir. Merci monsieur l’anesthésiste de m’avoir ouvert les yeux sur le fait que j’étais vilaine, sans ça j’aurais peut-être bien persévéré et poursuivi mon rêve pour finir par être mannequin moche et à tous les coups, j’aurais jamais dégoté de mari volant.
Mascotte
Ayant ainsi vu mes rêves de podiums, de haute couture et de célébrité s’effondrer, j’ai songé à me diriger vers une profession me permettant de camoufler cette infirmité soulignée par le gentil anesthésiste, et qui m’aurait valu d’être recalée d’office au concours Elite Model Look. La perspective de devenir mascotte dans un parc d’attractions me parut alors plutôt chouette car imaginez, cela m’aurait permis de me balader, tous les jours de l’année, totalement GRATOS, dans un parc d’attractions, lieu tant convoité auquel je n’accédais alors qu’une fois dans l’année, à la condition de ramener un bon carnet de notes (par chance, j’avais beau être moche, j’étais néanmoins très fortiche en classe). Je me voyais déambuler dans les vastes allées, entre la grande roue et les roller coasters, dans un beau costume de kangourou ou mieux, d’Euromaus, prenant la pose au côté des visiteurs pour immortaliser leur visite sur un cliché Polaroïd vendu à un prix exhorbitant.
Néanmoins, j’émettais quelques réserves quant à une hypothétique carrière de mascotte en peluche et prenais en compte les menus inconvénients qui, à la longue, me semblaient autant de désagréments quotidiens propices à ruiner le moral de toute Euromaus, aussi motivée soit-elle. La température à l’intérieur du costume par temps de canicule, le temps requis pour se défaire de son accoutrement en cas d’envie urgente de faire pipi ou pire, de gastro-entérite explosive, et puis surtout, être payée à errer dans les allées d’un parc sans avoir droit à aucun tour de manège ni cornet de glace à trois boules, n’est-ce pas comme être attablée devant un plat de cookies encore fumants sans avoir le droit d’y goûter ? Je concluais donc qu’une carrière de mascotte n’était finalement pas une sinécure d’autant que la gloire anonyme que j’en retirerais (on se fout bien de savoir qui se trouve à l’intérieur du costume) ne m’aiderait assurément pas à trouver un mari doté de super-pouvoirs.
Éboueuse
J’envisageais donc de me destiner à une carrière qui, à défaut de m’apporter l’amour et la gloire (et la beauté, vous l’aurez bien compris), me permettrait de partir à l’aventure vers de nouveaux horizons. Devenir pirate et embarquer à bord d’un navire bermudien ? Emporter mon scaphandre sous le bras et m’engouffrer à bord du Nautilus pour côtoyer les monstres marins ? Réussir le concours de la NASA et devenir la première mascotte ratée à mettre un pied sur la lune ? Non, tout cela me semblait surfait. Le seul véhicule digne de faire battre mon coeur d’aventurière, plus incongru qu’une navette spatiale et drôlement plus marrant qu’une voiture de courses, n’était autre que le camion des éboueurs.
Le camion à poubelles, a.k.a. ce véhicule magique qui permet à ses passager-e-s de voir le monde debout à l’arrière de la benne, se cramponnant avec nonchalance à une barre, quand le commun des mortels est condamné à faire des trajets assis et harnaché d’une ceinture de sécurité. Imaginez que pour une gamine haute comme trois pommes non autorisée à rester debout dans la voiture familiale (Citroën BX, la classe), la simple idée de voyager dans cette position avait des relents d’aventure. Ajoutons à cela l’opportunité de rester en extérieur, à l’arrière d’une véhicule, tout en posant un regard quasi méprisant sur les pauvres diables enfermés dans leur voiture, voilà qui me paraissait jouissif au point de vouloir en faire une profession. Mais ma carrière d’éboueuse fut hélas prématurément avortée lorsque je me pris d’une passion finalement tout aussi portée sur l’amour des poubelles : le ménage.
Femme de ménage
À l’école, rien ne me faisait plus plaisir que le jour où mon nom était inscrit sur le tableau des corvées. Je ne sais pas si cela se fait encore de nos jours mais de mon temps, au siècle dernier donc, les instituteurs avaient coutume d’investir les élèves de petites missions afin de les responsabiliser et de leur faire prendre part à ce qu’ils aimaient appeler la « vie de classe ». Chaque semaine, un binôme était désigné pour entretenir la salle de classe : arroser les plantes, laver le tableau noir avec un chiffon humide, vider les corbeilles de papier (et récupérer au passage les vieux chewing-gums à condition qu’il ne soient pas trop mâchés, faut pas rigoler) et puis bien sûr, taper les grosses éponges à craie sur le mur extérieur pour les dépoussiérer. Je me rappelle que lorsque mon tour venait, je m’adonnais à ce petit rituel avec une satisfaction sans bornes, m’écriant parfois « C’que c’est marrant de laver les choses et de faire en sorte que tout soit bien en ordre ! J’pourrais bien faire ça TOUT L’TEMPS ! »
Je m’imaginais plus tard en VRAIE femme de ménage, avec mon petit chariot-poubelle sur lequel j’aurais bien rangé mes flacons de détergent et mes éponges classées par tailles et couleurs. Et puis j’ai grandi. Et aujourd’hui, lorsque le soir vient et que je fais sécher ma quatrième lessive de la journée, que j’ai changé les draps de cinq lits, récuré la merde laissée dans les toilettes, ramassé une demi-douzaine de paires de chaussettes et autant de serviettes de toilettes abandonnées un peu partout, que j’ai vidé deux poubelles et un seau de compost, repassé trois bassines de linge et pleuré parce que les enfants venaient d’écrire à la craie grasse sur le carrelage tout juste lavé, je me maudis moi-même. Je me maudis et je me dis qu’à 9 ans, lorsque l’idée m’a pris de prier le bon Dieu (j’étais très dévote à cet âge là) pour qu’il fasse que plus tard, je devienne femme de ménage, j’aurais mieux fait de me casser les deux jambes. Car figurez-vous que pour une fois, le bougre m’avait entendu. Rien qu’une fois dans ma vie, le bon Dieu a réalisé ma prière, oui, alors que la fois où j’ai prié pour que ma mère m’emmène voir Patrick Bruel en concert, eh bien il s’en tamponnait pas mal, Dieu le Père. Pour Patriiiick, personne, par contre pour exaucer le voeu d’une chiarde qui veut être femme de ménage, y a du monde hein. Sûre que ce jour-là, ils ont dû bien se poiler au Paradis. Y a peut-être même un ange qui a dit au Bon Dieu « Hé, viens voir par là, y a une gamine qui prie pour passer sa vie à faire la ménage, han la conne ! Allez viens quoi, on l’exauce, juste pour rire ! ».
Mais comme les voeux ne sont jamais exaucés qu’à moitié, Dieu a fait de moi une femme de ménage non rémunérée, ce que l’on qualifie plus coutumièrement de bonniche, qui passe le plus clair de son temps à ranger et laver le merdier des porcs avec lesquels elle vit (non non je ne suis pas du tout en train de craquer mais si j’en ai fortement l’air). Et croyez bien que plus de vingt ans plus tard, la perspective de classer les détergents et les éponges par couleurs ne me fascine plus du tout, vraiment. Quant à la religion, depuis ce sordide incident, je m’en suis détournée, j’avoue.
Fille de joie
Comme d’hab, je vous ai gardé le meilleur pour la fin : quand j’étais petite, je voulais être pute, oui madame.
C’est le moment ou les haters et autres trolls vont surgir et dire « Hey mais grosse, t’as réussi, tu ES une pute ! », et on va tous rire ensemble bien fort pour leur faire plaisir. Mais un peu de sérieux voulez-vous.
Quand j’étais petite, je voulais être prostituée pour une seule et bonne raison : je ne savais pas en quoi consistait le métier de prostituée. J’avais simplement vu des téléfilms historiques ou des adaptations de classiques de la littérature, dans lesquelles certaines scènes se tenaient dans des bordels. J’avais ainsi très vite compris le principe de la putain qui se faisait payer par des messieurs, ça oui. La seule chose qui m’échappait était précisément l’objet dudit paiement, oui je sais, c’est ballot. Le fait est que dans ces séquences, le bordel était présenté comme un endroit gai, joyeux, festif et coloré, dont on ne voyait finalement que l’antichambre, ce grand salon feutré ou la maquerelle jouait du piano et servait des brandy à d’élégants messieurs moustachus qui faisaient danser de jolies filles tout en riant très fort. Les « employées » étaient toutes mignonnes et vêtues de fanfreluches, portaient des jupons vaporeux et des corsets satinés, des boas en plumes et des colliers gigantesques.
De ce point de vue, pour une enfant d’une dizaine d’années, reconnaissez qu’il n’y a guère de différence entre une putain et une princesse. Ainsi, dans mon infinie candeur, je pensais qu’être pute consistait à se mettre à la disposition de messieurs un peu déprimés qui viendraient au bordel pour danser, rire à gorge déployée, faire des rondes, boire des liqueurs et s’extasier devant ces jolis coups dénudés. Je me disais : « Oh chic alors, ce doit être si bien d’être payée pour se faire belle, pour faire la fête, rire avec de gros messieurs, danser avec ses copines et servir du champagne dans une robe de bâââl ! ». Par chance, j’ai gardé ce projet professionnel secret, car imaginez si je m’étais pointée auprès de ma mère en lui disant : « Maman, quand je serai grande je voudrais être une putain ! ». Et puis en grandissant, j’ai percé le secret des bordels. Comment, il y avait donc AUSSI des chambres et on ne m’en a pas parlé ? L’univers du bordel ne se résumait pas au salon feutré, aux gros fauteuils de velours et aux petites sauteries improvisées autour du vieux piano ? Et dans les chambres, on y faisait autre chose que danser la queue-leu-leu (enfin, pas cette queue-leu-leu là) ? Des choses que le curé aimerait pas trop qu’on évoque quand on va au catéchisme le dimanche avant la messe (à part peut-être celui de Camaret) ?
Je me suis sentie trahie. Et je me notai dans un coin de la tête : « Note pour plus tard : se méfier des gentils garçons qui te payent des verres et veulent danser avec toi parce qu’après ils veulent t’emmener dans une chambre pour voir ton frifri ces PORCS ». Porcs étant, dans ma tête, souligné au Stabilo Boss jaune fluo (qui ne maîtrise pas la technique du surlignage mental ne sait pas ce qu’il perd). J’apprenais aussi que la bienveillante maquerelle prenant soin de ses putains comme s’il s’agissait de ses propres enfants prenait plutôt, dans la réalité, des airs de gros mafieux tendance tabasseur rackettant tout bonnement les honnêtes travailleuses. La vérité s’étant ainsi dévoilée toute nue devant mes yeux innocents, je décidai donc de renoncer sur le champ à ma carrière de prostituée, et on en est tous très contents.
Voilà comment mes rêves de gloire, de paillettes et de poubelles se sont envolés, à mesure quel l’innocence de l’enfance fait place à la dure réalité de la vie (cette phrase est si belle, on dirait du Hondelatte). Alors aujourd’hui, à défaut d’être une joyeuse putain qui ne couche pas, une aventurière en camion-poubelle, une reine de la propreté sur M6 ou la star des podiums, je pollue l’Internet de mes chroniques et j’aime ça. Cela dit, autant profiter de la visibilité que m’accorde madmoiZelle en ce jour béni : si parmi nos lecteurs se trouve un homme volant quel qu’il soit (David Copperfield, homme chauve-souris…), merci de m’envoyer un email, la rédaction transmettra. De même, si tu es du genre à en avoir un gros (je parle de camion-poubelle), cela m’intéresse aussi. Et en attendant la semaine prochaine : Paix et Félicité !
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Les Commentaires
Lorsque j'ai découvert les Sims 1, j'ai décidé que mon bonheur se trouvait dans la carrière de maçon !