Jamais plus d’une dizaine lors qu’elles se réunissent dans la rue. Les Mères Veilleuses revendiquent un militantisme calme et sans hystérie.
« Nous essayons d’amorcer la conversation avec les passants, raconte Sarah*, 48 ans, Mère Veilleuse à Paris. « Le but n’est pas de brutalement les convaincre d’adhérer à nos idées, mais plutôt de les persuader à comprendre l’importance des droits des enfants. »
C’est que, de l’avis de ces prêtresses de la filiation, « exposer les arguments en faveur de la stabilité d’une famille « papa-maman » rend irréfutable l’opposition à la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels ».
Après réception d’une autorisation préfectorale, les Mères Veilleuses choisissent à chaque fois d’occuper un espace central de la ville dans laquelle elles interviennent, afin de se rendre visible à la fois des badauds et des médias locaux.Jour et nuit, elles proposent un espace de discussion discret et durable.
« Ça change des manifestations, où personne ne convainc personne. Nous préférons à ces mouvements de masse les rassemblements organisés, ponctuels et sans débordement », poursuit Sarah.
*prénom changé
Apolitiques et aconfessionnelles, mères avant tout
Sur leur site Internet, les Mères Veilleuses se présentent comme « le phare qui veille sur la filiation humaine ». Pour Corinne, 55 ans, Mère Veilleuse à Bordeaux, « l’effusion de joie que le mariage pour tous a généré a complètement éclipsé un droit fondamental à toute société qui se respecte : celui des enfants ».
Quand on demande à la militante ce que le mouvement espère mettre en œuvre maintenant que la loi est passée, la réponse va jusqu’à prendre des accents historiques :
« Je vais citer Patricia Soullier, porte-parole de la Manif pour Tous, qui affirmait fermement – et je suis tout à fait d’accord avec elle : nous resterons mobilisés tant qu’il le faudra, c’est comme pour le mur de Berlin, s’il faut des années pour faire tomber cette loi, nous continuerons. »
Si une majorité de ces militantes sont vraisemblablement de confession chrétienne, le mouvement des Mères Veilleuses, lui, ne revendique aucune religion officielle ou appartenance à un parti. Pour Christine, 41 ans, le seul vrai statut fédérateur est celui de « mère » :
Sylvie, 44 ans, insiste sur l’idée qu’il s’agit moins d’être contre l’amour entre personnes de même sexe que pour « le respect du ventre des femmes» :« En tant que mères, nous avons compris l’importance d’éduquer nos enfants à être de futurs adultes, stables et heureux. Au cours d’une nuit de veille, j’ai pu discuter longuement avec un jeune homme né sous X, qui m’a raconté être totalement perdu face à son identité. Comment ne pas le comprendre ? Savoir d’où l’on vient est primordial pour savoir où l’on veut aller… »
« Je ne doute pas qu’un couple homosexuel peut avoir envie, comme tous les couples, d’élever et de voir grandir un enfant. C’est évidemment le plus beau cadeau que la vie puisse vous donner. Mais quand biologiquement, la vie ne vous permet pas d’enfanter, il devient dangereux de vouloir modifier cette réalité naturelle. »
Ainsi, pour les Mères Veilleuses, la gestation pour autrui (GPA) et la procréation médicalement assistée (PMA) posent deux problèmes : d’un côté, la marchandisation du ventre de la mère, de l’autre, le bafouage du droit de chaque enfant à avoir un papa + une maman.
Un bafouage que ces opposantes au « droit à l’enfant » pour les couples de même sexe craignent de voir massivement se généraliser. En effet, si le recours à la procréation médicalement assistée est pour l’heure réservé aux couples hétérosexuels stériles, un élargissement du droit à la PMA constituerait un problème éthique pour la société (sic), arguent les Mères Veilleuses . Mais l’infertilité sociale des couples (de même sexe) n’est-elle pas une forme d’infertilité médicale (comme chez les couples hétérosexuels stériles), qui justifierait le droit à la PMA ? Selon Sylvie, la réponse est définitivement non :
« La PMA pour les hétéros relève d’une médecine réparatrice : dans la logique, c’est reconnaître que la nature permet normalement aux hétéros de procréer, mais que cette nature est parfois faillible, alors on intervient scientifiquement pour la corriger. La PMA pour les homosexuels, c’est autre chose ! Elle est conceptuellement non-naturelle puisque faire un enfant avec une personne de même sexe est de fait biologiquement impossible… A-t-on vraiment envie que la société tombe dans un transhumanisme sans limite ? »
Une dialectique difficilement défendable aux yeux des partisans du droit à l’enfant pour les couples homosexuels, qui estiment que cette vision naturaliste de la filiation défendue par les Mères Veilleuses manque cruellement de réalisme (le géniteur n’étant pas nécessairement parent, même chez les couples hétérosexuels).
Une contestation qui se veut paisible
Pour changer le visage de l’opposition au mariage pour tous, les Mères Veilleuses s’étaient déjà jointes aux jeunes Veilleurs, lors d’un grand sitting pacifique.
La plupart étudiants des beaux quartiers et mères catholiques, les militants veilleurs s’étaient retrouvés sur l’esplanade des Invalides, à Paris. Charles, l’un des instigateurs du mouvement, avait alors insisté auprès de l’AFP :
« Nous ne sommes affiliés à aucun parti ni à aucune religion. Nous veillons à ce que les textes lus [qui vont de Aragon à Charles Péguy en passant par Martin Luther King] soient d’inspirations variées, pour faire une sorte de pot-pourri culturel. »
Une écharpe blanche en bandoulière, à la manière des élus, les Mères Veilleuses, elles, mettent en garde contre les « effets pervers » de la PMA tout en s’assurant de ne pas être mal comprises des passants.
En effet, pour Claire, 39 ans, s’engager auprès de « ces militantes qui veulent apaiser le débat » est l’occasion de prouver quotidiennement que l’on peut être « pour les droits des enfants sans être homophobe » :
« Les médias ont vite catalogué les opposants au mariage pour tous comme étant de gros homophobes. Stratégiquement, les journaux ont préféré mettre de l’huile sur le feu en rapportant essentiellement les propos des plus extrémistes d’entre nous.
Mais les extrêmes ne représentent jamais le peuple : c’est pourquoi les Mères Veilleuses veulent aujourd’hui prouver qu’il est possible de remettre en question la PMA sans être viscéralement contre l’amour gay ou lesbien. »
La PMA, une promesse de campagne de Hollande qui ne sera peut-être pas respectée
Pour l’heure, alors que les premiers mariages homosexuels sont célébrés, la question de la PMA reste, elle, en suspens. En effet, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a choisi de reporter les États-généraux sur la PMA (initialement prévus pour octobre ou novembre) à début 2014.
« Nous sommes déjà en train de travailler sur ceux sur la fin de vie […] on ne peut pas faire des États-généraux sur tout en même temps » a expliqué Jean-Claude Ameisen, président du CCNE, sur RMC ce mardi 2 juillet.
En mars, François Hollande avait déclaré qu’il « respectera[it] ce que dira » le CCNE. Pour Marine Rome, membre du collectif OuiOuiOui qui milite pour la PMA, ces rebondissements ne présagent rien de bon. Sur Le Plus du Nouvel Obs, la militante regrette :
En effet, la question de la PMA a été un vrai clou dans le pied de l’exécutif ces derniers mois. Si l’ouverture du mariage et de l’adoption aux homosexuels ne fait pas débat au sein du PS, l’accès des couples de femmes à la PMA, lui, fait encore des remous.« Nous ne demandons rien d’autre que ce qui nous a été promis : la procréation médicalement assistée figurait dans les promesses de campagne de François Hollande et du Parti Socialiste en 2012. »
Alors qu’une large majorité des parlementaires socialistes se sont prononcés en décembre dernier en faveur d’un amendement sur le PMA dans la loi sur le mariage pour tous (le texte aurait ainsi permis à une lesbienne mariée d’adopter l’enfant de sa campagne né d’une PMA à l’étranger), l’exécutif, lui, s’y était opposé.
Et pour cause : à Matignon, il a été estimé à l’époque que « le débat n'[était] pas mûr. Le mariage est bien compris, l’adoption un peu moins, mais la PMA non ». C’est après une manifestation des opposants au mariage pour tous que François Hollande a alors promis de s’en remettre à l’avis du CCNE, qui ne devait être que consultatif à l’origine.
« Les autorités religieuses y sont représentées […] je réfute la légitimité d’un tel comité pour décider du sort de la PMA », s’indigne Marine Rome.
Quant à la GPA, rappelons que François Hollande s’est prononcé sans la moindre ambiguïté contre sa mise en oeuvre.
En attendant, les Mères Veilleuses veillent toujours aux quatre coins de la France.
« On se fait parfois cracher dessus ou insulter », concède Christine.
« Mais notre mot d’ordre est clair : ne jamais répondre aux attaques violentes. Nous, on est seulement là pour discuter… Et je peux vous dire qu’on arrive à en convaincre, des gens ! Vous verrez… Les Français finiront par comprendre que l’amour homosexuel ne doit pas se faire au détriment des droits des enfants. Le mariage pour tous est peut-être passé, mais pour la PMA, c’est No pasarán ! »
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
http://revdh.files.wordpress.com/2013/06/7seminairecatto1.pdf
Concernant l'intérêt thérapeutique d'autrui que tu soulignes, l'infertilité est classée comme maladie par l'Organisation Mondiale de la Santé. Or en matière de thérapie, il y a les soins curatifs mais aussi les soins palliatifs. L'Assistance Médicale à la Procréation dont fait partie la GPA s'inscrit clairement dans cette catégorie. La cause première de l'infertilité n'est pas soignée mais contournée par un moyen palliatif. La GPA s'inscrit bien dans cette catégorie de bénéfice thérapeutique pour autrui.
On peut d'ailleurs faire la remarque que la loi française prévoit exactement le même raisonnement pour les essais cliniques de validation des nouveaux médicaments et prévoit même une compensation financière pour les personnes qui les font. Serait-il moins digne d'aider un couple qu'un laboratoire lorsqu'on implique son corps ? On voit là me semble-t-il le côté idéologique de la loi française et de son interprétation.