Je déborde d’émotions toutes plus contradictoires les unes que les autres à l’égard de mes parents, et surtout de ma mère. C’est le cas pour beaucoup d’enfants bien sûr, surtout à l’adolescence. Mais je pensais que cela disparaissait en grandissant… sauf que les choses ont tourné différemment pour moi.
Le divorce de mes parents
Si aujourd’hui ma relation avec mes parents est compliquée, ça n’a pas toujours été le cas. Enfant, je vivais plutôt bien dans cette famille où tout le monde idolâtrait papa, et où maman était ma maman mais aussi un peu la protégée de papa, comme moi. Jusqu’à l’adolescence je n’ai donc eu confiance qu’en mon paternel, ayant des relations plutôt distantes avec ma mère qui devait de toute façon s’occuper de mon frère plus jeune de 4 ans.
Puis quand j’ai eu 15 ans, le foyer a éclaté : ma maman a retrouvé son amour de jeunesse et s’est enfuie avec lui. Colère, rage, désespoir… il était hors de question que je lui parle. Pour moi, si notre famille était détruite, c’était de sa faute. Par la suite j’ai plus ou moins renoué de très (très très très) fragiles liens en dents de scie avec elle car je vivais avec mon papa qui était sincèrement convaincu que ma relation avec elle me blessait. Ce en quoi je croyais bien évidemment, puisque j’avais une confiance aveugle en lui ; s’il le disait, c’était vrai.
À lire aussi : Comment l’infidélité de mon père a bouleversé ma vie – Témoignage
Je passerai sur l’état dépressif dans lequel je me suis retrouvée en pleine adolescence pour parler de l’âge adulte. À la veille de mes 18 ans, j’ai pu quitter le conflit parental et emménager chez moi pour commencer mes études. Là, beaucoup de choses se sont arrangées. J’ai connu beaucoup de disputes avec mon père, mais ma relation avec ma mère a pu se construire.
Ces disputes avec mon père étaient pour moi dues au fait qu’on ne savait pas comment avoir une relation saine. Il me reprochait de ne pas prendre assez de ses nouvelles, de ne pas être suffisamment proche de mon petit frère, de ne l’appeler que pour des questions financières. Et c’était vrai, mais je ne savais pas — et ne sais toujours pas — comment avoir une relation avec lui : nous vivons dans deux monde totalement séparés et n’avons que peu de points communs, même si je sais qu’il essaye (plus que moi d’ailleurs).
J’avais la sensation qu’il jugeait chacun de mes choix et ne savait me faire que des reproches ; la sensation aussi qu’il voulait contrôler ma vie. Loin de la maison je respirais enfin, je n’avais plus de pression, je prenais ma vie en mains.
À lire aussi : Génération Mad n°3 – Ça t’a fait quoi de partir de chez tes parents ?
La vie a continué et le divorce s’est terminé, mais maman réclamait des sous à papa, qui les lui devait selon le juge. Sauf que papa ne voulait pas les donner par fierté (et parce qu’il ne les avait pas forcément, ou ne voulait pas les avoir), alors maman a fini par envoyer des huissiers. Donc sans que maman soit au courant, papa a vidé la maison, l’a abandonnée et est parti vivre en bateau, emportant avec lui son amie et mon frère adolescent (aujourd’hui tout juste majeur).
Une relation avortée
Au début j’ai été très en colère contre ma maman, qui l’a très mal pris, et on a eu une grosse discussion. Ensuite les choses se sont calmées, et tout allait un peu mieux : je l’ai même invitée à venir passer un week-end chez moi. Pendant un an elle m’a appelée une fois par mois et je lui téléphonais quand j’avais un coup de blues. J’avais enfin une relation posée avec ma mère, une relation mère-fille.
Et puis un jour, j’ai voulu lui téléphoner pour lui annoncer que j’avais réussi à obtenir une mention bien pour mon M1, mais à la place de ma maman, c’est une boîte vocale qui a répondu « Ce numéro n’est pas attribué ». J’ai alors pensé qu’elle avait dû changer de portable, donc j’ai appelé le fixe… J’ai eu le même message. J’ai appelé mes grands-parents maternels pour leur demander s’ils savaient ce qu’il se passait. Ils m’ont répondu que oui, mais qu’ils n’avaient pas le droit de me donner son nouveau numéro de téléphone…
J’ai fini par lui envoyer un message sur Facebook, vu qu’on parlait souvent en ligne. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir quelques jours plus tard un « vu à telle heure » sans la moindre réponse en bas de la fenêtre de conversation. Toujours persuadée que ce n’était rien (ou plutôt voulant croire que ce n’était rien), j’ai attendu deux semaines, au cours desquelles elle s’est connectée sans jamais me répondre.
Alors j’ai décidé d’insister un peu sur Facebook, et j’ai fini pas avoir gain de cause. J’ai d’abord cru que c’était un robot qui me répondait « Oui je vais bien », « Que veux-tu que je te dise ? » ou « Je n’ai rien à dire ». Puis ma deuxième pensée devant ces messages si impersonnels a été qu’elle s’était fait pirater son compte. Mais non, c’était bien elle qui parlait ; elle a fini par dire, à mots à peine voilés, qu’elle voulait couper les ponts avec moi puisque tout ce qu’elle faisait était mal à mes yeux, que je ne la considérais pas digne d’être ma mère, qu’elle en avait marre de n’avoir que des reproches, etc.
Elle a ressorti toutes les paroles de rancœur que j’avais pu avoir pendant mon adolescence et lors de la dispute à propos des huissiers l’année précédente. Si moi je les avais dépassées, elle n’avait pas oublié et je ne pouvais pas l’en blâmer. Je lui ai alors expliqué que j’avais pensé ces choses, que j’avais été blessée par beaucoup de ses actes au cours du divorce comme plus tard, mais que j’avais pris du recul et accepté tout ce qui avait été si difficile à surmonter par le passé. Je lui ai dit que j’étais désolée, en particulier que ça l’ait tant atteinte.
À lire aussi : J’ai passé mon adolescence à gérer ma mère – Témoignage
Elle s’est ensuite mise à me reprocher de ne pas lui avoir dit que mon frère vivait sur un bateau, au gré des vents, avec mon père. Je suppose qu’elle l’avait découvert sur Internet (je ne vois pas comment elle l’aurait su autrement), et forcément ça faisait mal. Mon frère ne voulait plus avoir de contact avec elle depuis un certain temps, ce qui était déjà dur pour elle ; découvrir de manière indirecte la façon atypique dont il vivait, en se doutant que je le savais mais le lui avais caché, ça ne devait pas être agréable.
À lire aussi : Frères et soeurs : des liens qui comptent ?
Elle m’a donc dit qu’elle n’arrivait pas à me faire confiance, que c’était plus fort qu’elle. Elle voulait couper les ponts avec moi. Et je ne comprenais pas. Elle m’a appelée, et après une longue conversation téléphonique, elle m’a dit qu’elle était d’accord pour tout de même maintenir le contact. Il faut dire que je ne m’attendais tellement pas à ça et que je suis tombée de si haut du jour au lendemain que j’étais en pleine crise au téléphone.
Je crois qu’elle a dit ça pour me calmer, en se disant qu’un contact minimal ne pouvait pas lui faire de mal et semblait me convenir. C’est en tout cas ce que j’ai cru les premiers mois. Je recevais un message de temps en temps sur Facebook, on parlait un peu.
La découverte du mensonge
Et puis un jour, elle m’a dit : « Je ne suis pas en France, je suis à Oran, en visite de courtoisie dans la famille de N., il fait chaud ici ! ». On était en plein mois d’août, ça ne me paraissait donc pas surprenant qu’elle soit dans la famille de son compagnon en Algérie. Et quelques jours plus tard, un nouveau message est arrivé sur Facebook : « Merci pour ta carte de Rome ! Ça m’a fait super plaisir ! ». Si elle avait reçu ma carte, c’est qu’elle était rentrée chez elle… Elle m’a expliqué que non, qu’elle faisait suivre son courrier.
Je lui ai donc demandé si elle restait longtemps en Algérie, parce que faire suivre son courrier à l’étranger le temps d’une visite de courtoisie me semblait étrange. Elle a esquivé la question, et je n’ai pas insisté, étant aussi en vacances et ne voulant pas me prendre la tête. Puis la rentrée est arrivée, j’ai retrouvé des amies et quand je leur en ai parlé, l’une d’elle m’a innocemment demandé : « Ah ? Du coup elle vivrait en Algérie selon toi ? ». Ma première réponse, je l’ai donnée dans un éclat de rire : « Ha ha ! Non, ça, je ne pense pas ! ».
Mais trente secondes plus tard, j’ai réalisé qu’en fait, c’était peut-être ça la clé des comportements étranges de ces derniers mois. Alors quand je suis rentrée chez moi le soir, j’ai tapé le nom du compagnon de ma mère sur Google et le nom de la ville où elle m’avait dit être. Le verdict est tombé : ils avaient une entreprise en Algérie et vivaient bien là-bas, et si le projet semblait être en route depuis plus d’un an, il avait l’air de s’être concrétisé par un déménagement à peu près au moment où elle avait voulu couper les ponts.
En conclusion…
J’écris ce texte pour essayer d’accepter, essayer de comprendre et surtout de réaliser. Je ne sais pas si je vais dire à ma mère que je sais qu’elle a changé de continent. Je sais que je vais le lui pardonner de l’avoir fait sans me le dire, que c’est déjà presque fait. Je pense comprendre pourquoi elle a fait ça. Je pense aussi savoir pourquoi elle ne m’en a pas parlé : elle n’arrive pas à me faire confiance, elle me l’a dit. Je vais passer au-dessus de ce choc, comme à chaque fois je vais apprendre à vivre avec.
Mais je ne sais plus comment faire pour arrêter de tomber de haut à chaque fois qu’un nouvel événement de ce genre arrive. Je ne sais pas comment calmer l’inquiétude qui m’envahit à chaque fois, cette peur viscérale que ma mère aille tellement mal qu’elle ne tente de mettre fin à ses jours, peur qui me torture depuis le divorce. Parce que pour moi, ses réactions montrent qu’elle va mal.
À chaque fois qu’un événement aussi inattendu survient, je me dis qu’elle tente de fuir l’emprise qu’elle ressentait avec mon papa, qu’elle tente de fuir la vie dans laquelle son fils la rejette, qu’elle tente de fuir toute cette vie de souffrance et de repartir à zéro, sans enfants. Parce que ses enfants l’ont blessée à un moment où elle était fragilisée, et où elle ne pouvait peut-être pas le gérer, et qu’elle ne veut plus avoir mal. Et je la comprends.
Mais moi, ma vie, je commence tout juste à la construire, et j’aurais vraiment besoin d’une maman. Alors même si elle me blesse souvent par les décisions qu’elle prend pour se protéger, je la veux dans ma vie parce que je l’aime et que tout au fond de moi, je sais que je lui fais confiance et que derrière cette carapace qu’elle se forge, il y a la maman attentionnée qui savait me rassurer et prendre soin de moi quand j’étais toute petite et que je restais seule à la maison avec elle.
À lire aussi : Mère-Fille : Véronique, 23 ans, et Gisèle
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Les Commentaires