Le 14 juin 2015
J’ai de la chance : je ne complexe pas si souvent que ça. Allez, une fois le matin pour les cuisses, une fois le soir pour le ventre ! Je suis en bonne santé, de ce côté-là tout va bien… Alors pourquoi tu viens m’embêter avec mon poids, Maman ?
Car à chaque fois que je rentre te voir, ça ne loupe pas. « T’as maigri, tu manges ? T’as l’air toute maigre » côtoie à part égale « Tu devrais faire attention, t’as pris des cuisses, je le dis pour toi, je suis ta mère je te mentirais pas ».
Le plus drôle dans tout ça ? Mon poids n’a jamais varié de plus que 2 ou 3 kilos…
L’enfer, les bonnes intentions, tout ça
Alors je vous arrête tout de suite : ma maman, c’est une gentille maman.
À titre de comparaison, j’ai des amies qui ont reçu en cadeau de leurs mères des balances. Des. Balances.
À quel moment ça ressemble à une bonne idée, sérieux ? (À part si la fille en a demandé une ou a exprimé l’envie d’en avoir une sans pouvoir se l’offrir, hein.)
« Je vais offrir cette balance à ma fille, ainsi elle sera pleine d’estime de soi, se sentira bien dans son corps, confiante elle osera saisir toutes les opportunités de la vie ! »
Ce genre de pensée n’a aucune logique. Je pense en revanche qu’il existe grosso-modo deux autres types de réflexion.
Joyeuuuuux annniiiiversaiiire…
D’abord il y a celle des mamans comme la mienne, qui pensent que faire des remarques sur notre physique est une façon saine de s’intéresser à nous. Elles s’inquiètent !
Quand on maigrit, elles imaginent que, déprimée, on ne mange plus. Quand on grossit, c’est à cause d’une peine de cœur, c’est certain.
Ce poids qu’on a toujours eu jusqu’à lycée, quand on le garde ensuite, c’est rassurant, ça veut dire qu’on reste la même, qu’il n’y a pas d’éléments de notre vie privée qui leur échappent et qui expliqueraient telles ou telles variations.
Ce genre d’idées brillantes (non) me semble à titre personnel tout aussi partagé par les mères que par les pères.
Et puis il y a celles qui ont peur parce qu’elles-mêmes complexent, voudraient un autre corps : ne pas parvenir à avoir une enfant « dans la norme » des canons de beauté, c’est revivre cet échec.
Elles ont peur de voir leurs filles subir les brimades qu’elles ont connues, ou les complexes qui les rongent. Le fait d’être soi-même une femme facilite peut-être les transferts mal venus…
Ce n’est pas une question de « bonne » ou de « mauvaise » mère. Disons plutôt deux chemins qui mènent au même résultat : une attention démesurée portée au corps de sa progéniture.
Alors oui, je comprends. Je comprends d’où viennent ces remarques. Il y a cependant deux-trois choses qu’on doit mettre au point, maintenant.
Je n’ai pas besoin que tu commentes mon physique, les autres le font déjà assez
La norme, cet idéal du « poids de forme » ni trop maigre ni trop gros, on a besoin de personne pour nous le rappeler.
Mon miroir me le rappelle matin et soir.
Mes amies et leurs insécurités (« J’ai grossi, non ? », « Tu devrais faire attention, ou tu vas prendre du cul comme moi... ») aussi. Mes petits copains s’y sont parfois mis (« Mollo sur le Nutella, non ? » : cet homme est désormais un ex).
Les publicités dans la rue me le hurlent (« Plus mince, plus en forme, faites du sport ! »). Les femmes qui réussissent à la télé et dans les journaux me le susurrent.
Les pubs pour des applications smartphone de calcul de l’IMC me tapotent l’épaule pour m’en parler.
Ton avis en tant que mère n’est pas plus juste, plus vrai, plus honnête. C’est un avis, encore un, que moi et mon estime de moi on doit se farcir.
Je regarde mes jambes, je regarde mon ventre, je compare, je vérifie régulièrement qu’on est dans les bons rails.
Une période de partiels où je mange trop ? Allez, au fromage blanc !
Pourquoi ? Est-ce que je veux vraiment perdre du poids ?
Je n’ai même pas de balance, je ne sais même pas à quoi mes efforts correspondent… C’est juste qu’il paraît que si on ne fait pas ça, on se « laisse aller ».
J’aimerais connaître mon corps parce que je l’aime, parce que je le chouchoute, mais je le connais comme un inspecteur connaît sa scène de crime, guettant la récidive. Tout ça pour un corps en parfaite santé, parfaitement fonctionnel !
Alors quand tu arrives pour commenter mon poids, n’aie pas l’infime espoir, une seconde, de me donner une information nouvelle. Une information inédite et utile. Une information nécessaire.
Et si on parlait d’autre chose ?
Faisons un marché, maman : on va dire une bonne fois pour toute que tout ce qui concerne mon enveloppe charnelle ne te concerne plus, depuis longtemps. Je sais pas précisément depuis quand, mais depuis longtemps.
Ça inclut mon physique, ma vie sexuelle, mes tatouages et même, même les jours où je suis malade. Si je n’ai pas envie de parler de mes mycoses, de cette vieille grippe ou carrément d’une fracture, désolée mais ça ne regarde que moi.
Il se peut que je t’en parle, bien sûr : si j’en ai envie, quand j’en ai envie, avec les mots que j’ai envie d’employer.
Et attention ! Ça concerne aussi la zone qui va de mon utérus à mes ovaires. S’il y a quelque chose de dedans, s’il y a déjà eu quelque chose dedans, si je veux mettre quelque chose dedans… ça ne te regarde pas.
L’avantage, c’est que du coup, ça libère du temps pour plein d’autres choses. Et j’ai de la chance : mes parents m’en parlent, de ces autres choses. De mes cours, de mes voisins de palier, de mes ami•e•s.
Disons juste qu’il leur manque un peu d’imagination pour m’inciter à parler de ma vie privée.
Je m’adresse à ces parents en manque d’astuces, mais aussi à ceux qui pensent que faire un point « courbe de poids » suffit à évaluer le bonheur d’une jeune femme de 22 ans : voici tout un tas d’idées de trucs à dire à votre charmant•e enfant de retour dans le nid familial !
« Tu as envie de faire quoi en ce moment ? Tu t’es fixé quels objectifs ? »
« Je comprends rien à tes cours/à ton travail, tu m’expliques ? »
« Tu es bien dans ton appartement ? Tu t’imagines vivre où dans six mois, un an, dix ans ? »
« Du coup, c’est quoi la prochaine étape ? »
« C’est quoi qui t’inspire ? Le dernier truc qui t’a fait rire ? »
« Tiens, voilà de la viande rouge/du tofu bio, nourris-toi ma fille, pour le dessert y a des Danette chocolat avec les petites billes compartimentées (les trucs hors de prix là) dans le frigo ! »
La famille devrait être une « zone safe »
Idéalement, la famille, ce devrait être l’endroit où l’on se repose, en sécurité, de la vie, cette folle qui nous impose son rythme et ses prises de tête.
Pour l’étudiant•e en vacances ou en week-end chez ses parents, ça devrait être ça : un lieu où l’on recharge les batteries.
Pour le jeune travailleur, c’est un aussi point de repère, un lieu où, par exemple, le prochain repas est assuré alors qu’en semaine, c’est coquillettes premier prix tous les mois.
La famille devrait, idéalement, être un lieu hors concurrence, où l’on n’a pas à se battre pour sa place autour de la table, pour être écouté•e, pour être respecté•e.
Bon, dans les faits, c’est pas toujours ça. Pour une raison ou pour une autre, cet idéal doit faire avec des réalités diverses.
On ne pourra jamais faire de toutes les familles des « zones safe » sans précarité financière, sans soucis moraux, sans prise de tête autour de relations humaines compliquées…
Quitter un repas de famille avec swag, c’est tout un art
Mais on peut se fixer des objectifs simples. Se dire : «
La famille, c’est cet espace où mon corps ne sera jamais, à aucun moment, soumis au jugement de personne »… c’est un bon début, non, maman ?
À lire aussi : Mon secret pour tenir un régime depuis 5 ans ? Écouter ma tête, et nourrir mon corps
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Les Commentaires
Perso je suis largement en surpoids et j'ai le droit aux remarques "bienveillantes" de Maman : "non mais il faut faire quelque chose", "tu serais jolie dans cette robe si tu perdais du poids" et autres… Merci Maman ! (quand je pense que je me sens grosse depuis que j'ai 10 ans, alors qu'en fait je n'ai été vraiment en surpoids qu'à la vingtaine…)
Chose positive par contre, en parlant avec mes collègues, elles m'ont soutenues à fond et m'ont fait plein de compliments sur ma façon de m'habiller, ça m'a boosté à fond ! je les aime