Quand j’étais petite, ma mère et moi n’étions pas du tout proches. Je n’ai pas de souvenir heureux ou agréable avec elle.
Elle n’a jamais été très tactile ni démonstrative au niveau affectif (peut-être est-ce dû au fait qu’elle est arrivée en France quand elle avait huit ans, à cause de la guerre du Vietnam).
Je me souviens juste de ces longs moments où elle me criait dessus, me reprochant de n’avoir « que 18/20 », parce qu’« apprendre par cœur, c’est à la portée de n’importe qui », et des heures passées à me faire retenir mes leçons.
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Une mère stricte
J’avais quinze minutes pour apprendre par cœur, puis je devais être capable de tout réciter à la virgule près. Si jamais je prenais plus de deux secondes pour me rappeler d’un passage, je devais recommencer depuis le début, et ça ne s’arrêtait que lorsqu’elle était satisfaite. Je finissais souvent en larmes à cause de ça…
Elle voulait que je porte des jupes roses et que je joue à la poupée, alors que je voulais jouer au foot, mettre les affaires de mon grand frère et bricoler avec mon père.
En public, tout allait bien dans le meilleur des mondes, elle était fière de moi et de mes frères. D’ailleurs, elle a souvent eu des gestes affectifs avec eux et mes cousins ; la dernière fois qu’elle m’a fait une sorte de simili-câlin (soit pris ma tête pour la poser sur son épaule) j’avais quatorze ans, on était dans un bowling et son copain du moment était en train de nous filmer…
Par ailleurs, elle n’a jamais rencontré mes meilleures amies du collège. Pour chaque sortie, après-midi ou anniversaire, il me fallait les numéros des parents de chaque enfant présent, leur adresse, et je devais indiquer à ma mère qui venait, à quelle heure chacun•e repartait, comment et avec qui, ce qu’on allait faire et où…
À cause de ça, je n’ai commencé à voir mes amies en dehors des cours qu’une fois arrivée en terminale.
Le lycée et le changement
Pendant des années, chaque jour, elle m’engueulait pendant quinze minutes parce que je n’avais pas fait telle ou telle chose (mes devoirs, rangé ma chambre, fait la vaisselle…). En entrant au lycée, je suis partie vivre avec mon père à plus d’une heure de route de chez elle.
Quand je la revoyais le week-end, elle était en colère contre moi car je « les avais abandonnés, elle et mon petit frère », que je me « croyais dans un hôtel chez elle ». Ça s’est arrêté de manière très bizarre deux ans plus tard, peu avant le nouvel an : un jour, elle est partie, une matinée, vers 11 heures, sans rien dire (sûrement à un rendez-vous de travail).
Elle n’avait laissé aucune consigne pour le repas du midi. J’ai donc commencé à faire la cuisine pour mon frère et moi vers 13 heures. Quand elle est rentrée une vingtaine de minutes plus tard, elle m’a crié dessus parce que ce n’était pas ce qu’elle avait prévu à manger.
J’ai craqué, j’ai fait ma valise et je suis partie chez mes grands-parents qui habitaient le même village qu’elle avant de rejoindre mon père.
Après ça, j’ai refusé de la voir pendant trois mois.
J’étais contente : la conversation était presque normale, j’avais enfin pu avoir un semblant de dialogue avec elle !
Je lui ai envoyé un mail pour lui exprimer mon ressenti, pour lui prouver que je n’étais pas une incapable comme elle en avait l’impression. Je ne sais plus exactement ce qu’elle a répondu, mais elle paraissait ne rien vouloir savoir. Discuter avec elle n’est pas possible car elle pense avoir toujours raison.
Un mois après le mail, j’ai eu les résultats du bac blanc : j’ai profité de l’occasion pour l’appeler et prendre de ses nouvelles. J’étais contente : la conversation était presque normale, j’avais enfin pu avoir un semblant de dialogue avec elle !
C’était la première fois qu’elle me semblait sincèrement gentille. J’ai passé le week-end suivant chez elle, et depuis, elle n’a jamais plus élevé la voix contre moi, et semble presque parfois s’inquiéter pour moi.
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Une histoire compliquée
Avant cette crise, les conflits étaient à sens unique : elle criait et si je voulais répliquer, elle répondait « TAIS-TOI ». Je n’ai jamais osé insister car j’ai toujours eu peur qu’elle me gifle. Cependant, encore maintenant, j’évite en permanence les sujets qui me concernent, et elle en fait autant.
Récemment, mes cousins m’ont dit que pendant les trois mois où j’ai refusé de la voir, elle appelait tous les soirs ses frères et sœurs pour savoir ce qu’elle devait faire, la situation étant difficile pour elle.
Il y a plein de choses comme ça que j’ai apprises par les autres membres de la famille, parce son orgueil l’empêche de m’en parler en face ; même si j’abordais le sujet, elle détournerait la conversation de manière à essayer de me faire culpabiliser pour autre chose.
Elle s’est aussi souvent servie de moi pour embêter mon père (avec lequel je n’ai pas forcément de meilleurs liens). Les aléas de la vie ont fait que j’ai été amenée à séjourner chez une amie pour finir le lycée.
Puisque ma mère avait mon petit frère à sa charge (l’aîné étant indépendant), elle ne voulait pas m’aider à payer le loyer et m’a harcelée (j’ai compris que c’était du harcèlement bien plus tard) pour que je rédige une lettre à un juge aux affaires familiales, dans le but d’obliger mon père à me verser une pension alimentaire — j’étais majeure avant d’entrer en terminale, donc c’était à moi de l’écrire.
La juge s’est prononcée en ma faveur, et mon père avait une dette équivalente à plusieurs mois de pension, qu’il m’a donnés en soustrayant les factures de cantine à la somme totale qu’il me devait. Ma mère n’a pas apprécié et m’a de nouveau harcelée (juste avant les épreuves du bac) pour que je signe une lettre qu’elle voulait remettre à un huissier de justice…
Depuis la première lettre au juge, et le temps que les tensions s’apaisent, deux années se sont écoulées, qui n’ont pas été évidentes.
Une relation mère-fille minimaliste
De tout ce qui m’arrive dans la vie, je ne parle à ma mère que du strict minimum. Elle ne sait pas quelles études je souhaite poursuivre par exemple (et même si je le lui disais clairement, elle oublierait trois jours après).
J’ai mis un an avant de lui apprendre l’existence de mon copain actuel. Et encore, c’est mon beau-père qui a abordé le sujet en me posant des questions sur lui, en me demandant quand est-ce qu’il viendrait à la maison. Ma mère… elle a ignoré. Simplement.
Elle ne me soutient dans rien, trouvant plus de problèmes que de points positifs dans mes idées et mes projets. Par exemple, je souhaite changer d’appartement, car celui qu’elle m’avait forcée à prendre alors que j’en paie les factures et le loyer me revient trop cher.
Je veux faire une coloc avec une très bonne amie, ce qu’elle refuse car elle n’y voit que des problèmes, comme le principe de la caution solidaire, et elle se demande comment elle ferait pour payer mon loyer si mon amie quittait l’appartement sur un coup de tête (alors que ma mère a des revenus très confortables).
Je reste persuadée que même si j’arrive à avoir un master ou un doctorat, à voyager à travers le monde grâce à un métier honorable et avec un bon salaire, elle ne sera jamais satisfaite de moi, elle trouvera toujours le petit détail lui permettant de me reprocher quelque chose.
Même si, en ce moment, la situation s’est calmée et qu’on parvient presque à avoir un dialogue normal (tant que quelqu’un d’autre est présent dans la pièce), elle me dit encore des choses comme « Tu es pire qu’une handicapée » ou « N’importe quel con peut faire ça », que je préfère ignorer…
J’espère sincèrement qu’un jour, on aura une vraie relation, un tant soit peu saine.
En conclusion…
Ma mère m’a mise au monde et m’a donné une éducation, mais je n’ai jamais ressenti ce lien mère-fille que j’ai pu constater chez d’autres personnes.
Comme je vous l’ai dit, je suis allée vivre chez une amie quand j’étais au lycée, afin de pouvoir finir ma scolarité. Le jour où je suis arrivée chez elle, sa mère m’a dit :
« Tant que tu vivras sous ce toit, je te considérerai comme ma fille : je t’engueulerai comme elle, je m’occuperai de toi comme elle, je t’aimerai comme elle. »
C’est là que j’ai commencé à accepter l’amour maternel d’autres personnes que ma mère. En ce moment, c’est avec la mère de mon copain que ce lien qui m’a manqué est en train de se créer : elle prend de mes nouvelles, on rigole beaucoup ensemble, etc. J’essaie cependant de prendre du recul, car j’estime que ce n’est pas à elle de me donner ce que j’attends.
Même si je ne suis pas proche de ma mère, qu’elle ne me tient jamais au courant de rien (elle est déjà allée plusieurs fois à l’hôpital pour des opérations, et à chaque fois je ne l’ai su que des semaines plus tard), que je ne prends jamais de ses nouvelles et qu’elle non plus, même si je ne supporte pas son caractère et ses manières de faire, je m’efforce d’aller la voir au moins une fois par mois, car elle reste ma mère et je dois faire avec.
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