« Merci d’exister dans notre milieu. »
C’est par ces quelques mots que Michaela Coel, récompensée aux BAFTA (British Academy of Film and Television Arts) par quatre prix pour sa série I May Destroy You dont elle campe le personnage principal, a entamé son discours remerciant une personne essentielle : la coordinatrice d’intimité du show. Preuve s’il en fallait que ce rôle s’avère indispensable !
Michaela Coel remercie la coordinatrice d’intimité d’I May Destroy You
I May Destroy You n’est pas une série-doudou. Mais c’est une série puissante.
En racontant l’histoire d’Arabella, millennial semi-journaliste semi-influenceuse qui subit des violences sexuelles et s’efforce de continuer à vivre malgré les traumatismes qu’elles ont engendrés, Michaela Coel aborde des problématiques douloureuses ; on souffre avec son héroïne, on la suit dans ses errements, ses œillères, ses dénis, ses prises de conscience.
Jamais les scènes de viol ne sont romantisées, glamourisées : la violence est palpable, présente. Ce n’est donc pas étonnant que Michaela Coel remercie chaudement Ita O’Brien, sa coordinatrice d’intimité dont le travail est de faire en sorte que les tournages de séquences sexuelles se déroulent bien pour tout le monde : les acteurs et actrices, l’équipe technique…
Acceptant le BAFTA de la meilleure actrice dans une incroyable robe noire signée par le designer britannique d’origines jamaïcaine et trinidadienne Maximilian Davis, Michaela Coel a déclaré, au sujet d’Ita O’Brien et des coordinatrices d’intimité en général :
« Merci d’exister dans notre milieu, de faire en sorte que nous y soyons en sécurité, de poser des limites physiques, émotionnelles et professionnelles afin que nous puissions créer des œuvres parlant d’exploitation, d’irrespect, d’abus de pouvoir sans être nous-mêmes exploitées ou abusées.
Je sais ce que c’est de tourner sans coordinatrice d’intimité. Du sentiment de malaise, de gêne qui imprègne l’équipe. De la dévastation secrète que ça crée chez les acteurs et actrices. Ton travail a été essentiel pour ma série, et j’estime qu’il l’est pour toute société de production qui voudrait explorer des thématiques liées au consentement. »
Les coordinatrices d’intimité, un métier récent mais indispensable
Ita O’Brien est également coordinatrice d’intimité pour Sex Education
; interviewée par Konbini, elle expliquait son métier ainsi :
« Il y a trois grands axes : nous sommes là pour faciliter, inviter à davantage de communication et encourager la transparence. Tout repose là-dessus. Rien ne peut bien se passer sans ce prérequis. On met en place un accord de consentement dès qu’il faut que la personne soit touchée. Enfin, on déploie un process pour créer une chorégraphie intime, qui va permettre à l’interprète d’apporter son jeu d’acteur pour un contenu intime spécifique. […]
Le principal, je pense, c’est d’exercer ce métier avec beaucoup de bienveillance. »
Les coordinatrices et coordinateurs d’intimité vont s’assurer que tout le monde est à l’aise avec la scène telle qu’elle a été pensée, vérifier que seules les personnes indispensables au tournage sont présentes à ce moment-là, réfléchir à la façon dont les corps et les caméras peuvent bouger pour que le rendu soit correct sans entraver les limites de chacun et chacune…
Comme le rappelle Jezebel, HBO (qui produit I May Destroy You) a été la première grosse chaîne à intégrer ce poste dans toutes ses productions. Après que l’actrice Emily Meade, qui jouait une prostituée dans The Deuce, a réclamé l’embauche d’une coordinatrice d’intimité, le network réputé pour ses séries sulfureuses, sexuelles, violentes a décidé d’y avoir systématiquement recours.
Et il y avait de quoi : plusieurs actrices ont révélé après coup avoir dû tourner des scènes de sexe d’une façon qui ne leur convenait pas, comme Esmé Bianco, alias Ros, prostituée dans Game of Thrones, qui s’est retrouvée nue devant plusieurs techniciens n’étant pas censés être présents.
Les coordinateurs et coordinatrices d’intimité sont justement là pour faire en sorte que ça n’arrive pas. Sans compter qu’une autre actrice de Game of Thrones, Nathalie Emmanuel (Missandei), révèle devoir composer avec le fait que certaines productions attendent d’elle qu’elle se dénude, « puisqu’elle l’a déjà fait à l’écran »…
Choisir ses scènes intimes, ne pas être obligée d’en tourner, et les filmer de façon sécurisée est plus qu’indispensable pour des actrices encore et toujours soumises au sexisme jusque dans leur vie professionnelle.
À lire aussi : Les coulisses des scènes de sexe au cinéma
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires