Il y a quelques semaines je vous décrivais les Suédois-es comme des gens adorables, bien élevés et respectueux du bien commun. Leurs villes sont de petits havres de paix où chaque chose est à sa place (cf. l’article Pays nordique, pays pratique). Aujourd’hui observons le revers de la médaille. En Suède, c’est vrai, tout, absolument tout est bien rangé dans sa petite case. Oui. Même les gens.
Il semblerait que la pire des choses pour un Suédois soit de se faire remarquer. En bien comme en mal. Pourquoi les règles sont-elles si bien respectées ? Parce que sortir du rang c’est remettre l’harmonie de la société en question. Et ça aucun-e Suédois-e ne le souhaite. Si tu ne devais retenir qu’un mot pour comprendre la mentalité suédoise, retiens celui-là : lagom.
Lagom, ni plus ni moins
Lagom c’est impossible à traduire mais essayons quand même. Pour moi ça veut dire « juste ce qu’il faut », « pile poil » ou « ni plus, ni moins ». Par exemple si quelqu’un te demande comment est ton café et que tu réponds « lagom » ça veut dire qu’il est tout à fait à ton goût : ni trop froid, ni trop chaud. Mais dès qu’on essaye de comprendre le lagom en tant que principe de vie ça se corse. Ce pourrait être un état médian, un équilibre auquel les Suédois-es aspirent, une vie posée, sans hauts, ni bas, sans vagues. Bien entendu une telle philosophie n’est pas sans influence sur les normes et la pression sociale qui en découle.
Imaginons la Suède comme le village des Schtroumpfs. Ça a un côté paradisiaque : le consensus, l’esprit de collectivité, l’égalité c’est bien non ? Mais l’uniformisation, l’effet-clone c’est mal non ? Choisis ton camp, camarade, et si tu hésites encore voici un petit aperçu d’une vie lagom.
La voie du milieu
Bien sûr, en Suède comme ailleurs, les personnalités sont variées et j’exagère quand je parle de « clones » mais si je regarde la société suédoise dans son ensemble j’ai souvent l’impression d’observer une gigantesque classe moyenne.
En Suède le phénomène bling-bling n’existe pas et les sans-abri sont rares. Davantage d’égalité? Probablement mais cette même égalité en devient suspecte quand on voit à quel point il est mal vu de chercher à se démarquer et ce, tout au long de la vie. L’esprit de compétition et même d’émulation (le deuxième terme étant tout aussi péjoratif que le premier pour les Suédois-es) est exclu du système éducatif. Les enfants ne sont jamais comparés les uns aux autres et ne sont pas notés avant l’âge de 14 ans. Les mentions sur les diplômes ne sont pas fréquentes : si tout le monde a suivi les mêmes cours alors tout le monde reçoit le même diplôme. Point barre. Plus étonnant encore, faire du zèle au travail ou des heures supplémentaires génère des conflits. C’est interprété comme une volonté de l’employé de prouver qu’il est meilleur que ses collègues. L’objectif c’est plutôt : fais ce que tu as à faire, fais-le bien mais n’en fais pas plus. Même si tu as une crise sur le feu tu quitteras le bureau à 17h00. L’ambition c’est l’ennemi de la nation.
En gros je pourrais résumer ça par :
On ne te laissera jamais la moindre raison de croire que tu es inférieur aux autres. On ne te laissera jamais la moindre raison de croire que tu es meilleur que les autres.
Pas si facile à gérer qu’on pourrait le croire.
Pour vivre heureux, vivons cachés
Dans le même ordre d’idée la plupart des Suédois savent rester discrets et cultivent le goût des choses simples même quand ils ont les moyens. Pas de grosses berlines ou de maisons imposantes par exemple : il en faut peu pour être heureux. La vantardise est fortement découragée pas seulement en ce qui concerne l’argent. Ton enfant est surdoué ? Tu as le sentiment d’avoir accompli quelque chose dont tu es très fier ? Ne t’emballe pas trop vite. Les émotions fortes, même positives, sont minimisées. Elles pourraient déranger les autres : il n’est donc pas convenable d’en parler. Un Suédois lève rarement le ton et évite le conflit tant que possible, bref : il évite de bouleverser les autres avec ses propres émotions. Les rues sont d’un calme olympien. Pas d’éclats de voix. Pas d’éclats de rire.
Respecter le règlement intérieur du lagom semble être le sport national. Il y a un code de conduite pour tout
: faire la queue, ralentir en abordant les passages-piétons, être ponctuel, recycler, troquer la cigarette contre le snus (du tabac à placer directement sous la lèvre pour en absorber la nicotine. C’est plus discret, on ne traumatise pas les enfants). Qu’y a-t-il de mal à cela me direz-vous ? Je n’irai pas jusqu’à formuler le diagnostic « psychorigide ». Non, loin de là, les Suédois-es savent s’éclater et enfreindre les règles mais j’ai bien souvent l’impression qu’ils le font en suivant le règlement-lagom-pour-enfreindre-les-règles et là ça frise le ridicule.
Le code de la déconne suédoise
Car oui, il y a un code pour ça aussi, avec des jours de la semaine même.
Tu prendras ta cuite hebdomadaire le vendredi ou le samedi soir. Pas en semaine. Jamais. À l’aller, tu n’adresseras pas la parole à ton voisin de bus mais au retour tu chanteras avec lui en te pendant aux barres. Inutile de dire que si tu le recroises lundi matin c’est comme si tu ne l’avais jamais vu.
En tant que bon parent tu cuisineras équilibré toute la semaine et tu attendras le vendredi soir pour t’empifrer de junk food et de Coca en famille devant la télé. C’est le fameux fredagsmys. Tu voudrais inverser et faire pizza le mardi et brocoli le vendredi ? Halte-là hérétique ! Dans la même veine, tes enfants recevront leur dose de bonbons le samedi et le samedi uniquement (lördagsgodis). C’est comme ça.
Tu prendras tes vacances en même temps que tout le monde dans la même maison de vacances que tout le monde, la fameuse stuga, ce petit chalet en bois rouge typique. Elle ne sera pas plus grande que celle des autres et tu passeras tes journée à pratiquer la cueillette en forêt ou la baignade dans les lacs. Comme tout le monde.
Mon message n’est pas « Oh la la les Suédois sont tellement coincés, qu’est-ce qu’on est cools en comparaison ». Je ne suis pas du genre trouble-fête. J’adore mon petit quotidien rangé et j’adore la vie paisible à la suédoise. Simplement, à la longue, on peut trouver qu’elle manque de spontanéité. Alors je préviens : je ne pense pas que ça convienne à tout le monde. Les Suédois n’ont pas du tout l’air de trouver le lagom pesant… et pourtant.
Pourtant un jour j’en prendrais un par le col en le secouant très fort et en hurlant « MAIS TU VAS CRAQUER TON SLIP OUI ! ». On shooterait dans la poubelle à canettes avant d’aller en boîte un mercredi (woohoo). Les passants entendraient nos rires tonitruants, on mettrait un peu de couleur dans la rue. Et ensuite ? On irait prendre la Bastille.
Et toi ? Que penses-tu d’un monde où les extrêmes sont relativement gommés ? Te plairais-tu en Suède ou ressentirais-tu un besoin irrépressible de donner un grand coup de pied dans la fourmilière ?
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Les Commentaires
Le problème du placement des enfants par les services sociaux quand vous ne les élevez pas comme l'Etat le souhaite, est réel et ce, même si vous ne les maltraitez pas (au sens français du terme) :
Suède et Norvège: l'État enlève les enfants
Sinon le paraître est très important, la misère doit se cacher :
Dans cette ville suédoise, il faut désormais payer pour pouvoir mendier