Je ne sais pas vous, mais la dernière fois qu’un bon samaritain m’a sorti un « femme au volant, mort au tournant » de derrière les fagots, évidemment couplé avec un rire gras (peut-être même une tape sur le ventre), j’ai embouti la voiture de derrière, et confirmer le dicton m’a donné envie d’organiser des combats sauvages de petits pandas.
C’est dû à un phénomène tout à fait détestable, une farce empêcheuse-de-tourner-en-rond, qui marche avec tout autre préjugé bateau, j’ai nommé : la menace du stéréotype.
Ces vingt dernières années, la psychologie sociale s’est penchée sur une conséquence particulière des stéréotypes, à savoir leur impact psychologique sur leurs cibles, ou comment peut-on soi-même se tirer une balle dans le pied lorsque nous sommes les objets d’un stéréotype.
Le phénomène suit une logique : puisque nous avons peu ou prou les mêmes références culturelles, nous connaissons la plupart des stéréotypes en vigueur dans notre société. Pour peu qu’un petit malin vienne à activer un stéréotype qui nous concerne (ou concerne notre groupe d’appartenance), nous pourrions bien en devenir les victimes.
Imaginez : une petite gourgandine (Audrey) fait remarquer à un partenaire potentiel (au hasard, Giuseppe) que vraiment, les types ritals dans son genre ne sont rien que des gros machos. La pauvre victime du stéréotype (Giuseppe, donc) est bien évidemment conscient que dans la pensée collective existe un raccourci ritals gosses-beaux = machistes. Une pression psychologique s’empare de lui, il craint évidemment de confirmer ce stéréotype, et ne trouve rien d’autre à lui répondre qu’un bon vieux « Tais-toi et mange, Boudin ». GOSH, je crois bien que Giuseppe n’est rien qu’un macho qui ne donne pas la parole aux femmes, se disent les téléspectateurs avisés que nous sommes. La menace du stéréotype vient de faire une nouvelle victime…
Deux chercheurs américains, J. Aronson et C. Steele (1995), se sont intéressés au phénomène. Avec le postulat qu’aux États-Unis existe un stéréotype selon lequel les afro-américains seraient moins intelligents que les « caucasians » / blancs
(amo-américains ? Euro-américains ? Syndrome lexical discutable permettant de dire qu’il y a les gens « de souche », et les autres ?), ils ont tenté d’étudier les causes de l’échec académique de certains minorités ethniques.
Les psychologues ont ainsi fait passer à des étudiants noirs et blancs de Standford (pas franchement censés être inquiets pour leurs performances, donc) un test comprenant 27 items issus du Graduate Record Examination et 3 items portant sur la résolution d’anagrammes difficiles.
Les participants étaient répartis en deux groupes :
- Au premier groupe, les chercheurs expliquaient qu’il s’agissait d’un test d’intelligence, révélant les capacités intellectuelles dans le domaine de la lecture et du raisonnement verbal;
- Au second groupe, aucune mention de « capacités intellectuelles » n’était faite, et l’on informait simplement les participants que l’objectif était d’étudier les mécanismes psychologiques en jeu dans la résolution de problèmes verbaux.
Le stéréotype négatif concernant les capacités intellectuelles des noirs n’était par conséquent évoqué que pour le premier groupe.
Finalement, l’expérience part de l’idée que le fait d’être la cible d’un stéréotype négatif et de pouvoir potentiellement être jugé en fonction induirait chez les participants noirs une pression psychologique supplémentaire qui viendrait interférer avec leurs performances.
Les résultats obtenus confirment cette hypothèse :
- lorsque le stéréotype est brandi (groupe 1), les résultats des élèves noirs au test sont plus faibles que ceux des élèves blancs,
- lorsqu’aucune mention du stéréotype n’est faite (groupe 2), les résultats au test sont similaires que l’on soit noir ou blanc.
Au fond, ce serait bien la pression psychologique relative à l’existence du stéréotype qui influerait sur les performances des individus interrogés…
La menace du stéréotype pourrait ainsi se caractériser par la peur de confirmer le stéréotype négatif de son groupe d’appartenance par nos performances. Dès lors, ce serait cette crainte qui viendrait freiner et/ou diminuer les performances au test d’intelligence.
Tu penses bien que l’expérience a connu de nombreuses ré-éditions : performances des femmes sur des tâches mathématiques, performances de personnes de faible statut socio-économique, les capacités mnésiques des personnes âgées, capacités des femmes à négocier… Toutes sont parvenues aux mêmes constatations.
Le processus est d’autant plus effrayant qu’il pourrait bien selon Fabrice Gabarrot, docteur en psychologie, « …risquer de provoquer le désinvestissement des membres des catégories sociales stigmatisées dans les domaines d’application du stéréotype » (à voir sur le sujet, un document explicatif particulièrement clair de l’auteur1).
Et finalement, at the end of the day quoi, tout ça pose la question de l’origine des différences entre les groupes sociaux, de l’impact de la société sur nos performances… Et des réflexions à avoir sur le sujet (enfin pour nous, la vraie question restera : qui va épouser Giuseppe et mettre un terme à ses souffrances de victime de stéréotype ? ).
https://www.youtube.com/watch?v=xhhq4LUvyq8
Pour aller plus loin : un petit coup d’œil au site/blog Panopticon du chercheur Fabrice Gabarrot, qui fourmille d’articles intéressants et aborde notamment une autre facette de la menace du stéréotype, « l’effet Obama », ou l’impact de la présence d’un role model (entre autres réflexions, post daté du 17/11/2009).
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Les Commentaires
De plus, l'article en lui-même est très intéressant: c'est fou de voir l'impact de la pression sociale, n'empêche...