C’est une décision de justice passée sous les radars et qui a pourtant son importance. Le 27 mars 2024, la Cour d’appel de Paris a condamné en appel l’Agence France Presse, estimant que celle-ci avait « commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle ». En octobre 2019, l’AFP avait publié une dépêche au sujet de l’affaire Luc Besson, dont la rédaction et le choix iconographique discréditaient la parole de l’actrice Sand Van Roy au profit de celle du réalisateur contre lequel l’actrice belge avait déposé plusieurs plaintes pour viol. Un jugement qui souligne l’urgence d’amorcer une réflexion collective sur le traitement médiatique des violences sexuelles.
La sincérité de l’appelante mise en cause
En 2018, Sand Van Roy, aperçue dans le film Valérian et la Cité des mille planètes, avait porté plainte pour viol contre Luc Besson « après un rapport sexuel intervenu à l’hôtel Bristol, à Paris, où séjournait le cinéaste ». Dans une enquête Mediapart, l’actrice avait déclaré « avoir subi, entre mars 2016 et mai 2018, des relations sexuelles non désirées et « violentes »,des relations sexuelles non désirées et « violentes », parfois « jusqu’au sang », afin d’éviter, dit-elle, d’être « blacklistée » ou « coupée au montage » de ses films ». Sa prise de parole à propos de cette « relation d’emprise professionnelle » avait ouvert la voie à huit autres femmes, auditionnées pour la plupart par la justice, qui avaient à leur tour dénoncé des comportements sexuels inappropriés de la part du réalisateur. Ce dernier a toujours nié les accusations dont il fait l’objet.
Dans sa décision du 27 mars 2024, publiée en ligne, la Cour d’appel a détaillé son raisonnement :
La rédaction de la dépêche laisse entendre que ce n’est que plusieurs mois après avoir passé toute une nuit avec M. [X], que l’appelante a décidé de porter plainte contre lui. Or, Mme [K] avait soutenu n’être arrivée à l’hôtel Bristol qu’à 0 h 50, pour un rendez-vous professionnel, et avoir quitté précipitamment l’établissement dès 2 h 18, après avoir été victime d’un viol. Si la dépêche ne comporte aucun propos de nature à porter atteinte à l’honneur ou la considération de l’appelante, elle remet en cause la sincérité de ses déclarations et laisse entendre que la version donnée par M. [X] apparaît plus crédible en mentionnant que Mme [K] aurait passé toute la nuit à l’hôtel. Par ailleurs, le choix de la photographie recadrée où les deux parties apparaissent souriantes côte à côte vient renforcer la crédibilité de la version donnée par M. [X] et jette ainsi le discrédit sur celle de Mme [K].
Repenser le traitement médiatique des violences sexuelles
Cette victoire est lourde de sens, dès lors que l’actrice a plusieurs fois dénoncé le traitement médiatique réservé à ses accusations contre Luc Besson, considérées comme un des symboles de la libération de la parole post-MeToo en France.
En 2022, un jour avant que soit prononcé un non-lieu par la justice concernant sa plainte française (elle a depuis saisi la justice belge), Sand Van Roy avait notamment dénoncé sur Twitter les publications biaisées de certains médias qui semblaient laisser entendre que la décision avait déjà été prise en sa défaveur.
Cette décision de la Cour de cassation soulève à nouveau la question du traitement médiatique des affaires de violences sexuelles, et les discours sexistes qui peuvent s’y loger. Pour Madmoizelle, l’autrice Rose Lamy avait énuméré certains procédés régulièrement à l’œuvre, et insisté sur l’urgence de casser ces réflexes misogynes pour repenser collectivement la manière dont on parle de ces sujets dans les médias.
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