?La première résolution que l’on prend au moment où les yeux s’ouvrent sur un plafond mouvant, l’idée nauséeuse qui remonte du fond de l’estomac sans passer par le biais éclairé de la conscience – qui sait bien, elle, qu’on lui ment encore : « Plus jamais je ne boirai une goutte d’alcool ». Avec les heures – les jours peut être ? – l’affirmation définitive se muera en théorèmes alambiqués : « Pas de rouge sur le blanc ni de champagne avec les huîtres et les chocolats en plus de la gnôle de grand-papa ».
La seconde concerne ceux qui regrettent d’avoir été trop sages sur la boisson et qui ont bien trop conscience de la médiocrité avec laquelle ils ont enterré l’année qui venait de s’écouler : « Le réveillon c’est la dernière fois que je le fête, l’an prochain je reste seul-e chez moi ». Mais lorsqu’on nous proposera de débourser quinze euros pour financer l’achat groupé de cotillons et de foie gras discount, on ne résistera pas à la pression sociale festive et on foncera tête baissée dans le traquenard de la nouvelle année. À croire que la mauvaise compagnie vaille finalement mieux que la déviance des normes sociales.
La troisième vient au contact du quotidien inchangé qui soudain nous encombre et entrave notre besoin de grandeur – la boîte de chocolats de Noël déjà vide gît sur la table basse, il n’y a toujours pas de café dans le placard et une pile de vaisselle infâme nargue l’éponge aride dans l’évier. On se contentera d’un bol de purée déshydratée à l’eau et au fromage puisqu’on avait oublié que les commerces étaient fermés en ce premier janvier, mais cette bouillie aura le goût d’un défi – « Je mangerai sainement, j’apprendrai à cuisiner » – qui s’accordera bien avec les cadeaux sponsorisés par Marabout que belle-maman nous aura offert à Noël dans une intention désespérée.
Et tant qu’à faire en l’an deux mille treize on ne mangera pas : on perdra du poids. Tout ce gras accumulé lors des repas à rallonge (et à cause des Bounty de réconfort qui auront été engloutis en attendant le métro à la fin d’une journée sans fond). On s’autorisera la gourmandise d’une salade bien verte ou d’un bouillon très clair jusqu’à ce que l’épiphanie nous nargue de ses odeurs de frangipane et de pâte beurrée. Avec un peu de malchance on tombera sur la fève et c’est à contrecoeur que nous serons obligé-e-s de payer une tournée d’acides gras saturés, par pur respect envers la tradition chrétienne – non point par gourmandise ni par infidélité à nos idéaux récemment acquis.
Alors, puisqu’il faut bien faire preuve de cohérence, c’est à la salle de sport où nous jurerons de nous rendre pour marteler le sol de notre détermination sans faille.
Après le cendrier dégusté en guise de digestif tout au long de la nuit, dans la chaleureuse ambiance du balcon sous la pluie et des cinq degrés propices à l’angine des lendemains de soirée, il ne sera pas trop difficile de prendre le deuil tabacologique dans un premier temps
. Mais certains morts aiment à revenir pour hanter notre enfer et plus le prix des paquets augmente, plus la distance aux frontières s’amenuise. On finit par se considérer comme Luxembourgeois ou Andorrans expatriés en France, non plus l’inverse.
Notre septième résolution se doit d’être importante tant la signification de ce chiffre est porteuse de sens : les sept péchés capitaux, les sept jours de la semaine, les sept archanges de l’apocalypse, les sept nains de Blanche-Neige, les sept couleurs de l’arc-en-ciel ou ma moyenne en mathématiques tout au long de ma scolarité. En septième décision radicale, nous cesserons de procrastiner.
Par ailleurs, nous veillerons à ne plus employer le terme « procrastination » comme étant le synonyme de « flemmardise congénitale ». Les papiers, les factures, le ménage, la vaisselle ne seront plus jamais remis aux lendemains qui hurlent, davantage qu’ils ne ?chantent. Dans l’instant nous nous acquitterons de nos fardeaux et de nos peines car en deux mille treize nous voulons bien souffrir, mais souffrir dès maintenant – nous nous emploierons à persévérer dans une entreprise de masochisme pressé.
La cinquième rediffusion de Bridget Jones à laquelle on s’adonnera en moins de six mois nous poussera à remettre en cause notre rapport à la culture. Au cinéma, nous irons voir le Woody Allen de deux mille treize – qui sera semblable à tout les Woody Allen depuis quatre-vingt treize, mais au moins nous serons au fait de l’actualité culturelle. Dans le train, nous lirons Lacan au lieu de nous satisfaire bassement de la médiocrité rédactionnelle d’un énième magazine « féminin », et si nous achetons un titre de presse people ce sera uniquement pour leurs mots fléchés – d’ailleurs nous utiliserons les autres pages pour faire du feu dans notre cheminée.
En rentrant des courses, un sac en tissu de six kilos pendu à chaque bras, alors que nous serons en train de regretter la radioactivité qui aurait pu nous faire pousser un troisième appendice bien utile, nous nous surprendrons à avoir une idée saugrenue, « Ce serait pratique d’avoir une voiture », qui se muera en un « Il faudrait que je passe mon permis cette année ». Heureusement, le prix des leçons de conduite, couplé a celui d’une voiture, à l’impossibilité d’acquérir une place de parking en ville et au coût de l’assurance, fera reculer n’importe quel esprit sain, même celui de notre banquier. D’autant plus que l’incivilité automobile va à l’encontre de notre résolution numéro quarante-huit : « Ne plus insulter mentalement des inconnu-e-s dans la rue ».
Tremblez tous – ou crevez tôt, car voici deux mille treize telle que vous l’avez rêvée : une année raisonnable, responsable et sérieuse, dans laquelle on contrôle la dose d’amusement mais où on profite sans vergogne de toutes les occasions d’être chiant-e. Étions-nous vraiment si horribles en deux mille douze pour nous souhaiter tant de peines et de misères à l’aube de cette nouvelle année ?
Voilà deux décennies que je traverse en me promettant des améliorations superfétatoires et en me cuirassant de principes aliénants pour m’échouer, au décembre suivant, essoufflée et froissée par les ambitions frustrées.
Alors, deux mille treize, je t’empoigne sans promesses, sans plus d’espoir ni de chimères. Cette année encore je ne me résoudrais pas à être différente, mais je compte sur toi pour être surprenante et me faire sortir de mes positions et de mes habitudes statiques. Peu importe si en deux mille quatorze je fume encore comme un pompier sans permis (ni camion), ce n’est pas important à partir du moment où cette année m’aura fabriqué de nouveaux souvenirs.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Oui bon en fait c'était moi la pessimiste de l'histoire .
Mais c'est vrai que personnellement, c'est un peu un besoin de me fixer des objectifs mais en fait ton point de vue et celui de l'auteur c'est de se poser tranquille, c'est cool .