Tu as peut-être vu passer, sur les réseaux sociaux ou dans les médias, une vidéo qui paraît proprement hallucinante à l’aube de 2020.
Bernard Pivot reçoit sur le plateau de son émission littéraire Apostrophes l’écrivain Gabriel Matzneff, qui veint parler de son livre Mes amours décomposés.
L’auteur se vante, sans honte aucune, de ses relations sexuelles avec des mineurs et mineures. L’animateur ne bronche pas. D’autres invitées et invités présents sur le plateau pouffent.
Si tu as comme moi grandi dans un monde où la pédophilie est très clairement décriée, tu as dû tomber de ta chaise : qu’est-ce qu’il se passe dans cette vidéo, bordel ?!
Gabriel Matzneff, la pédophilie et Le Consentement
Cette séquence d’Apostrophes date de 1990, et a été notamment remise en lumière par Médiapart en 2017, dans l’article Ce temps où la pédophilie était en vogue.
Si elle ressurgit, c’est parce que l’une des « minettes » de Gabriel Matzneff (le terme utilisé par Bernard Pivot pour désigner ses victimes) prend la parole, des décennies après les faits.
Elle s’appelle Vanessa Springora et raconte son histoire dans Le Consentement, qui paraîtra le 2 janvier 2020 aux éditions Grasset.
Le Monde ouvre un long article avec cette douloureuse citation issue du Consentement :
« À quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de cinquante ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter. »
Gabriel Matzneff, la pédophilie d’« une autre époque » ?
Toute ma vie, j’ai su que la pédophilie, c’était mal. Qu’abuser sexuellement d’un ou une enfant était l’un des pires crimes que l’on puisse commettre.
Que protéger les plus jeunes, c’est aussi les préserver des désirs malvenus de certains adultes.
Alors comment expliquer que quelques mois avant ma naissance, un homme parle de son attirance pour les « minettes » à une heure de grande écoute ?
Comment expliquer que seule la québécoise Denise Bombardier
ose, dans cette séquence d’Apostrophes, aller à contre-courant de la bienveillance que tout le monde semble ressentir pour Matzneff ?
L’autrice s’insurge :
« Je ne comprends pas que la « littérature » serve d’alibi à ce genre de confidences. […]
Monsieur Matzneff nous raconte qu’il sodomise des petites filles de 14 ans, 15 ans, que ces petites filles sont folles de lui. […]
Ce que l’on ne sait pas, c’est comment ces petites filles […] qui ont subi un avis de pouvoir, comment s’en sortent-elles, ces petites filles, après coup ? […]
Je crois qu’on ne peut pas défendre ça. »
Gabriel Matzneff, toléré parce que « grand écrivain » ?
Denise Bombardier estime que le statut de Matzneff, artiste dont les œuvres sont reconnues, joue dans son impunité :
« On sait bien que des petites filles peuvent être folles d’un monsieur qui a une certaine aura littéraire, d’ailleurs on sait que les vieux messieurs attirent les petits enfants avec des bonbons.
Monsieur Matzneff, lui, les attire avec sa réputation. […]
Si Monsieur Matzneff était un employé anonyme, de n’importe quelle société, je crois qu’il aurait des comptes à rendre à la justice. »
L’article du Monde consacré à l’affaire accorde toute une sous-partie à « L’impunité des artistes » : bien que Matzneff a été peu à peu mis à l’écart, notamment en raison de ses agissements, il semble avoir gardé le respect de ses pairs.
L’écrivain gagne le prix Renaudot en 2013, publie régulièrement dans Le Point, est à nouveau publié en 2017…
On est loin de la mise au pilori.
L’époque où la pédophilie était « défendue »
En découvrant « le cas Matzneff », j’ai immédiatement pensé à cet article publié en 2001 sur Libération, expliquant que le journal avait « fait l’éloge de la pédophilie » jusqu’au début des années 80.
« Il ne faut mépriser personne, entendre toute minorité. Respecter le droit à la différence.
La pédophilie, qui ne dit pas son nom, est un simple élément de cette tourmente. Sauf pour ceux qui la revendiquent comme un acte « d’éducation militante », elle ne vient que rarement sur le devant de la scène.
Le mot est terrible aujourd’hui. Mais elle n’est pas le problème d’alors.
D’elle-même, et seulement, elle s’inscrit dans un bouillonnement chaviré, où chacun puise ce qu’il croit salvateur. C’est ainsi, c’est hier.
C’est comme ça. »
Le même média, toujours Libération donc, revient ce 29 décembre 2019 sur « l’affaire Matzneff ».
Pour mieux comprendre comment, il n’y pas si longtemps, certains défendaient la pédophilie au nom de la liberté, je te conseille cet article très complet de 20 Minutes.
La docteure en histoire et spécialiste de l’histoire des femmes et de la sexualité Virginie Girod ainsi que l’historien Jean Bérard y nuancent cette idée d’« une autre époque ».
À mon sens, il est essentiel de se souvenir que dans un passé vraiment très proche, de tels discours étaient audibles.
C’est à la fois un signe que la société a évolué vite (et bien), et un rappel salutaire : ce qu’on prend pour acquis ne l’est pas toujours.
C’est à toi, à moi, à nous toutes et tous de rester vigilantes face à celles et ceux qui voudraient défendre leur droit à abuser d’autrui.
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Les Commentaires
- C'est intéressant de voir les mécanismes de manipulation et comment des gens normaux peuvent en venir à défendre cet homme.
- Une autre victime avait tenté de faire publier son témoignage mais le manuscrit a été rejeté.