À l’ère des délires cosmiques du MCU, où l’on ingère sans cesse les mêmes films de science-fiction aussi calibrés qu’un affreux Coca-Cola — béni soit toutefois Denis Villeneuve qui nous sauve de l’ennui mortifère en faisant le fameux « pas de côté » nécessaire à l’épanouissement du genre — revoir la trilogie Matrix (qu’on a avalée tout rond avant de voir le 4e) fait du bien au moral.
Matrix 4 ressuscite son concept, ses héros, et parle de son époque
Il faut dire que les sœurs Wachowski puisent leur inspiration chez les plus grands, parmi lesquels Hitchcock et Brian de Palma, dont elles ont su apprendre l’art du suspens tout en lisant parallèlement de la science-fiction.
Ainsi, c’est après un premier long-métrage titré Bound que Lana et Lilly fabriquent le triptyque Matrix, une fable cyber-punk sur l’aliénation des masses et notre rapport au libre arbitre.
L’histoire de Neo et Trinity s’étant achevée en 2003 dans les larmes et le sang, ressusciter les héros n’allait pas de soi. Sauf qu’outre son intrigue amoureuse largement shakespearienne, simple prétexte au politique finalement, Lana Wachowski (Lilly n’a pas souhaité rempiler) parle de son époque, de l’effroi qu’elle suscite, et surtout de la machine hollywoodienne.
À vous de juger, ensuite, si cela n’est que masturbation intellectuelle ou ultime épiphanie d’une grande réalisatrice. Pour notre part, on a tranché.
Matrix Resurrections, de quoi ça parle ?
On avait quitté nos héros Neo et Trinity dans un piteux état, après le troisième volet de la trilogie Matrix. Et c’est rien de le dire puisque les deux amants maudits étaient dead et archi dead.
Mais dans ce quatrième opus, Neo, sous l’identité de Thomas Anderson, est bel et bien vivant, et existe sous la forme de ce qu’on aurait pu appeler un hipster si l’on était en 2012, vêtu d’un pantalon de pyjama à carreaux et d’un bonnet en forme de capote.
Bref, il a le look bien cliché de son métier : créateur de jeux-vidéo. Et le meilleur du monde, s’il vous plaît !
Avec les jeux Matrix, il a réussi à bâtir un empire sous l’égide de son connard de patron, dont on a toujours pas compris à quoi il servait ni s’il était sympa ou infâme, et règne sur le monde du gaming du haut de sa tour d’argent.
Mais évidemment, quelque chose cloche. Thomas flotte, à peine conscient d’exister.
Sa seule parenthèse dans ce monde certes plein de fric mais désenchanté ? Une discussion avec une femme au café du coin.
Elle s’appelle Tiffany, a deux enfants et un mari qui a le charisme d’une palourde en mal d’iode. Sitôt qu’ils se serrent la main, ils ont l’impression qu’un courant particulier passe entre eux, qu’ils se connaissent.
Et pour cause, Tiffany est en réalité Trinity et Thomas est en réalité Neo, deux amoureux transits qui se sont sacrifiés sur l’autel de la survie de l’humanité. Et s’ils flottent à travers l’existence, c’est probablement parce qu’ils sont enfermés dans une nouvelle version de la Matrice.
On ne peut vous en dire plus sans risquer d’abimer votre expérience cinématographique en spoilant des enjeux majeurs du film mais une chose est certaine : il convient de bien rester éveillée devant ce nouveau volet, qui ferait passer les 3 premiers, en terme de compréhensibilité, pour un jeu des sept familles.
Car les « Synthient » et autres « Modal » vous sont servi à la louche, dans un dégueuli de jargon auquel vous risquez de ne rien piger.
Mais ça n’est pas grave, car l’essentiel est ailleurs.
Matrix 4, mise en abyme de la machine Hollywood
Les sœurs Wachovski ont toujours fait figure d’électrons libres dans la machine hollywoodienne. Loin d’être ici pour brosser leurs patrons et surtout leur public dans le sens du poil, elles ont toujours mis un point d’honneur a faire du cinéma un instrument philosophique, politique et social.
Ainsi, Matrix 4, qu’on adhère ou non à son prétexte et à son esthétique parfois trop cyber-punk pour ne pas être risible (cette fin Seigneur !) a ceci pour lui qu’il essaie, avec toute l’ardeur possible à un film distribué par la Warner, de dénoncer la boucle créative dans laquelle est coincé le cinéma.
Faire du neuf avec du vieux en rebootant les concepts à l’extrême, tirer sur les idées comme sur des chewing-gums, nous servir toujours la même mayonnaise : en signant un volet supplémentaire à une trilogie qu’elle a refusé de reprendre pendant des années (malgré l’insistance de la Warner), Lana Wachowski tire à balles réelles sur un Hollywood en manque d’imagination.
Attention quelques mini-spoilers à partir de ci-dessous
Dans sa première partie, superbe mise en abyme de la resucée cinématographique ambiante, la réalisatrice recrée les débuts de sa saga, et c’est si fabuleusement méta qu’on a plongé à fond dans le concept.
On en arrive ainsi à pardonner ses défauts au film qui en contient forcément, comme toute œuvre (surtout quand elle dure 2h30), parmi lesquels le personnage positivement insupportable de Jonathan Groff, la scène de baston interminable du milieu style ventre-mou qui encourage à la sieste, ou encore la fin tellement cucu qu’elle en est cringe.
On pardonne volontiers à Lana Wachowski les imperfections de son blockbuster, parce que s’il y en a une qui essaie de transcender les codes enrayés de la Matrice cinéma, c’est bien elle.
Et puis aussi parce que retrouver le duo Keanu Reeves – Carrie-Anne Moss a sans doute été l’un des moments les plus enthousiasmants de notre fin d’année.
Trinity, la vraie héroïne du film
Si la trilogie Matrix était, à bien des égards, infiniment plus progressiste que ses concurrents, mettant en scène un casting assez divers et faisant la part belle aux femmes, on restait toujours sur notre faim quant il s’agissait du personnage de Trinity.
Censée être l’une des héroïnes du programme, elle était surtout le love interest de Neo, une sorte d’amante sacrificielle prête à tout pour « son homme ».
Cette année, les cartes ont été légèrement rebattues, et Trinity gagne en profondeur. D’ailleurs c’est Neo qui a désormais besoin d’elle, non le contraire comme dans le 3e volet.
En outre, là où le personnage de Neo est, sinon légèrement ridiculisé au moins un poil décrédibilisé, lorsqu’il essaie notamment de voler en vain, frôlant avec la figure du héros déchu classique mais efficace, Trinity est celle qui gère les situations, et c’est même elle qui sauve Neo d’une chute fatale en… volant.
Bref, on vous passe les considérations habituelles de Lana Wachowski à base de « vous êtes tous des moutons », car elles sont globalement toujours les mêmes, mais pour tout son ambition dénonciatrice et aussi parce qu’elle a écrit ce film pour panser la mort de ses deux parents, on vous encourage à laisser une chance à la pilule rouge distribuée par Matrix 4.
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Les Commentaires
J’ai bien aimé le film sans pour autant avoir été diverti plus que ça, j’étais mal à l’aise avec la salle autour de moi et leurs commentaires. C’était une expérience véritablement meta entre Neo qui dit clairement « ne pas vouloir faire Matrix 4 » et les gens autour de moi venu débrancher leur cerveau pour un film d’action et pas pour autre chose …
Ce film est bourré de références, c’est un sandwich d’interprétations, de possibilités d’analyses.
Attention je ne pas que ce n’est pas aussi un film d’actions, s’en est un . Mais c’est surtout un sous texte sur l’identité de genre(l’autre la qui utilise sans arrêt le deadname de Néo) , l’amour, l’illusion, les choix, l’errance moderne …