Deux femmes accouchent le même jour, dans la même pièce. Forcément, ça crée des liens ! Par la suite, les les deux mères vont avoir besoin d’échanger et de partager leur vécu sans s’imaginer qu’elles sont liées par le destin à jamais.
Janice (Penélope Cruz) est une photographe de talent, qui préfère s’occuper de son futur enfant seule que mal accompagnée. Ana (Milena Smit) est une jeune femme qui n’avait pas prévu cette grossesse et qui se retrouve à l’assumer avec des sentiments paradoxaux. C’est ces deux destins de femmes, puis de mères que l’on va suivre en parallèle jusqu’à ce qu’ils se rejoignent et fusionnent.
La question de l’amour maternel
Certes, le pitch de Madres Paralelas débute un peu comme un téléfilm diffusé sur M6 à l’approche des fêtes. Mais heureusement pour nous, c’est bien plus profond et contrasté que cela. On parle d’Almodóvar tout de même !
Ni drame social, ni comédie en mettant en parallèle deux classes sociales différentes, les héroïnes de Madres Paralelas évoluent dans des milieux privilégiés. Les préoccupations et les intérieurs sont bourgeois, et la question la plus importante du film est celle de l’amour maternel et ce qu’on ressent profondément dans le ventre pour nos enfants, qu’on les ait mis au monde ou non.
Almodóvar n’en est pas à son coup d’essai et aime se consacrer à la maternité. Avec Tout sur ma mère notamment, chef-d’œuvre de 1999, il apportait sa pierre à l’édifice du film de filiation. Et comme toujours avec ce dernier né, on retrouve des ingrédients qu’il aime distiller dans ses films. Une sororité qui se déploie avec l’histoire, des personnages féminins forts, des secrets qui rongent… et qui finissent par éclater dans un cataclysme d’émotions !
Des portraits de mères tout en nuances
Les deux héroïnes du film sont souvent mises en miroir, Janice, qui approche des 40 ans, est folle de joie de cette grossesse surprise, tandis que la jeune Ana, 17 ans, est craintive et bourrée de remords.
Janice vient d’une lignée de mères seules : la sienne, une hippie des années 1970, est morte d’une overdose à 27 ans, comme Janis Joplin. Elle avait d’ailleurs choisi le prénom de sa fille car elle l’admirait. La petite Janice a été élevée par sa grand-mère qui l’a éduquée seule.
Ana est une ado un peu paumée, qui a peur de se retrouver avec un bébé sur les bras sans trop savoir comment procéder mais peu après l’accouchement, l’amour viendra vite, et fort. Elle est le fruit d’une histoire familiale où l’attachement mère-fille est loin d’être automatique. Sa mère, comédienne qui commence tout juste à percer, a par le passé préféré sa liberté à tout autre chose et a confié, plus ou moins contre son gré, la petite Ana à son père.
Maternité, héritage et filiation
Alors que Janice donne la vie, elle veut réparer les traumatismes de ses ancêtres.
L’arrière-grand-père de Janice a été tué, fusillé pendant la guerre civile, et enterré dans une fosse commune. Elle tente de l’exhumer pour lui offrir une sépulture décente, avec l’aide du père de son bébé, un anthropologue judiciaire de qui elle s’est séparée pendant la grossesse.
Dans son village d’origine, sa grand-mère et tant d’autres veulent eux aussi récupérer les corps de leurs êtres chers, tués pendant la guerre civile espagnole et enterrés dans ces charniers franquistes.
Dans ce film, c’est plutôt l’Histoire (les stigmates douloureux de la guerre civile) et les histoires (les souvenirs et confessions qui sont transmises aux enfants) qui font le liant entre les générations, le sentiment d’appartenance à une famille. Car après tout, que sommes nous sinon le fruit d’un passé, qui peut remonter très loin ?
Madres Paralelas, c’est aussi le récit de l’héritage qui se passe de mère en fille. On reproduit certains schémas, on s’oppose à d’autres. Mères seules ou mères absentes, Ana et Janice refusent de reproduire certains modèles.
Cette partie de l’article révèle l’intrigue de Madres Paralelas. Si vous n’êtes pas fan des spoilers, vous pouvez sauter au titre suivant !
Janice n’est pas la mère biologique de la petite qui lui a été confiée après son accouchement, Cecilia. Il y a eu un échange de bébés accidentel à la maternité entre les filles de Janice et d’Ana.
Janice s’en rend compte bien plus tard et hésite à en parler. L’amour pur qu’elle ressent pour ce bébé qu’elle a élevé l’engonce dans un secret terrible. Elle ne veut pas se séparer de la petite.
On comprend bien ici que la biologie n’a que peu son affaire dans la maternité, que c’est l’amour que l’on développe pour l’enfant qui l’emporte sur tout le reste. Lors d’une scène, on félicite Janice pour son instinct maternel – finalement pour une enfant qu’elle ni portée ni mise au monde. Qu’est-ce finalement sinon le possible amour que l’on développe pour l’enfant que l’on élève ?
Un film ancré dans le passé, et pourtant très actuel
Almodóvar ne cache pas son dessein, et l’écrit même sur le T-Shirt de Janice : « We Should All Be Feminists ». Une manière quelque peu balourde d’annoncer son message mais qu’on accepte ! Le film fait en effet, et ce n’est pas nouveau pour le réalisateur, la part belle aux personnages féminins indépendants et complexes.
Madres Paralelas permet aussi de revenir sur le passé franquiste du pays et sur les traumatismes encore présents, qui se transmettent de génération en génération. Pedro Almodóvar l’affirme :
« J’ai traité le sujet tout en délicatesse car je ne fais pas un règlement de comptes avec notre histoire, à l’instar des familles des victimes qui ne font qu’exiger une pierre tombale où inscrire le nom de leurs êtres chers ainsi que le droit de pouvoir les enterrer dans un lieu digne où elles puissent leur rendre hommage. C’est quelque chose que la société espagnole leur doit encore aujourd’hui, c’est une dette urgente car, à présent, c’est la génération des arrière-petits-enfants qui demande l’ouverture des fosses communes. »
Les délais d’exhumation des fosses communes sont notamment un problème qui persiste toujours à l’heure actuelle.
Almodóvar s’empare donc du passé de l’Espagne pour mettre au jour le difficile deuil des victimes du franquisme, mais il n’en oublie pas de sublimer son film, à l’aide d’images travaillées comme des toiles.
Une esthétique colorée et vintage
Madres Paralelas propose une photographie et des teintes toutes particulières, très Almodóvar. Alors que certains déplorent la surproduction et le côté un peu kitsh d’un soap, la photographie est un des aspects de ce film qui m’a beaucoup plu.
C’est en effet un film léché — un peu trop peut-être ? — avec des couleurs très orangées, pas mal de soleil et des intérieurs qui feraient rêver n’importe quelle instagrameuse déco. Les meubles 70’s art déco, présents dans la plupart des lieux et principalement dans l’appartement de Janice, donnent une ambiance toute particulière aux scènes.
Les décors sont si beaux qu’on en oublie parfois de regarder les personnages et de suivre l’intrigue. Des plans magnifiques donc, illuminés par des actrices au jeu impeccable.
Almodóvar retrouve sa muse, pour notre plus grand plaisir. Penélope Cruz, qui interprète avec finesse une mère — au bord de la crise de nerf — doit faire face, tout en dissimulations, au secret et à la souffrance. La jeune Milena Smit, révélation de ce film, maîtrise à la perfection la candeur. On se régale aussi devant la prestation de Rossy de Palma, égale à elle-même, dont l’excentricité pimente un peu la noirceur de certaines scènes.
Dans ce dernier Almodóvar on retrouve donc beaucoup de secrets, de révélations mais beaucoup d’amour… la vie, quoi !
Le film Madres Paralelas est en salle en France depuis le 24 novembre.
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Image en une : El Deseo / Iglesias Mas
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