Le 3 février 2020, Nabilla Vergara débarque sur le plateau de l’émission Clique de Canal+ face au présentateur Mouloud Achour. Blaser pastel, maquillage présent, mais modéré, celle que l’on connait principalement jusqu’alors pour ses frasques et buzz n’est plus une candidate de téléréalité lambda, elle est à présent une épouse et une mère, ce qu’elle énonce dans les toutes premières minutes de l’interview : « Je suis une femme mariée maintenant. Je pense que quand on se marie, c’est important de porter le nom de son époux » et d’ajouter « Je suis très heureuse, j’apprends ce nouveau métier de maman ».
Rappelons que Nabilla est aussi une femme d’affaires de talent et qu’elle a déjà plusieurs entreprises à son actif, mais ce n’est pas ce qu’elle met en avant.
L’hyper performance de la maternité comme posture rédemptrice
Valérie Rey-Robert, essayiste féministe, autrice de Téléréalité – La fabrique du sexisme rapporte que « les candidates capitalisent beaucoup sur leur maternité, c’est ce qu’elles mettent en avant sur leurs réseaux bien avant leurs métiers ou activités. Elles ont toujours cette petite phrase à la bouche : ‘être mère, c’est le plus beau métier du monde’ ».
Fabienne Lacoude, fondatrice de la Newsletter MILF et autrice de Daronne et féministe, ajoute qu’« au-delà de la posture morale existe un aspect plus pragmatique qui est celui de donner une autre dimension à sa carrière et d’aller conquérir de nouveaux marchés en termes d’influence : grossesse, puériculture, mode enfantine. »
Nabilla Vergara, Jessica Thivenin, Carla Moreau, Laura Lozina, Manon Tanti… nombreuses sont les candidates qui ont emprunté la voie du Salut en troquant clash, langage peu châtié, sorties en boite et conquêtes amoureuses pour ventres ronds, baby showers, layettes et placement de produits Bugaboo. En contrepoids et revirement à l’hypersexualisation subie ou performée par les candidates célibataires, l’accès à la maternité est une forme de rite vertueux vers une image plus « rangée », « polissée », plus respectable en somme.
Ainsi, les daronnes de téléréalité promeuvent des images très stéréotypées, selon ce qui est attendu d’elles. Et attention à la transgression ! La maman peut vite redevenir « putain » si elle prend trop de bon temps. On repense à Nabilla qui se déhanche en boite de nuit à Dubaï ou à Jessica et Manon qui se rendent sur des tournages et sont taxées dans la foulée d’être de mauvaises mères par des centaines d’internautes, figures incarnées d’une société sexiste.
De slutshamées, les candidates sont désormais mumshamées
La maternité comme moyen de rédemption ? Cela ne fonctionne pas, « quoi qu’elles fassent, elles seront jugées. Si elles n’ont pas perdu assez vite leur poids de grossesse, si elles l’ont perdu trop vite, si elles étouffent leurs enfants, si elles font autre chose que de s’occuper de leurs enfants, etc. », rappelle Valérie Rey-Robert. Les candidates de téléréalité, tout comme le commun des mères, sont soumises à des standards intenables : c’est trop ou ce n’est pas assez, mais ce n’est jamais comme il faudrait, un peu comme le nombre de partenaires sexuels pour n’être ni trop « salope » ni trop « prude ».
Selon Fabienne Lacoude, la forme de respectabilité acquise par le biais de la maternité a un prix en la matérialité de « jugements auxquels elles sont confrontées de façon sévère et constante. Comment mangent leurs enfants, comment ils s’habillent, quelles activités font-ils, quel type d’éducation ils reçoivent ».
De plus, Valérie Rey Robert rappelle que cette prétendue respectabilité acquise ne l’est pas pour les qualités intrinsèques de personnes que l’on considère comme sujets et maitresses de leur vie. Ces dernières sont (partiellement et conditionnellement) respectées parce qu’elles sont les femmes de et les mères de : « Elles sont perçues et prises en compte comme objets, pas comme sujets agissants, elles sont objets des hommes qu’elles ont épousés et objets de leurs enfants. Elles ne sont pas respectées en tant que tel mais seulement parce qu’elles remplissent les rôles auxquels elles ont été assignées ».
Barème normatif de ce qui fait une « bonne mère »
La maternité exposée sur le terrain de la téléréalité véhicule des valeurs toutes traditionnelles, « selon les codes de l’hétéro-patriarcat, avec la mise en lumière de familles dans la très grande majorité blanches, hétérosexuelles, dont les couples sont mariés avant d’avoir des enfants. Les stéréotypes de genre dans l’éducation sont aussi très prégnants : gender reveals, jeux et activités pour filles ou garçons, etc. » analyse Fabienne Lacoude.
Du côté des tâches dans le couple, on observe une répartition très nette, avec des candidates qui s’occupent de leurs intérieurs, décoration, mobiliers et qui sont responsables pour une large part de la charge parentale et domestique. Qu’il s’agisse de la mise en scène des candidates sur leurs propres réseaux ou de leur médiatisation dans des émissions de téléréalité comme Mamans & Célèbres, le public est confronté de façon très frontale au barème normatif de ce qui fait une bonne mère, et sur la base de quels comportements elle pourra être validée comme telle.
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