Il y a environ une semaine, des photos insoutenables ont commencé à tourner sur les réseaux sociaux. Celles d’un massacre terrible, qui a touché des étudiant•e•s de l’université de Garissa au Kenya, le 2 avril. Un événement atroce dont les médias ont mis du temps à parler.
Que s’est-il passé à Garissa ?
Le 2 avril dernier, un groupe d’homme masqués et armés a fait irruption dans une université de l’Est du Kenya, à Garissa. D’après le New York Times, les étudiant•e•s ayant survécu racontent avoir été réveillé•e•s par des bruits de coups de feu, un peu avant l’aube. Les attaquants auraient fait irruption dans les lieux lors d’une messe.
Ils sont ensuite allés de dortoir en dortoir, et ont commencé à séparer les étudiant•e•s : ils ont mis d’un côté les musulman•e•s, de l’autre, les chrétien•ne•s. Hellen Titus, une étudiante rescapée, a raconté à l’AFP comment les hommes armés se sont attaqués aux personnes présentes sur les lieux :
« Les chababs nous ont dit, à nous les femmes, que le Coran ne les autorisait pas à nous tuer, donc ils ont commencé à tuer les hommes. […] Si on revient, ils vont nous tuer de la même manière. Ils nous ont dit que selon eux, ici, ce n’est pas une vraie université, et que si on voulait vraiment apprendre, il fallait nous convertir à l’Islam. »
Sur le Wall Street Journal, relayé par Slate, un autre étudiant survivant raconte que les tueurs lui ont demandé de prouver qu’il était bien musulman :
« L’un d’entre eux nous a demandé de nous coucher sur le sol, ce que l’on a fait. Il nous a ensuite demandé si nous étions musulmans, et j’ai répondu « Oui. S’il vous plaît ne nous tuez pas, nous sommes musulmans ». Il nous a demandé de réciter la Chahada [la profession de foi de l’islam] et je l’ai récitée très fort. Mes amis ont fait pareil. Il nous a dit : « Vous pouvez partir maintenant ». »
RFI a recueilli encore bien d’autres témoignages qui font froid dans le dos. Le New York Times relate que les policiers à proximité ont entendu les coups de feu et ont répliqué : les attaquants ont alors trouvé refuge dans des bâtiments. Après leur arrivée, les forces de police ont alors encerclé le campus, et vers 11 heures du matin, les trois quarts des étudiant•e•s avaient été évacué•e•s.
Au total, 148 personnes (d’après les derniers décomptes) sont décédées sous les coups de feu des terroristes, dont 3 militaires, 3 policiers et 142 étudiant•e•s. La majorité de ces victimes était de confession chrétienne. D’après Courrier International, il s’agit de l’attentat terroriste le plus meurtrier de l’histoire du Kenya.
Qui sont les Chababs qui ont attaqué l’université ?
Le jour où les combattants ont massacré les étudiant•e•s, l’attaque a été revendiqué par le Chabab, un terme qui signifie « la jeunesse ». C’est un groupe islamiste, comme l’explique Le Monde, né en Somalie en 2006, qui s’est emparé de la capitale du pays, Mogasdiscio. Les Chababs veulent un État fondé sur la charia, qu’on définit souvent comme « l’ensemble des règles morales et pénales qui régissent la vie d’un musulman » — règles qui sont malheureusement souvent soumises à interprétation, notamment par les groupes extrémistes.
Les combattants des Chababs sont rattachés au réseau terroriste d’Al-Qaida. Ils se sont d’abord liés à lui par l’intermédiaire de certains responsables de l’organisation, avant de lui prêter allégeance en 2009. Aujourd’hui, ils seraient entre 5000 et 9000, dont des locaux, et des combattants islamistes étrangers.
Pour l’instant, la police a arrêté six suspects. Elle a également identifié l’un des terroristes tués pendant l’assaut des forces de l’ordre : Abdirahim Abdullahi, qui a été diplômé de la faculté de droit de Nairobi au Kenya il y a deux ans. Ses anciens camarades le décrivent comme un étudiant « cool », absolument pas intégriste, et ne comprennent pas comment il a pu en arriver à massacrer des gens. Ils craignent désormais une attaque de leur université, comme le rapporte RFI :
« Mary, future avocate, a des inquiétudes beaucoup plus pragmatiques. « C’est un étudiant qui a passé quatre ans ici, il connaissait tous les recoins de cette faculté. Qu’est-ce qui pourrait se passer ici si toutes ces informations, il les a donnés aux Chababs ? », s’inquiète la jeune femme. »
Pourquoi cette attaque ?
D’après le
New York Times et le communiqué publié par le groupe terroriste, l’attaque de l’université de Garissa était considérée comme une « opération contre les infidèles ».
Dans un message audio qui a été diffusé peu de temps après la tuerie, un porte-parole des Chababs a justifié l’attaque par le fait que le gouvernement chrétien du Kenya aurait envahi la Somalie : cette déclaration fait référence à l’incursion, en 2011, de l’armée kenyane en Somalie, qui visait à évincer le Chabab. Il a affirmé que l’université de Garissa a été visée parce qu’elle accueillait de nombreux étudiants chrétiens, dans une zone que le groupe islamiste considère comme « une terre musulmane colonisée » par les chrétiens.
Est-ce qu’on aurait pu prévoir la tuerie ?
D’après une enquête du Los Angeles Times relayée par Slate, les étudiant•e•s de l’université s’attendaient à une attaque terroriste. La ville de Garissa était connue pour avoir été la cible d’attaques extrémistes, et les étudiant•e•s de l’université étaient en majorité des chrétien•ne•s dans une zone où la confession musulmane est majoritaire, et proche de la Somalie où se trouvent les Chababs.
Un des étudiants de Garissa a par exemple raconté au Los Angeles Times que ses amis lui avaient conseillé d’emporter une arme à feu à l’université :
« Quand vous receviez votre lettre d’admission à Garissa, certaines personnes vous disaient que ce n’était pas prudent d’y aller. »
L’université de Nairobi avait elle aussi prévenu les étudiant•e•s de l’imminence d’une attaque terroriste contre une institution universitaire. La ministre des Affaires étrangères du Kenya, elle, a affirmé qu’on ne pouvait pas prévoir ni la date ni le lieu des offensives.
Pourquoi les internautes sont-ils en colère ?
Différents hashtags, que relève Libération, se sont créés sur Twitter en hommage aux étudiants massacrés : #147notjustanumber (147, le nombre de victimes, n’est pas qu’un nombre), #TheyHaveNames (ils et elles ont des noms) ou encore #JeSuisKenyan. En fait, les internautes reprochent aux médias internationaux de n’avoir pas suffisamment traité le sujet, et surtout, d’avoir mis du temps à s’y intéresser.
En fait, le problème qui se pose est celui de la loi du « mort-kilomètre » : une règle (hélas terrible) du journalisme qui veut que soient souvent privilégiés les événements qui se passent à proximité du public auquel on s’adresse. Autrement dit, les médias sont plus susceptibles de relayer le décès d’une personne au coin de ta rue que celui de plusieurs milliers de gens à l’autre bout du monde.
Buzzfeed a publié les photos d’une grande partie des étudiant•e•s décédé•e•s, au fur et à mesure de leur diffusion sur la toile.
Alors que les motivations du massacre sont très semblables à celle de la tuerie de Charlie Hebdo, les internautes considèrent que la mobilisation internationale a été beaucoup moins importante pour les étudiant•e•s africain•e•s que pour le journal satirique français. Ils reprochent aux dirigeants des pays occidentaux de n’avoir pas manifesté leur soutien au Kenya, comme le souligne Libération :
« François Hollande a certes proposé son aide au Kenya dès le lendemain du massacre et a brièvement évoqué le drame, lundi […]. Ni lui, ni aucun de ses pairs occidentaux ne sont allés plus loin, comme ce fut le cas en janvier, alors que les pays africains n’avaient pas hésité, eux, à soutenir la France en deuil. »
Les dirigeants des autres pays africains, eux aussi, sont épinglés sur le Web pour leur manque de réactivité. Quant à la presse kenyane, elle reproche aux autorités d’avoir ignoré les avertissements d’attaques terroristes.
Les hommages rendus aux étudiant•e•s
Le Kenya a décrété un deuil national de 3 jours, qui a commencé le 5 avril, en mémoire des personnes abattues à Garissa. D’autres étudiant•e•s se sont réuni•e•s le 7 avril à Nairobi pour leur rendre hommage. Ils étaient près de 200 à marcher dans les rues de la capitale, jusqu’au bureau de la présidence kenyane, pour protester contre l’incapacité du gouvernement à protéger la population. Une veillée-hommage était aussi prévue en début de soirée.
En France, un rassemblement a eu lieu le 7 avril à Paris devant l’université de la Sorbonne, et un autre est prévu le 8 avril 2015, à 18 heures, place de la République, toujours à Paris.
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