L’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé est morte à l’âge de 90 ans, dans la nuit du lundi 1er au mardi 2 avril, a annoncé sa fille à La 1ère. Quelques années avant de s’éteindre, ce monument de la littérature, ironiquement plus connue et reconnue à l’internationale qu’en son propre pays, avait reçu en 2018 le « prix Nobel alternatif de littérature », décerné par la Nouvelle Académie qui s’était constituée en pleine crise #MeToo. À travers une tribune baptisée « Maryse Condé mérite l’hommage national de la République » et publiée le 4 avril 2024 par Le Nouvel Obs, de nombreuses personnalités culturelles et politiques, dont Jean-Marc-Ayrault, Christiane Taubira, Leïla Slimani ou encore Omar Sy, appellent à un hommage national pour l’autrice guadeloupéenne, grande voix de la littérature francophone. Retour sur la carrière sans fards de cette Guadeloupéenne trop indépendantiste pour la France.
Qui était Maryse Condé, grande autrice guadeloupéenne, morte le 2 avril 2024 à 90 ans ?
Née le 11 février 1937 à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, Maryse Boucolon grandit comme la benjamine de huit enfants, dans une famille de la petite bourgeoisie qui aimait à se surnommer de « grands nègres ». Principalement élevée par sa mère (parmi les premières institutrices noires de l’époque) et sa grand-mère, elle écrit sa première ébauche de roman à onze ans et s’envole à l’âge de 16 ans à Paris pour étudier au lycée Fénelon, puis à la Sorbonne. Elle n’a alors jamais parlé un seul mot de créole, conditionnée à considérer sa culture d’origine comme grossière. Obsédée par l’identité antillaise et les stéréotypes des personnes noires dans la littérature, elle n’a de cesse de s’interroger sur ce qui les différencie ou non du reste du monde.
En 1956, à 19 ans, elle devient mère d’un premier garçon, puis épouse en 1958 Mamadou Condé, un comédien guinéen qui se produisait dans d’obscures salles de théâtre parisiennes, où il faisait de la « négrerie » (comprendre : jouer volontairement une sorte de stéréotype de Noir). Ensemble, ils s’installent en Guinée, où elle enseigne et donne naissance à leur premier enfant en 1960, puis au Ghana et au Sénégal jusqu’en 1968. Elle y est perçue comme une étrangère, blanche peinte en noire, qui porte pourtant en elle une forte nostalgie pour la Guadeloupe qu’elle transmet aux quatre enfants qu’elle a eus.
Maryse Condé, ses premiers livres, La Parole des femmes, et le féminisme
Maryse Condé passe un doctorat de lettres à la Sorbonne en 1975 avant de publier son premier roman, Hérémakhonon en 1976, dont l’héroïne est une jeune antillaise en quête de ses racines. Suivent d’autres romans, avec toujours une place centrale accordée aux destins de femmes noires. Un temps journaliste pour la BBC à Londres, elle y rencontre Richard Philcox, qui devient son second mari, ainsi que son fidèle traducteur en langue anglaise. En 1979, dans La Parole des femmes, l’intellectuelle explique que les revendications des femmes blanches qui prétendent à l’universalité ne peuvent trouver écho chez les femmes antillaises, parce qu’elles n’ont pas la même histoire. C’est ce qui l’amène à rejeter un temps le terme de féministe.
Sa saga africaine Ségou (Les murailles de terre en 1984, puis La terre en miettes en 1985), qui suit une famille de nobles bambara de 1797 à 1860 dans un Mali tourmenté, deviennent rapidement des bestsellers. À partir de 1985, elle enseigne à l’université Columbia (jusqu’en 2002), et vit entre New York et la Guadeloupe, s’intéressant de plus en plus aux tensions entre le féminisme occidental qui feint de ne pas voir les couleurs et le black feminism porté par des Afro-Américaines.
L’autrice guadeloupéenne Maryse Condé, plus reconnue outre-Atlantique qu’en Hexagone
Avec Moi, Tituba, sorcière… Noire de Salem (1986, préfacée par Angela Davis dans sa version anglaise, livre parmi les plus étudiés aux États-Unis), Maryse Condé constitue une sorte d’autobiographie fictive d’un personnage historique originaire de la Barbade : Tituba Indien, guérisseuse devenue esclave condamnée en 1692 lors du procès des sorcières de Salem. Avec Célanire Cou-Coupé publié en 2000, roman fantastique autour d’une Guadeloupéenne qui arrive en Côte d’Ivoire en 1901 pour y enseigner, Maryse Condé continue d’utiliser la fiction comme un espace pour réparer et questionner l’invisibilisation des femmes noires de l’Histoire, de la négritude, de l’antillanité et de la créolité, ainsi que du féminisme occidental.
Maryse Condé préside en 2004 le Comité pour la mémoire de l’esclavage, pour l’application de la loi Taubira qui a reconnu en 2001 la traite négrière et l’esclavage comme crimes contre l’humanité. En parallèle de sa carrière universitaire aux États-Unis, elle enchaîne les romans comme La Vie scélérate (1987), La Colonie du Nouveau Monde (1993), La Migration des cœurs (1995), Desirada (1997), La Belle Créole (2001), ou encore Histoire de la femme cannibale (2003), qui lui assurent une notoriété plus importante outre-Atlantique qu’en Hexagone.
Outre quelques pièces de théâtre et livres pour enfants, l’autrice publie en 2012, à 75 ans, un essai autobiographique sur la littérature, La Vie sans fards qui s’ouvre sur une question : « Pourquoi faut-il que toute tentative de se raconter aboutisse à un fatras de demi-vérités ? » En 2018, Maryse Condé reçoit le « prix Nobel alternatif de littérature », décerné par la Nouvelle Académie. La professeure émérite a vécu sa fin de vie à Gordes, dans le Vaucluse, avec son mari, une assistance médicale, et toujours plus de questions sur ce que veut dire écrire.
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