Pour les militantes féministes, le 8 mars est une de ces dates qui fout les poils. Frissons d’excitation, frissons d’appréhension… chaque année, je me demande à quelle sauce je vais être mangée.
La journée internationale des droits des femmes est une formidable opportunité de rappeler qu’il reste du chemin à parcourir pour parvenir à l’égalité.
Alors tous les ans, je me réjouis de découvrir de nouvelles initiatives qui nous permettent de mieux nous comprendre et de mieux vivre tous et toutes ensemble.
Je suis sollicitée de toutes parts pour le 8 mars
Mais tous les ans aussi, dès février, j’appréhende. Car je sais que le mois de mars sera un looong chemin parsemé d’interventions et de sollicitations en tous genres.
Depuis plusieurs années, à côté de mon boulot sur les événements de madmoiZelle, j’alimente le grand moulin du féminisme en encourageant une cause qui me tient à cœur : la liberté d’expression des femmes sur internet.
L’asso que je préside, les Internettes, valorise et encourage les créatrices de vidéos web.
Pas forcément les EnjoyPhoenix qui se débrouillent bien toutes seules, plutôt les Tempête Lab, Renard et Caramal ou les Laetitis qui ont besoin d’un coup de pouce pour développer leurs chaînes !
Parmi nos actions les plus notables, tu as peut-être entendu parler de nos ateliers de formation, du concours vidéo Les Pouces d’Or ou du répertoire de youtubeuses, l’Internettes Explorer.
Parce qu’on fait un tas de choses, on attire un peu l’attention des médias et des organisateurs d’événements… et c’est tant mieux pour la cause que nous défendons ! Pourtant, il semblerait que ce sujet ne mérite d’être sous le feu des projecteurs… qu’en mars.
Début février, les demandes d’intervention et d’interviews explosent.
« Dans le cadre d’une semaine pour l’égalité » ou « pour créer l’événement autour de la journée de la femme (sic) », des entreprises, institutions et journalistes nous sollicitent pour intervenir.
Souvent pro-bono, c’est à dire GRATUITEMENT, car souvent « il n’y a pas de budget » pour ces initiatives portées par des volontaires.
Et nous, nous acceptons.
Parce que nous pensons qu’il faut occuper les espaces avec notre discours pour faire avancer la cause, mais aussi parce que trop de femmes refusent de prendre la parole publiquement, rongées par leur syndrome de l’imposteur ou malheureusement trop occupées à jongler entre leurs multiples vies.
Cette année donc, les Internettes interviendront au moins dans 6 espaces mais n’ont pas annoncé de projet spécial pour le 8 mars, et… on ne l’a pas fait exprès.
En ce moment-même, nous coordonnons 15 projets pour aider les femmes à percer sur YouTube qui, eux, se déroulent toute l’année
… alors on a laissé glisser la date fatidique.
Le 8 mars, nous ne ferons rien de plus
En y réfléchissant, je me suis dit que c’était un mal pour un bien, de ne rien faire de spécial pour le 8 mars.
Hyper ambitieuses, nous avons souvent du mal à dire stop et à nous retenir de lancer de nouvelles actions. Mais qu’apporterions-nous le 8 mars ?
Rien de plus que ce que nous faisons tout le reste du temps.
Autour de moi, je ne compte plus les activistes qui s’épuisent, frisant le burn-out militant, quand arrivent les mois de novembre (avec sa journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes) et de mars.
Mais en janvier, février, avril, mai, juin, (pas juillet-août laissez-nous des vacs), septembre, octobre et décembre, nos idées et nos projets ne valent-ils pas le coup ?
Et en dehors de ces périodes, ne sommes-nous pas légitimes à intervenir sur tous les sujets dans des tables-rondes ou dans des médias ?
Alors que le taux de présence des femmes, tous médias confondus, s’élève à 41%, leur temps de parole n’est que de 36%, ce qui laisse supposer qu’à présence égale, les femmes s’expriment moins que les hommes.
Par ailleurs, concernant les invitées politiques, si elles sont plus nombreuses qu’en 2018 (33%, télévision et radio confondus, soit +6 points par rapport à 2018), on remarque que lors des élections européennes (15 avril et 24 mai 2019), leur temps de parole n’était que de 28%.
Présence des femmes dans les médias audiovisuels : Le CSA relève des progrès dans son rapport 2019, notamment à la radio (5 mars 2020)
Le 8 mars et ses sujets tragiques
Mais la période embouteillée du 8 mars n’est pas le seul problème. Car en plus d’être sursollicitées, nous le sommes souvent sur des sujets du seum.
Le combat pour l’égalité est rarement pris sous l’angle positif.
Notre asso valorise et accompagne des femmes inspirantes et talentueuses ? Elles n’attireront jamais autant qu’un bon sujet sur un cyberharcèlement sexiste, plus choquant, plus violent, plus prompt à polariser et à indigner.
Les demandes pour nous exprimer sur les cyberviolences sont tellement plus fréquentes que la mise en avant des talents féminins qu’aux Internettes nous refusons désormais de participer à ces paniques médiatiques.
À force de ressasser sur le sujet du cyberharcèlement qui concerne heureusement une minorité de créatrices, nous finissions par occulter tous les aspects positifs qu’amène la prise de parole et la création originale sur YouTube.
Autour de moi, la colère gronde. Et tenir la ligne de la positivité et de l’empouvoirement est un combat quotidien.
Tous les jours, j’ai un nouveau sujet d’indignation. Dans le journal de 7h, dans les podcasts que j’écoute, sur Twitter, dans mes discussions ou même dans la rue, les inégalités et les violences que les femmes et les hommes continuent de subir en raison de leur genre me révoltent.
Et pour cause, les actus sont terribles, choquantes. Tu en es tellement abreuvée que je n’ai même pas besoin de te les énumérer.
Tous les jours, je reçois les mauvaises nouvelles du féminisme. Et si je ne regardais pas la bigger picture de temps en temps, je pourrais vite croire que rien n’avance et je me murerrais dans la colère.
Nos avancées sont impalpables parce qu’elles viennent ébranler des millénaires de fonctionnements injustes.
Pourtant, elles sont là, comme en témoignent les Bonnes nouvelles du féminisme qu’Esther livre tous les mois sur un plateau.
Accrochons-nous aux bonnes nouvelles
Nous sommes peu à nous accrocher aux rayons de soleil qui transpercent les nuages, et nos voix ne portent pas autant que lorsqu’on tente de nous enfermer dans la position de victimes.
Victimes de violences sexuelles, victimes de cyberharcèlement, victimes du patriarcat. Quelques figures éclatent cette image de victime, comme Marion Séclin, une de mes modèles en la matière.
Nous sommes peu, mais nous sommes puissantes et nous avons le pouvoir de raconter nous-mêmes nos histoires.
Aux Internettes, nous avons fait le choix d’adresser la question du sexisme sur YouTube en transformant la colère en moteur.
C’est aussi le travail que nous faisons au quotidien chez madmoiZelle, en te donnant des clés pour te sortir les doigts et kicker tes complexes et ton syndrome de l’imposteur.
Contre la morosité ambiante d’Internet et de l’actualité quotidienne, nous résistons. Et j’espère que toi aussi, tu auras la force de nous rejoindre dans le camp de l’espoir et de l’optimisme, de lutter contre cette tendance terriblement humaine à bloquer sur le négatif alors qu’ensemble, nous évoluons.
Nous avons plus que jamais besoin de faire un pas les uns vers les autres pour se comprendre et amener de réels changements de comportements.
Ça commence par ne pas insulter le premier contradicteur, ou ne pas l’envoyer dans le gouffre du canceling à la moindre incartade.
Personne n’est parfait, accordons-nous le droit à l’erreur.
Alors le 8 mars, nous ne ferons rien de plus que d’habitude. Nous rappelerons que malgré les violences que nous subissons toujours, nous avançons et nous ne plions pas. Et ça sera déjà bien suffisant.
À lire aussi : Mon message du 8 mars, à toutes les meufs imparfaites
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Les Commentaires
-L'extrême-droite, ou leurs idées quand elles sont reprises par d'autres partis, gagne du terrain absolument partout et Trump va très probablement se faire réélire, le tout avec la complicité de leurs principales victimes.
-La crise écologique va faire voler en éclats les quelques progrès qui auront été accomplis.