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Marion Seclin « des IA featent avec Michel Sardou, mais on dit qu’on n’a pas d’outils contre le cyberharcèlement »

« J’ai arrêté de compter les messages d’insultes, d’appels au meurtre ou au viol quand j’ai atteint le chiffre 40 000 ». Dans le documentaire Je vous salue salope, en salles depuis le 4 octobre, Marion Seclin raconte et analyse le déferlement de cyberviolence qu’elle a subi en 2016, après avoir posté une vidéo sur le harcèlement de rue. Madmoizelle l’a rencontrée.

Madmoizelle. Comment as-tu été intégrée au projet du film Je vous salue salope ?

Marion Seclin. J’ai été contacté par la réalisatrice, Léa Clermont-Dion. Elle est venue en France et on s’est rencontrées, on a parlé du projet. Puis, elle est revenue une semaine pour tourner. C’était une petite équipe, très calme et l’écoute.

On arrive à être des victimes et à avoir en plus une réflexion d’analyse pour dire : voilà, j’ai compris comment on pouvait faire en sorte que le monde aille mieux.

Ce n’était pas du tout un projet voyeuriste. J’avais déjà témoigné dans des médias qui avaient relativement profité de l’écho qu’avait eu mon histoire pour ne pas modérer les commentaires. Là, je me sentais vraiment en sécurité pour témoigner. Je savais aussi qu’il y avait d’autres témoignages et que surtout, je n’étais pas là juste pour mon expérience mais aussi pour mon expertise. L’idée n’est pas juste de dire « j’ai vécu ça » mais expliquer ce que j’en tire. Les autres témoignages du film sont extrêmement brillants. On arrive à être des victimes et à avoir en plus une réflexion d’analyse pour dire : voilà, j’ai compris comment on pouvait faire en sorte que le monde aille mieux.

Peux-tu nous raconter ce qui t’est arrivé durant l’été 2016 ?

M.S. Durant l’été 2016, j’ai été une femme et j’ai fait une vidéo sur le féminisme sur Internet. J’ai vraiment pas contrôlé du tout ce que je disais. Je disais les femmes c’est des gens, venez ou nous laisse tranquille par exemple quand on existe. Je suis allée très, très loin politiquement et j’ai mis en colère beaucoup, beaucoup de garçons qui disaient que j’avais tort. Et ils ne se sont pas contentés de dire que j’avais tort : ils voulaient que je meure, ils voulaient me violer, ils voulaient que je me suicide et que mes parents aient des cancers.

À lire aussi : « L’espace numérique est une toile de dominations » : interview de Ketsia Mutombo et Laure Salmona

Tes agresseurs ont-ils été punis ?

M.S. Non. Mes agresseurs sont tellement nombreux, ils sont tellement de tout bord politique… en revanche, ils ne sont pas de tous genres. Étonnamment, on ne retrouvait qu’un seul genre parmi eux, mais je ne vais pas dire lequel sinon, ça va encore pleurer dans les commentaires.

À l’origine, on imaginait que ces gens méchants sur Internet vivaient dans une cave en dessous de chez leurs parents, qu’ils n’avaient pas de vie… mais beaucoup de mes camarades de YouTube se sont rendu compte que ces personnes faisaient aussi partie de leur communauté. En fait, c’était vraiment tout le monde.

Tu as observé des violences sexistes en tant que militante féministe, mais tu les as aussi vécues en tant que femme. Pour toi, y a-t-il des spécificités à la violence en ligne, qui la distinguerait de la violence irl ?

M.S. Je trouve qu’Internet fonctionne comme n’importe quel espace public dans lequel, en tant que femme, on ne se sent pas en sécurité, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse. Sur Internet, j’ai commencé avec de l’humour très inoffensif, des textes que je n’avais même pas écrits moi-même. Pourtant, je recevais quand même des « Je te baise », simplement parce que j’ai eu l’affront d’exister.

Quand tu télécharges illégalement des films, je peux te dire que tu vas te faire punir, mais tu peux menacer de mort et de viol qui tu veux, il ne se passera rien et on te dira qu’on n’a pas les outils.

La différence de la violence en ligne, c’est qu’il y a cet effet de masse qui donne la permission à tout le monde de le faire. La loi n’en a absolument rien à faire. Elle considère que ce n’est pas le vrai monde. Le conseil que je recevais à l’époque était littéralement « arrêtez d’y penser. »

En 2018, tu disais dans une interview que la loi n’était pas faite pour aider les femmes victimes de harcèlement en ligne. Cinq ans plus tard, as-tu impression que les choses vont mieux ?

M.S. Le constat est absolument le même qu’il y a cinq ans. Fondamentalement, les lois ne sont pas faites pour protéger les femmes. On est encore « un sujet », on est encore débattues. Pour moi, il faut que ce problème soit légiféré par des personnes qui ont les connaissances et qui ont fait les études pour pouvoir le gérer. Mais l’état ne se donne pas les moyens de le faire.

Il faudrait une formation des flics, des démarches facilitées, l’utilisation de pare-feu, en imaginant par exemple qu’on ne peut pas utiliser trop de fois le mot « viol ». Il faut voir comme ça marche bien avec Hadopi ! Quand tu télécharges illégalement des films, je peux te dire que tu vas te faire punir, mais tu peux menacer de mort et de viol qui tu veux, il ne se passera rien et on te dira qu’on n’a pas les outils. Si je résume, des IA featent avec Michel Sardou, mais on dit qu’on n’a pas d’outils contre le cyber-harcèlement.

Non, ils n’ont juste pas envie. Parce qu’en l’occurrence, l’indignation fait les clics sur Internet. Dès que quelque chose rapporte de l’argent, bizarrement, ils n’ont plus de moyens.

Donc, comme en 2018, c’est nul. Et moi, je pense juste à l’adolescente ou l’adolescent qui vit ça, qui cherche de l’aide, qui va tomber sur un vieux site qui lui recommande de tchater avec un policier. Moi, j’ai tchaté avec un policier. On m’a répondu : « N’ouvrez pas les mails. Merci. »

T’est-il arrivé de penser que la violence sur Internet remet en question la possibilité et l’importance de militer en ligne ?

M.S. Je n’ai jamais pensé ça car je pense précisément qu’Internet est fait pour ça. S’il n’y a pas de lois pour les agresseurs, il n’y a pas de lois pour nous non plus. C’est un espace sur lequel j’ai pu m’exprimer sans demander l’autorisation, sans payer. Il n’y a pas d’autres endroits comme ça – puisque ce n’est pas comme si on nous donnait beaucoup la parole ailleurs. On donne la parole à des femmes, mais seulement à celles qui sont tout à fait adaptées à ce système. Pour nous dire ensuite « vous vous plaignez alors qu’il y a des femmes qui parlent. » Si on ne le milite pas sur Internet, je ne vois pas où on le ferait.

Malgré la violence démesurée que tu as subie, tu as toujours dit que tu ne te tairais jamais. Tu appelles à continuer à parler, à se mobiliser, à dénoncer. Comment trouves-tu ce courage ?

M.S. Je ne sais pas si c’est du courage ou juste de la survie. J’ai l’impression que les femmes survivent depuis la nuit des temps. Je ne crois pas du tout aux rhétoriques du type « J’ai réussi à construire une carapace assez dure ». La vérité est que cette violence, c’est la norme. Ça n’a jamais été autrement. C’est faux de penser « je me suis renforcée, j’ai l’habitude » : on n’a jamais l’habitude, c’est toujours violent. C’est juste que je ne connais rien d’autre. Mais quand je vois votre génération, je me rappelle que le résultat en vaut la peine.


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Les Commentaires

1
Avatar de Mary-Sue
12 octobre 2023 à 12h10
Mary-Sue
l’indignation fait les clics sur Internet

Ce n'est pas le fond de commerce de votre site avec pas mal d'articles qui sont là pour créér l'indignation chez les gens ? Je trouve assez ironique de publier une interview qui dénonce cette méthode lorsque vous l'utilisez vous-mêmes.
Pour ce qui est des outils qui ne sont pas utilisés... Hadopi, comment dire... Est-ce que ça marchait vraiment ? Parce que j'ai l'impression au contraire que beaucoup de gens passaient à travers le filet. J'entends aussi par exemple des histoires de hackeurs qui ferment des sites pédopornographiques, où les gens se plaignent que la justice ne fait rien alors qu'en réalité, il y a des enquêtes derrières pour retrouver et démenteler les réseaux qui se cachent derrière.
Donc est-ce si facile que ça ? Je ne sais pas, même si je suis d'accord que oui, en effet, il n'y a pas vraiment de moyens mis en place contre le harcèlement et cyber-harcèlement. C'est d'ailleurs aussi le cas dans la vraie vie. Je me souviens d'une femme qui me racontait qu'un type la suivait très souvent, et lui envoyait des lettres assez bizarres mais que les flics ne pouvaient rien faire tant que le type n'était pas pris sur le fait malgré les vidéos qu'elle prenait. Il avait fallu que des gens autour d'elle finisse par retenir le type jusqu'à l'arrivée des flics. Quand on est là, vaut mieux pas s'attendre à des miracles sur internet. Malheureusement.
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