J’avais presque oublié que le temps passait quand même. Le 8 avril, comme chaque année, et sans surprise, j’ai fêté mon anniversaire. Mes trente berges. Les jeunes gaspillent la jeunesse.
30 ans et l’idée que je m’en fais
Ça faisait longtemps que je savais que j’allais avoir trente ans. Pourtant, artiste torturée à mes heures perdues, je n’ai jamais eu envie de mourir jeune. J’ai envie de vivre le plus longtemps possible, pour voir ce que devient le monde que j’essaie de changer.
J’avais entendu partout que la trentaine était une vraie étape, une étape charnière, souvent crainte par ceux qui doivent y passer.
Quiconque y passait se montrait déprimé pour la posture. Un faux air blasé sur le visage et dans les mots, la moue boudeuse, trente ans ça voulait dire vieillir vraiment, devoir se plier aux règles du jeu de la vie, faire le bilan de ce qu’on n’a pas encore fait et qu’on aurait dû faire.
Probablement qu’à l’époque où l’espérance de vie était bien plus basse qu’aujourd’hui, trente ans ça voulait dire que la vie était presque écoulée. Et je crois que les humains sont tellement mauvais pour réinventer une réalité adaptée à leur époque qu’on a gardé dans notre mémoire collective l’idée absurde que trente ans, encore aujourd’hui, c’est le début de la fin.
À vingt-cinq ans, trente ans me faisaient cet effet. J’avais pas trop envie de les avoir, je voulais encore du répit pour pouvoir expérimenter des bêtises, faire des erreurs. Je pensais qu’à trente ans on n’avait plus d’excuse, on devait maîtriser l’art subtil de vivre.
Et plus je m’en approchais, plus je comprenais que j’étais influencée par la mémoire de mes pairs déjà mères une ou plusieurs fois à cet âge, déjà lancées sur l’autoroute dorée de ce qu’on attendait d’elles, qu’elles le veuillent ou non.
J’ai donc posé mes répliques « par défaut » sur la table et je les ai observées.
Pourquoi avoir peur, ou être triste, me sentir inférieure, incomplète, pourquoi craindre d’arriver au niveau trente sans avoir le niveau ?
Avoir passé 30 ans à apprendre à se connaître
Rapidement j’ai constaté que je ne pouvais pas être une imposteure de mon âge.
Je les ai vécues, ces trente années. Je les mérite. Et si ce qui constitue ma vie est différent de ce qui fait la vie des autres, qui a autorité pour tamponner mon visa ?
J’ai observé ce que la fin de ma vingtaine m’avait apporté, et mon bilan me combla.
Mon corps, que j’avais si souvent martyrisé à vingt ans, que j’avais si souvent forcé, contraint, ignoré, abusé, je le connaissais aujourd’hui par cœur.
Mon cœur, qui cherchait à tout prix à être aimé à vingt ans, sait maintenant battre à tout rompre pour de meilleures raisons. Parce que pour être honnête je sais que j’ai encore tant d’échecs à réussir niveau cœur.
Mon cerveau, qui cherchait à être compris, à s’intégrer et à tout expliquer à vingt ans, assume dorénavant sa singularité.
À un niveau très intime, j’étais satisfaite de mon temps passé sur terre et de mon état intérieur à trente ans. J’ai réussi à rentabiliser toutes mes péripéties, à apprendre de toutes mes erreurs, et à avoir pourtant encore des milliers de choses à vivre et à connaître.
Je suis alignée avec ce que je désire. Je n’ai pas ce que je ne désire pas.
Avoir 30 ans et écouter ses propres désirs
Je ne suis pas engagée dans un projet que j’ai adopté à cause d’une quelconque pression, et je n’envie pas un style de vie plus répandu à mon âge.
Mon horloge biologique n’est pas une pendule indépendante, elle travaille avec mon esprit, et aucun d’entre eux ne souhaite un enfant, un mariage, une maison.
Mon corps n’a rien perdu de ses capacités de résistance. Il est même devenu plus fort, plus vivant encore. Je n’ai jamais pu fonctionner correctement après une nuit blanche, je ne peux toujours pas.
Je n’ai jamais abusé de rien qui pouvait l’abîmer. Je suis de nature addictive, mais j’ai aussi une propension monumentale à tout contrôler, j’ai donc la chance que ma nature m’équilibre et ne m’ait jamais fait tomber dans aucun excès. Sauf peut-être l’abus de Kinder.
Je sais jouir, et je veux jouir. J’ai passé tant d’année à faire semblant parce que je ne savais exprimer ce que j’aimais, sexuellement. Par peur de blesser, par mimétisme, par habitude. Mauvais porno et honte font un mauvais mélange quand on n’a pas l’expérience nécessaire pour dire stop.
Avoir 30 ans et se réconcilier avec celle que je suis
J’adresse aujourd’hui mes excuses à la Marion de la vingtaine, pour avoir mis tant de temps à comprendre qu’on mérite ce qu’il y a de mieux. Je l’ai forcée, beaucoup. Par peur de la diffamation, par peur du rejet, je l’ai souvent contrainte à faire des choses qu’elle ne voulait pas vraiment faire.
Je vais me rattraper, Marion. Plus jamais je ne me forcerai. Je ne laisserai pas la terreur des potentielles conséquences être plus importante que le choc et la blessure de l’autocontrainte.
Parfois je me demande comment j’ai pu, pendant tant d’années, penser que je n’avais aucune valeur au point de faire passer mes envies au dernier plan de ma vie !
Il en va de même pour le cœur et le cerveau. J’ai fini d’être désolée. Et, pardonne-moi encore, Marion, de t’avoir tant embarquée dans des partenariats humains vampirisants. De t’avoir tue alors que nous devions parler, de t’avoir étouffée devant des injustices à ton égard.
Trente ans ne sonnent pas la mélodie de la nostalgie et des années écoulées, mais la symphonie de la confiance, de l’espoir, et de la faim intarissable de la suite.
30 ans et la hâte de la suite
Maintenant je me connais, je me respecte, je m’écoute, et je sais où je veux aller. Je vais encore me tromper, encore mieux me connaître, me respecter encore plus, et faire des mauvais choix, mais bon sang que j’ai hâte.
Je ne regrette rien. Je me suis accommodée de mes expériences. Si je n’avais jamais été blessée, tourmentée ou humiliée, je n’aurais jamais pu apprendre à éviter ces situations. Si je n’avais jamais été aimée, respectée ou entendue, je n’aurais jamais su pourquoi il était si bon de vivre. Mon chemin est celui qu’il est. Et il est parfait.
Le fleuve qui traverse mes trente berges est calme et puissant.
À mes Échecs Réussis, bisous.
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