Quand l’intégralité d’un pays et d’une société est pensée et organisée par et pour des personnes valides en occultant la réalité des personnes handicapées, on parle d’une société validiste et de validisme systémique.
C’est le sujet central du livre « Je vais m’arranger » : comment le validisme impacte la vie des personnes handicapées de Marina Carlos, activiste de 32 ans.
https://twitter.com/MarinaCpom/status/1287676778773962752
Plus qu’un ouvrage militant, il permet à chacun et chacune de s’interroger sur sa propre responsabilité dans l’oppression validiste systémique !
« Je vais m’arranger », le livre de Marina Carlos sur le validisme
Comme il est dit dans le premier chapitre de l’outil anti-validisme publié par Marina Carlos le 27 juillet 2020, le validisme désigne l’oppression systémique des personnes handicapées, allant des préjugés aux discriminations.
Cette oppression systémique, elle modèle dans l’inconscient collectif notre manière de percevoir le handicap comme une donnée « autre » et une condition à « dépasser ».
Les personnes handicapées ? On les plaint, elles sont sujettes de moqueries, elles n’accèdent pas facilement à l’espace public, elles sont perçues comme des êtres asexués et non-désirables, elles ne sont pas représentées dans les médias, etc.
En fauteuil roulant depuis l’âge de 16 ans suite à un accident de voiture qui l’a rendue paraplégique, Marina est active depuis plusieurs années sur les réseaux pour dénoncer et partager son expérience en tant que femme handicapée, et continue la sensibilisation aujourd’hui via son récent ouvrage, qu’elle présente ainsi à madmoiZelle :
« Depuis deux ans, je travaille sur ce projet de bouquin sur le validisme pour vraiment pouvoir expliquer ce que c’est et apporter des exemples concrets et théoriques.
Je voulais également rendre un peu plus accessible cette thématique parce que beaucoup de théories et de concepts sur le validisme sont en anglais : les personnes françaises n’ont pas forcément accès à tout ça. »
Mettre des mots sur ce que vivent les personnes handicapées au quotidien, faire de la pédagogie auprès des gens valides qui évoluent naturellement dans une société inadaptée à 12 millions de Français et Françaises handicapées, c’est le rôle du livre de Marina.
https://twitter.com/MarinaCpom/status/1286587350395559937
En moins de 100 pages, elle aborde avec beaucoup de clarté et de pédagogie toutes les fondations du validisme systémique dans notre quotidien, du manque d’accessibilité de l’espace public au manque de représentation des personnes handicapées dans les médias, tout en donnant des clés concrètes pour agir et suivre le travail d’activistes handicapés.
Ce livre, c’est la synthèse de toutes les connaissances que Marina a emmagasinées via ses lectures françaises et anglophones, couplée à son expérience personnelle. Elle explique à madmoiZelle :
« Moi, vu que je suis une personne à mobilité réduite en fauteuil roulant au quotidien, c’est vraiment l’accessibilité de l’espace public, les barrières physiques, tangibles, constantes qui m’ont sauté aux yeux.
Ces barrières obligent les personnes handicapées et moi-même à constamment s’adapter, s’arranger à cette société qui n’est pas accessible et ne prend pas en compte nos besoins — d’où le titre de mon livre qui me paraît assez symbolique du quotidien des personnes handicapées : « Je vais m’arranger ».
Il y a une sortie quelque part ? Évidemment ce n’est pas facilement accessible en transports en communs. Donc je vais m’arranger… Je vais prendre un taxi, je vais demander à mon père de m’aider : il y a toujours une adaptation à faire pour une quelconque activité. »
Le manque de représentation des personnes handicapées dans les médias
L’intimité forcée, le validisme ordinaire, le consentement, le problème du manque de représentation et de la mauvaise représentation des personnes handicapées dans les films, séries, médias…
Tout autant de concepts fondamentaux expliqués par Marina dans son livre, pour comprendre comment le validisme s’ancre dans notre système de représentations et de pensée.
Pourquoi les personnes handicapées ne sont-elles montrées qu’à travers leur handicap ? Pourquoi les personnages handicapés sont-ils joués par des acteurs et actrices valides ? Qu’est-ce que cela a comme impact concret sur le validisme systémique ?
Marina répond à ses questions dans son livre, et dans notre conversation téléphonique :
« Il y a cette idée que les personnes handicapées ne sont QUE des personnes handicapées.
Les acteurs et actrices handicapées vont donc être cantonnées à ce rôle-là, alors qu’ils et elles pourraient tout à fait jouer le rôle de collègues, d’amis, de partenaires… représenter des personnages réalistes et nuancés, comme les personnes valides.
Souvent les contenus audiovisuels sont écrits, produits, réalisés, joués par des personnes valides, qui pour beaucoup ont sans le savoir des perceptions validistes du handicap.
Elles reprennent trop souvent des extrêmes qu’on voit quand on parle de personnes handicapées, comme d’un côté le misérabilisme et de l’autre l’objectification des personnes handicapées pour motiver, faire relativiser et inspirer les personnes valides.
Encore une fois les personnes handicapées sont cantonnées au rôle d’objet et non pas en tant que personnes humaines avec des nuances. »
You can’t be what you can’t see.
Tu ne peux pas être ce que tu ne vois pas, c’est la phrase qu’utilise Marina pour expliquer l’urgence à ce que les personnes handicapées soient représentées et visibles dans la société, une étape fondamentale pour accéder à la fin de l’oppression validiste :
« Le rôle de la représentation c’est de banaliser et normaliser l’existence des personnes handicapées, leur présence dans la société. Les médias ont évidemment un rôle à jouer dans cette démarche.
Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que si un jour on arrive à une représentation nuancée et réaliste, c’est top, mais ce n’est pas une fin en soi.
L’objectif final c’est vraiment le respect et les droits des personnes handicapées. Les représenter permet de banaliser leur existence, d’aborder le sujet du handicap et du validisme : c’est ça qui est important. »
Les droits des personnes handicapées, grands oubliés du débat public
Si les luttes anti-racisme et anti-sexisme sont sur le devant de la scène pro-égalité, notamment via les réseaux sociaux, la lutte anti-validisme et les personnes handicapées en général semblent être les grandes oubliées du débat public comme des sphères militantes.
Pourtant, comme toute oppression systémique, le validisme prend racine dans les mêmes dynamiques. La convergence des luttes est très importante pour Marina :
« Je ne veux pas qu’on confronte les luttes. Mais le souci, c’est que le validisme et les droits des personnes handicapées, ce sont des choses qui sont constamment oubliées, de partout.
Donc même si c’est décevant, la plupart des personnes handicapées ne sont pas surprises d’être oubliées jusque dans les milieux militants..
Ce qu’il faut vraiment se rappeler, c’est que toutes ces luttes sont liées. Comme le dit l’activiste Imani Barbarin qui est à l’intersection de plusieurs oppressions (son blog Crutches & Spices parle de son expérience en tant que femme noire handicapée), il ne suffit pas que les gens soient anti-racistes, ils doivent aussi être anti-validistes. Parce que toutes les luttes sont liées.
Il faut se battre pour tous et toutes, pour que la société ne laisse personne derrière. »
Plus que jamais, le contexte de pandémie mondiale est un moment propice pour interpeller la population sur la place des personnes handicapées dans notre pays qu’est la France.
Marina explique à madmoiZelle que le laxisme de la population à l’égard des gestes barrières depuis la fin du confinement, ainsi que les mesures insuffisantes du gouvernement, sont parlantes.
« La pandémie a davantage mis en exergue le validisme dans notre société : les personnes handicapées, qui sont considérées comme des personnes fragiles, sont perçues comme jetables, leur mort comme acceptable.
Entre un gouvernement qui ne prend pas les mesures adéquates face à cette crise sanitaire et l’attitude assez nonchalante de nombreuses personnes depuis le déconfinement, les personnes handicapées subissent de plein fouet la violence validiste.
Il faut rappeler que la pandémie n’est pas terminée, que les gestes barrières doivent vraiment devenir des réflexes quotidiens pour protéger tout le monde et notamment les personnes « à risque ».
Il faut aussi noter que le confinement a bien montré, je pense, l’impact physique et mental que peut avoir l’isolation sociale… cet isolement, c’est quelque chose que les personnes handicapées vivaient avant le confinement et qu’elles continuent à subir aujourd’hui.
Cécile Morin, la porte parole du collectif CHLEE a dit une phrase très pertinente dans une interview : comme la mort sociale des personnes handicapées était déjà acceptée, leur mort biologique est également acceptée. Ou en tout cas, elle est perçue comme moins grave. »
« Je vais m’arranger » de Marina Carlos, déjà disponible
Illustré par @freaks_dessin, le livre « Je vais m’arranger » : comment le validisme impacte la vie des personnes handicapées de Marina Carlos est disponible en version papier sur Amazon ou en version numérique.
L’acheter, c’est soutenir le travail d’une activiste remarquable, mais c’est aussi pour les personnes valides l’occasion de s’éduquer, commencer un chemin de déconstruction et devenir de meilleurs alliés et alliées pour les droits des personnes handicapées !
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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