Comme beaucoup de monde, j’ai été bouleversée par les attentats perpétrés contre Charlie Hebdo.
Mais quelques jours plus tard, le choc n’était pas passé. Je me suis interrogée, je me suis remué les tripes et les méninges pour essayer de sortir les angoisses refoulées que cette attaque en plein Paris avait pu réveiller en moi. Et puis j’ai trouvé. Ce n’était pas de la peur qui me collait au corps, c’était de la culpabilité. Et un peu de honte.
Je me suis sentie coupable et honteuse de ne pas avoir apprécié à sa juste valeur le privilège qui est le mien, celui de pouvoir partager des idées, les publier dans un média au rayonnement tel que celui de madmoiZelle.
Quand j’ai commencé à écrire pour madmoiZelle, je travaillais dans une grande entreprise. J’occupais des fonctions très sérieuses, qui nécessitaient de respecter un code vestimentaire strict, essentiellement composé de tailleurs tristes et de chaussures inadaptées. J’étais très excitée, et fière comme je l’avais rarement été dans ma vie, de pouvoir publier un article. C’était une critique du film Le Nom des Gens. Mais je ne pouvais pas la signer de mon nom.
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Il me fallait un pseudonyme, pour éviter que mon nom ne puisse être associé à cet article dans Google. Et puis surtout, il me fallait une couverture. Je ne voulais pas « être sur Internet » pour de vrai. J’avais toujours eu des pseudonymes, des avatars, pour tous mes blogs, mes pages, mes comptes. J’aime pas l’idée que des gens puissent me connaître sans jamais m’avoir rencontrée.
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On pourrait être les meilleures amies du monde sur Internet, mais je tenais à garder une partie de mon identité à partager uniquement « dans le monde réel ». Et je n’ai jamais regretté mon choix, parce qu’au fil du temps, je me livrais de plus en plus, dans les articles, dans les commentaires, sur le forum…
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Et les insultes que j’ai aussi reçues parfois, notamment à la suite de cet article, puis celui-ci, me confortaient dans mes positions. Marie.Charlotte était mon armure, mon avatar, un personnage un peu loufoque, capable de parler de choses sérieuses sans se prendre au sérieux.
Ma mère utilisait ce surnom, quand j’étais petite, lorsqu’elle voulait me gronder « pour de faux ». Elle gardait mon vrai prénom pour les remontrances sérieuses, les fautes graves. J’aimais bien ce rappel permanent à la complicité que nous avions eue, l’idée que « Marie Charlotte », ce n’était pas sérieux. C’était ce personnage que nous avions créé spécifiquement pour nous servir d’écran.
Et quinze ans plus tard, Marie Charlotte me servait désormais d’écran entre le monde réel et la vie virtuelle. J’avais cette idée que lorsque j’aurais envie d’arrêter, je pourrais disparaître d’Internet. Je pourrais effacer Marie Charlotte en quelques clics, et moi, à côté, je n’aurais pas à m’en détacher. Personne parmi celles et ceux qui me connaissent en ligne ne me reconnaîtraient dans « la vraie vie ». J’ai poussé le jeu jusqu’à porter un costume, en permanence. Un style vestimentaire particulier, et cette couleur de cheveux, éclatante, que je ne garderai pas en quittant madmoiZelle, pour sûr.
Beaucoup de dossiers qu’il va falloir assumer maintenant… via le Tumblr de madmoiZelle
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Et je n’ai jamais regretté mon choix. Jusqu’à cette semaine de janvier. Parce qu’en réexaminant ce choix à l’aune des tragédies qui nous ont bouleversées, je me suis trouvée lâche. Pas d’avoir recours à un pseudonyme, ce qui est très courant, mais de tenir à un avatar, rien que pour pouvoir me cacher derrière, et un jour l’effacer.
Je me suis trouvée lâche de ne pas assumer mes écrits, de me garder « une porte de sortie », comme si avoir la possibilité de publier des textes sur Internet était un fardeau, un risque, avant d’être un privilège incroyable.
Des journalistes sont morts parce qu’ils dessinaient, parce qu’ils écrivaient, à quelques rues de nos bureaux. Je ne m’imagine pas une seconde à leur place, je me projette simplement dans la mienne : comment puis-je défendre des idées si je garde dans un coin de ma tête la possibilité de ne pas les assumer ?
Alors, j’ai décidé de tuer Marie Charlotte, comme j’avais toujours prévu de le faire. Non pas pour disparaître, mais pour prendre sa place.
Du coup, je suis maintenant, et à jamais, Clémence Bodoc.
Je m’interroge : et toi, qu’en penses-tu ? Est-ce que tu utilises un pseudonyme sur Internet ? Est-ce que tu tiens à l’anonymat, et pourquoi ? Viens en parler dans les commentaires !
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Les Commentaires
Mais sinon ça m'étonne un peu que tu aies cru que Marie Charlotte te protégeait car je pense que du moment qu'on a vu plusieurs fois ta photo, entendu ta voix dans divers médias et que tu as été présente à plusieurs événements en live où des centaines de personnes t'ont vue, effacer Marie Charlotte n'aurait jamais suffi à retomber dans l'anonymat!
Je pense qu'une fois qu'on s'est dévoilée à ce point, c'est trop tard pour reculer à l'heure actuelle, d'autant plus quand on a un poste un minimum médiatisé comme toi.
C'est pour ça que pour les MadZ qui se disent que ça leur donne envie de se dévoiler plus, j'ai envie de dire REFLECHISSEZ BIEN. Il y a des postes où on ne peut pas vraiment choisir d'être anonyme ou pas, mais quand dévoiler son identité n'est pas nécessaire, je pense qu'il y a quand même des risques sur Internet, surtout pour les femmes.
Je pense que pour Madame Tout le Monde, ce n'est pas du "courage" de dévoiler son identité, c'est une démarche comme une autre, et une démarche même un peu risquée qui dépend de ses propres objectifs. Je pense que s'il n'y a objectif pro, de fonction "publique" (comme journaliste) ou simplement qu'on a juste la flemme de monter des stratégies pour se cacher, l'anonymat est un choix très avisé, d'autant plus si on ne sait pas encore bien ce qu'on veut faire de sa vie. Il ne faut pas croire que l'anonymat protégera de tout (c'est tellement facile de se faire découvrir aujourd'hui) mais au moins, il permet de se donner de la marge pour réfléchir à ce qu'on a envie que le monde entier puisse trouver en 2 clics sur nous ou non.