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Société

« J’ai appris à ne pas avoir peur des garçons » : Marie-Angélique Savané, féministe sénégalaise

Marie-Angélique Savané s’est battue pour faire entendre la voix des féministes africaines, dans le monde et sur le continent. Elle a raconté son parcours à Esther, d’une école privée sénégalaise à l’ONU.

Esther est partie à la rencontre des Sénégalaises durant trois semaines. Elle a réalisé interviews, portraits, reportages, qui s’égrainent au fil des jours sur madmoiZelle.

Pour retrouver le sommaire de tous les articles publiés et la genèse du projet, n’hésite pas à jeter un œil à l’article de présentation : madmoiZelle en reportage au Sénégal !

À Dakar, j’ai eu la chance de rencontrer Marie-Angélique Savané, qui a passé sa vie à militer pour les droits des femmes. Après avoir fait avec elle un état des lieux du féminisme contemporain au Sénégal (lien ci-dessus), nous sommes revenues sur son parcours.

Marie-Angélique Savané, indépendante et révoltée dès 15 ans

C’est à force de la voir décrire son engagement passé, ses frustrations actuelles, que je me suis demandé ce qui avait pu donner à Marie-Angélique Savané le courage de passer pour « la hargneuse » pendant toute sa vie.

« Paradoxalement, mon père a joué un rôle important. Je n’ai jamais compris pourquoi il m’a plus favorisée que mes frères…

Mais il m’avait mise dans une meilleure école par exemple. C’était dans mon quartier, mais j’y ai très vite compris que j’étais noire : moi je venais de la partie pauvre et je côtoyais dans cette école religieuse toutes les petites françaises qui avaient « tout ».

Donc mon truc, c’était de travailler. Ma peau ne me donnait pas de facilités donc il fallait que je sois la meilleure partout. Les conditions dans lesquelles j’ai vécu m’ont rendue très compétitive, d’autant plus que mon père m’a aussi encouragée à faire du sport. »

En parallèle, son père l’inscrit aussi dans des mouvements de jeunesse type scouts et guides de France.

À lire aussi : Être scout au Sénégal, un apprentissage pour la vie selon Virginie

Il lui donne le goût de l’indépendance à tel point qu’elle mène son premier acte de rébellion à 15 ans.

« J’ai décidé que je ne voulais plus rester chez les sœurs, dans cette école religieuse où j’étais depuis le jardin d’enfants.

Je suis allée moi-même m’inscrire au lycée. Je ne sais même pas comment j’ai fait avec le recul, tout organiser, dans le dos de mes parents… Quand ils l’ont appris, mon père a d’abord cru à une blague, puis ça a fait un scandale : « elle va être avec des garçons ! »

J’ai dit « c’est ça, ou je ne vais plus à l’école », j’en avais assez. C’est grâce à ça et au sport où on était avec des garçons que j’ai appris à les respecter mais aussi à ne pas avoir peur d’eux. »

La voix des femmes africaines noires au sein du féminisme

Mais cela ne suffit pas encore pour faire d’elle la féministe chevronnée qui défend ses idées de débats en débats.

« Plus tard je suis partie en France et je suis tombée sur mai 68. Et là, j’ai vraiment été exposée aux enjeux théoriques : avant je pouvais être autonome en tant que femme, etc., mais je ne m’expliquais pas les structures de pouvoir.

C’est là que j’ai pu lire et comprendre ce qu’était l’oppression de la femme et enfin me dire féministe. J’y ai acquis la base intellectuelle qui m’a permis de mieux comprendre le féminisme et de l’adapter aux réalités. »

Car Marie-Angélique Savané s’est battue « pour que l’on soit des féministes africaines ».

« Nous, on va pas se battre pour ne pas mettre de soutien-gorges car ici on s’en fout. J’avais écrit beaucoup d’articles à l’époque : le féminisme c’est issu d’une pensée universelle mais qui dans son expression a des colorations culturelles.

Nous, on est des femmes africaines noires, c’est déjà différent des femmes africaines arabes qui vivaient d’autres réalités, et on ne peut pas avoir les mêmes revendications qu’aux États-Unis par exemple : ici, 80% des femmes étaient analphabètes ! »

Marie-Angélique Savané : faut-il repartir au combat ?

Évidemment, Marie Angélique Savané et ses partenaires féministes se sont retrouvées prises entre deux feux : d’un côté, elles devaient se battre pour « se faire une place dans le féminisme mondial », et de l’autre on les considéraient « trop occidentales ».

« On nous disait « vous êtes occidentales, vous êtes aliénées et pas représentatives ». Mais bien sûr qu’on n’était pas représentatives : on était une élite. Mais les hommes politiques qui faisaient aussi partie d’une élite et qui s’occupaient de tel et tel problème, ils représentaient les paysans peut-être ?

Non, mais eux avaient le droit de parler de leurs causes et nous non. Et pourquoi ? Parce qu’on était des privilégiées ? Mais c’est parce que je suis privilégiée que je peux parler de la femme enfermée dans sa case, infibulée, excisée, prise dans un mariage polygame.

Moi je peux parler car j’ai l’autonomie. Je le dis publiquement, si mon mari prend une 2ème femme, je me barre. »

À lire aussi : Rencontre avec Jaha Dukureh, nommée au Nobel de la Paix pour son combat contre l’excision

Et Marie-Angélique Savané de re-boucler son discours sur le fait que cette parole, selon elle, manque encore dans l’espace public sénégalais. De quoi lui donner la force, finalement, de continuer à se battre ?

« Il faut que je me rende à l’évidence, il va falloir qu’on reprenne notre bâton de pèlerin.

Je n’ai pas arrêté de me dire ces derniers temps que je ne voulais pas reprendre la parole publiquement pour laisser de nouvelles voix émerger, mais finalement je crois que je vais plutôt essayer de concrètement passer le flambeau.

Ce 8 mars m’a secouée. Il faut que j’arrive à récupérer quelques femmes jeunes, qui sont prêtes à aller à contre-courant. Qu’on organise des séminaires de sensibilisation, qu’on leur apprenne la théorie, qu’on leur donne des lectures universitaires à étudier.

Qu’elles comprennent mieux le patriarcat, parce que c’est ça le danger : c’est subtil. »

À lire aussi : Qu’est-ce que le syndrome de la bonne élève et comment s’en défaire ?


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

4
Avatar de Asylis
3 mai 2018 à 23h05
Asylis
Le Sénégal a vraiment besoin que quelqu'un comme elle reprenne le flambeau du féminisme. Les droits des femmes meurent à petit feu au Sénégal, et même les femmes elles-mêmes tiennent des propos complètement aberrants (ex : un homme ne devrait pas changer un bébé car il pourrait avoir des pensées impures, ou alors les femmes doivent faire attention à se couvrir pour ne pas exciter les hommes...).
Encore une fois, très bonne série d'articles Esther, qui me replonge dans mes souvenirs de ce pays que j'aime tant...
1
Voir les 4 commentaires

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