Si John Nada avait besoin de lunettes très spéciales pour démasquer les aliens infiltrés parmi les habitants de L.A., si Zeke Tyler était obligé de recourir à un mélange d’aspirine et de caféine pour repérer les effroyables parasites extra-terrestres ayant envahi sa faculté, je peux quant à moi me targuer d’être pourvue d’une arme absolue me permettant de renifler à cent mètres les envahisseurs de toute espèce : le talent, les mecs ! Voyons comment j’ai récemment démasqué ces visiteurs venus d’ailleurs dans l’endroit le plus improbable qui soit : un marché aux puces.
De la même manière que le café semble irrésistiblement attirer les Worms, au même titre que le caca frais attire les mouches vertes, les marchés aux puces semblent être un lieu privilégié par une race d’êtres que l’on pourrait croire humains mais dont le comportement trahit une nature extra-terrestre. Voilà comment une observation récente doublée d’une fine analyse m’ont permis de confirmer mes soupçons, à savoir que la grande majorité des adeptes de brocantes ne peuvent raisonnablement pas être des gens normaux, tant leur comportement dépasse parfois l’entendement.
Visiteurs ou brocanteurs : ils sont partout !
Sachez tout d’abord que l’extraterrestre, planqué incognito parmi le flot des visiteurs, se trouve des deux côté du stand tant il est attiré par les marchés aux puces (qui semblent être pour eux l’équivalent de nos parcs d’attractions). Tel l’humain se ruant dans les files d’attente des rollers coasters ou se félicitant de devenir cast member officiel d’un parc Disneyland, ces humanoïdes venus d’ailleurs éprouvent une satisfaction sans borne à l’idée d’être tantôt visiteur, tantôt brocanteur. Et d’un côté ou de l’autre du stand bourré d’antiquités et de rebuts en tous genres, leurs comportements les trahissent inévitablement. Voici quelques exemples qui pourraient vous servir à repérer ces intrus intergalactiques, et que je vous suggère de noter sur un post-it que vous prendrez soin de coller sur votre front (ou mieux, dans un petit carnet que vous aurez étiqueté « Les bons conseils de tatie Eve »).
Aucune idée de la valeur des choses
En tant qu’êtres humains éduqués depuis l’enfance à la valeur des choses, nous sommes tous en mesure d’évaluer, avec plus ou moins de précision, la somme d’argent correspondant à un objet (exception faite de Françoise Hardy qui s’estime presque SDF avec des revenus annuels de 150 000 € soumis à l’ISF, mais cela est une autre histoire, et après tout Françoise Hardy est peut-être une alien aussi).
Ainsi, le spécimen extraterrestre, bien que travesti dans son costume d’humain plus vrai que nature, ne manquera pas de se trahir en affichant régulièrement qu’il n’a aucune notion de la valeur des choses. Réalisant que vous vendez ces chaises Ikea parfaitement neuves à 1€ (parce que c’est la fin de journée et que vous préférez tout brader plutôt que de devoir tout re-charger dans la camionnette), le visiteur venu d’ailleurs ne manquera pas de pousser un cri scandalisé du type : « HAAAAN QUOI ?!! UN euro ?! Mais vous êtes dingue ? C’est hyper trop cher quoi ! », tout en mastiquant son sandwich-merguez payé 5 €.
Une attitude que l’on aurait tendance à assimiler à de la mauvaise foi basique, voire à une ridicule tentative de marchandage que même un vendeur du souk d’Agadir jugerait indécente, ou tout simplement à un exemple de connerie humaine. Mais que nenni, croyez-en mon expérience de stagiaire au MIB (oui en fait, après ma 3ème B, j’ai d’abord fait un stage à la photocopieuse du bureau de ma mère avant de décrocher un poste au massicot du bureau fédéral d’investigation des affaires intergalactiques), un tel comportement ne PEUT PAS être humain. Cela n’est pas POSSIBLE. Aucun Terrien ne pourrait considérer qu’il est préférable de s’acheter une merguez et des frites froides plutôt que de se payer un ensemble de six chaises pour le même prix. De même qu’aucun être humain ne saurait considérer qu’une pièce de mobilier neuve, sacrifiée pour un euro symbolique, soit une arnaque financière digne du père Madoff. Admettre cela serait accepter de considérer que parmi nous, il existe des gens à ce point navrants de mauvaise foi et totalement dénués de bon sens et sachez-le, dans mon infinie candeur, je refuse de m’y résoudre, préférant de loin considérer que ces gens-là viennent d’une autre planète.
L’incapacité à marchander
D’après mes dernières observations, il semblerait que le marchandage soit une technique typiquement terrienne (quoiqu’également maîtrisée par certains peuples appartenant à des galaxies voisines, si j’en crois la copie d’un rapport secret de la NASA que j’ai obtenu en 1996 en m’abonnant à la revue officielle X-Files
, celle qui offrait une carte d’agent spécial du FBI dans son premier numéro), plus ou moins bien maîtrisée selon les individus.
Moi, je suis un mauvais cobaye car je ne marchande jamais ou alors dans le mauvais sens (limite je te propose un rabais alors que t’as déjà dégainé ta liasse). Même qu’un jour, sur un marché marocain, je me suis faite engueuler par un vendeur de foulards que j’avais vexé faute d’avoir tenté de négocier ses tarifs. C’est dire si je suis un piètre exemple de maîtrise de l’art du marchandage. Mais bon, bien que n’étant pas très performante en la matière, j’en ai fort bien intégré les bases et le principe, comme la plupart des gens.
L’être venu d’ailleurs, en revanche, a beau s’adonner au marchandage avec passion, il semble techniquement incapable d’en intégrer le principe, se trahissant à chaque tentative de négociation. Exemple : un client s’approche de votre stand, bien décidé à vous faire baisser le prix de cette machine à coudre vintage que vous avez raisonnablement affichée à 50 €. Une offre de négociation normale viserait à baisser le prix de dix ou vingt euros, voire de le diviser par deux pour les plus audacieux. Mais il peut arriver que vous soyez confrontée à un individu qui vous en offrira, sur le ton de l’évidence, une piécette, allant parfois, dans un élan de générosité, jusqu’à doubler son offre, brandissant fièrement une pièce de deux euros là où vous vous attendiez à voir surgir un joli bifton jaune.
Une fois encore, la probabilité qu’une vraie « personne » se comporte ainsi ne paraît pas envisageable et seule une origine extra-terrestre saurait justifier ce qu’il serait de mauvais ton d’assimiler à du culot éhonté, à de l’arrogance doublé d’un manque total de savoir-vivre ou, n’ayons pas peur des mots, à du foutage de gueule en bonne et dûe forme.
La vente d’objets non-terriens
L'angoisse venue d'ailleurs
L’un des derniers indices pouvant vous mettre la puce à l’oreille, lorsque vous vous trouvez confronté à un extraterrestre déguisé en brocanteur, réside dans l’observation minutieuse de son stand. Si, par définition, les brocantes comportent leur lot d’objets oubliés ou improbables dont on ignore parfois l’utilité, certains stands devraient vous interpeller, à cause de marchandises beaucoup trop incongrues pour être d’origine terrienne. Il faut en effet savoir que son amour des marchés aux puces pousse parfois l’être venu d’ailleurs à s’égarer, pris par un trop-plein d’engouement, et à intégrer des objets non-terriens à son offre, augmentant ainsi ses risques d’être démasqué.
Permettez-moi ainsi de vous citer, à titre d’exemple, quelques objets atypiques que j’ai pu apercevoir récemment sur des stands de brocanteurs, et dont la nature extraterrestre est d’une évidence déconcertante : un range-CD en forme de teckel, une bouteille de liqueur en forme de chaussure de foot, des tongs Leerdammer… Quel être humain pourrait produire de tels objets et, pire, quel genre de personne oserait les acquérir autrement que sous la menace d’un Opinel ? La présence de marchandises aussi incongrues ne peut donc s’expliquer que par leur origine, qui dépasse très largement les limites de notre système solaire.
Le détail qui tue
Dernier exemple visant à justifier cette théorie : la robe en laine ou en crochet pour poupée Barbie, présente sur tous les marchés aux puces de France et de Navarre, généralement sur un stand tenu par une brocanteuse aux allures de petite mamie kitsch et bienveillante, très fière de présenter ses créations d’un autre temps. Sans déconner, et je compte sur vous pour visualiser assez précisément ce à quoi je fais référence : la robe et le chapeau de Barbie tricotés par mémé, c’est typiquement le genre de trucs qu’on a envie de lui jeter à la tête, même si elle est sympa et attentionnée, car même à 6 ou 7 ans, on est en mesure de se rendre compte que Barbie n’a aucune chance d’avoir un destin hors norme tant qu’elle est sapée comme ça. Aucune enfant n’a jamais été émerveillée devant une jupe pour Barbie tricotée main, pas même dans les années 80 (époque étant pourtant réputée pour avoir un seuil de tolérance relativement élevé aux choses moches ; maman, si tu me lis, cela s’applique évidemment à tes pulls en mohair aux formes géométriques, tes vestes à épaulettes, sarouels en satin et autres merveilles de ton dressing d’antan).
Par conséquent, comment expliquer qu’en 2012, il y ait toujours des mamies qui s’obstinent à tenir des stands de vêtements en laine pour poupées Barbie, alors que déjà en 1982, personne n’en voulait ? Je veux dire, personne ne trouve ça bizarre ? Personne ne s’est jamais posé de questions à ce sujet ? Admettez qu’une telle obstination et qu’un tel manque de bon sens témoignent, là encore, d’une nature non-humaine. Comment expliquer autrement cet engouement à proposer des créations n’ayant même pas ce petit charme vintage si prisé par les blogueuses modes, surtout à une époque où les poupées des fillettes portent des mini-jupes en lamé ? Nous sommes donc devant un cas évident d’obsession extra-terrestre.
Voilà. À présent que vous êtes prévenues, lorsque vous sillonnerez les allées d’un marché aux puces, redoublez de vigilance, soyez attentives et surtout, évitez d’être trop injustes ou sur la défensive avec ces gens que vous auriez tendance à trouver impolis, étranges, stupides ou perfides. Car là où l’on croit trop souvent avoir affaire à un être humain de bas étage à qui l’on crèverait volontiers les yeux au crayon de papier (avec le côté gomme, tant qu’à faire) se cache parfois un maladroit petit être venu de l’espace et qui peine juste à intégrer certaines facultés et coutumes locales. Et même s’il est radin, insistant et proche de l’impolitesse, n’oubliez jamais qu’un peuple qui voue un culte aux robes de Barbie en tricot et qui vend des objets aussi improbables qu’un écureuil empaillé sur un chapeau de chasseur est forcément une race intéressante dont nous avons probablement beaucoup de choses à apprendre. Cessons donc de rire de ces drôles de gens qui, dès 5 heures du matin, se mettent frénétiquement en quête de capsules de bouchons de champagne comme s’il s’agissait de pépites d’or ou du Saint Graal. Demandons-nous plutôt simplement si, tel Christopher Johnson, ils ne seraient pas plutôt en quête d’un matériau bien spécifique qui seul pourra leur permettre d’achever la réfection de leur vaisseau spatial et de regagner enfin, après tant d’années d’errance sur les brocantes terriennes, leur lointaine planète, avec leurs coutumes si particulières concernant le commerce, la courtoisie et le bon goût.
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Les Commentaires
D'ailleurs brocanteuses et si on prenait en photo les pire trucs qu'on voit de brocante? On pourrait rigoler. La dernière fois j'ai vu avec ma soeur et mon mec (33, 22 et 22 ans) comme des gosses on rigolait sur le fait qu'il y avait 3 dessus de crâne en plastique avec des faux cheveux disposés comme des calvities à la chaussée au moine...C'était HORRIBLE !