Cet article est le cinquième épisode du journal de randonnée de Marie Albert, qui suit son Survivor Tour dans les Pyrénées. Vous pouvez lire les précédents épisodes ici :
- Épisode 1 : Pourquoi je pars faire le tour de France à pied contre les violences sexistes
- Épisode 2 : Comment je survis aux hommes randonneurs : mon premier mois dans les Pyrénées
- Épisode 3 : J’ai mes règles en rando et c’est un enfer : mon deuxième mois dans les Pyrénées
- Épisode 4 : Non, je n’ai pas peur de dormir seule dans la montagne, et voici pourquoi
Impossible de dormir. Le vent forcit et pousse mon sac de couchage dans l’herbe. Il me refroidit et me terrorise. Allongée sur un plateau à 2 100 mètres d’altitude, je tente de dormir à la belle étoile, en dehors de ma tente. Je fixe la Voie lactée depuis deux heures avec l’espoir que le sommeil vienne.
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Une nuit de tempête
Mais à 23 heures, je me réfugie dans la tente que j’ai montée à proximité, au cas où. Je pense naïvement que je trouverai le sommeil dedans. La tempête se déchaîne et la toile plie dans tous les sens. Ce bruit assourdissant me garde éveillée de longues heures. Je panique et j’imagine que les arceaux vont lâcher.
À 1 heure du matin, je prends la décision de déménager. À 200 mètres se trouve le refuge du Rulhe, où j’ai pris un dîner copieux quelques heures auparavant en compagnie d’autres randonneur·ses. J’envisage de planter ma tente derrière le refuge, espérant que le vent y soit moins fort. Mais dans mon déménagement, je prends des risques. La toile de tente devient un cerf-volant et m’emporte avec elle.
Arrivée au refuge, je renonce à dormir dehors et tente de plier ma tente pour la rentrer dans mon sac à dos. Simplement équipée de ma lampe frontale, je manipule brusquement la toile et la déchire au niveau de la moustiquaire. Cet incident m’agace et les larmes me montent aux yeux. Une fois abritée dans le refuge, je m’allonge sur mon matelas gonflable dans la salle à manger et tarde à m’endormir, choquée par la tempête.
Une sororité qui me fait chaud au cœur
Le lendemain matin, après quatre heures de sommeil, je me réveille dans un bâtiment toujours secoué par des vents violents. Deux randonneuses britanniques, Safia et Ingrid, ont passé la nuit dans le dortoir et envisagent de marcher en direction de Mérens-les-Vals, un village situé sur mon chemin, le GR10.
Après avoir recousu la moustiquaire de ma tente et préparé mon sac à dos, je décide de les suivre et m’aide de bâtons de marche pour avancer dans la tempête. Ni Safia ni Ingrid n’en sont munies mais elles avancent prudemment sur les rochers. À chaque bourrasque, nous menaçons de tomber dans un ravin. En queue de peloton, je finis d’ailleurs par chuter un peu plus tard sur le chemin, sans me blesser.
Safia, Ingrid et moi peinons plusieurs heures jusqu’au col situé à 2 400m d’altitude. Je leur propose de me distancer car elles marchent vite mais elles refusent. Elles font preuve de solidarité et ralentissent le pas pour m’attendre. Elles tiennent à rester groupées pour notre sécurité à toutes. Cette sororité me fait plaisir et m’apporte du soulagement après ma nuit de l’horreur. Je quitte Safia et Ingrid quelques heures plus tard pour rejoindre Mérens-les-Vals.
L’arrivée salutaire de ma meilleure amie
Je dois y accueillir une amie, Tara, qui randonnera quatre jours avec moi sur le GR10. Nous nous retrouvons au camping municipal. Je connais Tara depuis près de quinze ans. Je la considère aujourd’hui comme ma meilleure amie. Chaque été, elle m’accompagne quelques jours sur mon Survivor Tour, mon tour de France à pied contre les violences sexistes débuté en 2020.
Après une nuit à Mérens-les-Vals, nous gravissons la montagne et avançons lentement entre forêts, cols et lacs. Avec Tara, je quitte le département de l’Ariège pour entrer dans les Pyrénées-Orientales. Nous bivouaquons à des endroits que je fréquente peu d’habitude, effrayée par les hommes randonneurs qui choisissent les plus beaux « spots ». Avec elle, je me sens forte et je n’ai plus peur d’eux.
À l’étang L’Estagnas, nous nous baignons topless et des hommes nous regardent mais nous nous moquons d’eux. Au lac de Lanoux, nous nous baignons nues mais nous ne voyons personne à l’horizon. Tara et moi partageons des valeurs féministes, alors nous enchaînons les blagues misandres et cela nous fait beaucoup rire. Nous tentons de parler le plus fort possible et de prendre le plus de place pour effrayer les autres et qu’ils nous laissent tranquilles. Nous ne parlons pratiquement à personne : nous sommes dans notre bulle.
Je me rappellerai toujours de nos dîners à base de semoule aux légumes, de nos pauses dans des refuges d’altitude, de nos bivouacs en bord d’étang et des nombreux cols que nous gravissons. Il nous faut parfois poser les bâtons de marche pour escalader la roche en nous aidant de nos mains. Tara n’est pas entraînée pour randonner en haute montagne (elle habite à Paris) mais elle est sportive et tient le choc.
Le quatrième jour, nous arrivons à Bolquère et rejoignons un camping pour nous laver et nous reposer, enfin. Tara passe une dernière nuit sur place puis me quitte pour rentrer chez elle en train. À son départ, je me sens triste et seule. Mais aussi fière et heureuse. Avant sa venue, je préférais marcher seule et me convainquais que c’était mieux ainsi. Je me trouvais insupportable et trouvais également les autres humains insupportables.
Dorénavant, je peux apprécier la présence d’autrui et je reprends confiance en moi. Je me sens comblée par ces journées de marche en compagnie féminine. J’espère les renouveler à l’avenir. Les meufs prennent la place et ne la rendront pas au patriarcat.
En attendant le prochain épisode du journal de randonnée de Marie Albert, vous pouvez la suivre sur son compte Instagram, où elle documente son Survivor Tour.
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