— Publié le 12 janvier 2015
Merci à toutes pour vos photos !
Dimanche 11 janvier 2015. J’y étais. Et on était tellement nombreux•ses que le ministère de l’Intérieur a renoncé à nous compter. En tout, nous aurions été plus de 4 millions de personnes, qui sont descendues dans les rues, en familles, entre ami•e•s, avec leurs voisin•e•s.
Dommage qu’on ait déjà utilisé tous les superlatifs imaginables pour décrire un soulèvement populaire. C’est « noir de monde », « une marée humaine », une vague, que dis-je, un tsunami. Mais nous avons dépassé toutes nos métaphores : le nombre et les émotions ont rendu les mots inutiles.
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4 millions, c’est historique. On n’avait pas vu une telle mobilisation populaire depuis la Libération, en 1944. Il avait fallu huit ans de guerre pour provoquer une liesse suffisamment forte pour que les gens envahissent spontanément les rues de Paris. Un million seulement. La victoire de l’équipe de France de foot en 1998 en avait drainé un million et demi.
En orange, l’étendue de la foule dans les rues. Beaucoup trop nombreuse pour pouvoir être contenue dans les itinéraires alternatifs.
4 millions ce week end, dont plus de 2 rien qu’à Paris. Ce chiffre me donne le vertige, mais pas autant que le bain de foule que je me suis offert ! Je n’ai jamais réussi à rallier la place de la République, ni à m’approcher du cortège officiel : au Père Lachaise déjà, l’afflux était dense sur le boulevard de Ménilmontant. Impossible de descendre vers République, ni vers le cortège en progression, car les rues perpendiculaires étaient fermées par les CRS — que personne n’aura traité de « SS », selon un slogan de manif’ bien courant mais peu original. Non, cette fois-ci, on se parlait poliment, on se souriait, on se remerciait. On s’applaudissait, même.
Ils n’avaient pas l’habitude.
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Fierté nationale
C’était terrible, évidemment, qu’il faille attendre un événement aussi tragique, aussi violent, la peur de voir le racisme et l’antisémitisme ressurgir dans les jours et les semaines à venir, pour que le corps de la Nation se mobilise de cette façon. Mais c’était aussi rassurant, inspirant même, de se retrouver aussi nombreux•ses, autour d’un idéal commun : réaffirmer notre devise Liberté, Égalité, Fraternité.
Liberté d’expression, liberté de la presse, qu’on ne pensait plus devoir défendre en France, mais qui vient de coûter la vie à neuf journalistes, mais aussi liberté de culte dans ce pays laïque, où chacun•e est libre de vivre sa religion en privé, sans risquer d’être inquiété•e pour sa foi. Et pourtant, quatre personnes ont perdu la vie, parce qu’elles étaient juives. Trois hommes ont ôté la vie à dix-sept personnes, au nom d’une interprétation fanatique de leur livre sacré.
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Égalité dans la douleur que nous partageons, et si au sein de notre société, l’égalité des droits, et surtout l’égalité des chances se font toujours attendre, nous sommes sur la voie du progrès.
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Fraternité, qu’on aurait eu tendance à oublier ces dernières années, entre les psychoses sécuritaires et les discours de haine, d’ignorance, la tentation de se trouver des boucs émissaires parmi ceux qui souffrent sans doute le plus de la crise économique. Aujourd’hui, nous étions solidaires.
J’ai vu des #JeSuisCharlie, #JeSuisAhmed, #JeSuisFrançais, #JeSuisMusulman, #JeSuisJuif, #JeSuisDebout. Ces manifestations sans précédent étaient à la fois notre deuil national, et la célébration des valeurs de la République.
C’est peut-être beaucoup en demander à un dimanche de janvier, mais puisqu’on est en train d’écrire l’Histoire, autant en écrire une version positive. Même si ces derniers temps, ce sont plutôt les pamphlets pessimistes prédisant notre « suicide » ou notre « soumission » qui se vendaient le mieux, j’aime à croire que si cette journée n’aura servi qu’à une chose, cela aura été à faire mentir ces analyses.
Tentative de récupération ?
À la veille du rassemblement parisien, l’annonce de la liste des chefs d’État et de gouvernement qui joindraient la Marche Républicaine avait fait grincer bien des dents. En effet, la présence de certains dirigeants en tête d’un cortège en défense de la liberté d’expression avait de quoi faire sourire, ou plutôt rire… jaune. Et qu’auraient pensé Charb, Cabu et leurs ami•e•s, eux qui ont caricaturé ces gens, dénoncé leurs abus de pouvoir et les entraves aux libertés fondamentales, les atteintes aux droits de l’Homme perpétrés dans leurs pays ?
Le cortège de tête, annoté avec le score de liberté de la presse selon Reporters Sans Frontière
Défiler derrière des chefs d’État dont on désapprouve la politique a mis mal à l’aise plus d’un•e Républicain•e aujourd’hui. Mais que ces considérations apparaissaient dérisoires, une fois noyées dans les applaudissements spontanés ! C’était facile, c’était tentant d’analyser ce rassemblement sous tous ses angles philosophiques, géopolitiques, derrière l’écran de son ordinateur.
Mais se retrouver là, au milieu d’un flot de personnes aussi immense, avec ce sentiment d’être à la fois insignifiant•e et si puissant•e avec le nombre, avait balayé toutes les hésitations. Aujourd’hui, nous étions plus que la somme de nos individualités. Nous étions une Nation. Je souhaite bon courage à ceux et celles qui voudraient « récupérer » ce mouvement : il vous dépasse forcément.
La Marche Républicaine, un soulèvement populaire. Tentative de récupération politique, une allégorie.
Merci à Cy. pour son dessin ! Retrouvez-la sur madmoiZelle, sur son blog et sur sa page Facebook !
Bon courage pour récupérer un mouvement qui vous dépasse autant.
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« La Liberté guidant le peuple »
Et maintenant ? J’espère que les vagues d’empathie et de solidarité, nées de la douleur des attentats perpétrés contre nos concitoyen•ne•s, au coeur de nos villes, nous aiderons à rester dans cet état d’esprit d’union et de refus des violences et des discriminations. Il faudra plus que des bons sentiments pour résister aux tentations sécuritaires et déconstruire les amalgames nauséabonds… La vigilance doit être de mise, mais ces bons sentiments sont au moins une bonne base pour ressouder le tissu social. On aura au moins réaffirmé notre volonté de vivre ensemble, et ce n’est pas anecdotique.
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Quelle image garderons-nous de cette journée, dans les livres d’Histoire ? Celles des places et des rues noires de monde, celle de Times Square affichant Je Suis Charlie, mais sans doute aussi et surtout cette photographie de l’agence Reuters. Pour ce qu’elle nous rappelle.
Celle-ci aussi, certainement.
Par Martin Argyroglo
- Frédéric Boisseau, 42 ans, agent de maintenance de la société Sodexo.
- Franck Brinsolaro, 49 ans, policier chargé de la protection de Charb.
- Cabu (Jean Cabut), 76 ans, dessinateur.
- Mustapha Ourrad, 56 ans, correcteur de Charlie Hebdo.
- Michel Renaud, 69 ans, ancien journaliste, Fondateur du festival Rendez-vous du Carnet de Voyage.
- Bernard Verlhac (Tignous), 57 ans, dessinateur.
- Georges Wolinski, 80 ans, dessinateur.
- Elsa Cayat, 54 ans, psychiatre et psychanalyste.
- Stéphane Charbonnier (Charb), 47 ans, dessinateur.
- Philippe Honoré, 73 ans, dessinateur.
- Bernard Maris, 68 ans, journaliste et économiste.
- Ahmed Merabet, 41 ans, policier.
- Clarissa Jean-Philippe, 26 ans, policière municipale.
- Philippe Braham, 45 ans, cadre dans une société de conseil en informatique.
- Yohan Cohen, 23 ans, employé du supermarché Hyper Casher.
- Yoav Hattab, 22 ans, étudiant.
- François-Michel Saada, 63 ans, retraité.
https://youtu.be/yNpOz44RM20
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