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Vie quotidienne

La maraude auprès des sans-abri, ça se passe comment ?

Cette madmoiZelle nous apporte son témoignage très touchant : elle nous raconte comment se déroule une maraude auprès des sans-abri, une nuit de grand froid.

L’alerte neige-verglas a été lancée par Météo France dans 24 départements français le mardi 22 janvier 2019.

Selon France Info, 220 places d’accueil supplémentaires pour les sans-abri ont été mises en places dans 22 départements et en Île-de-France. Il s’agit du « plan grand froid ».

Si vivre dans la rue est un danger en soi, lorsqu’il neige, est annoncé, les conditions sont d’autant plus rudes pour les personnes SDF.

Il existe des solutions pour venir en aide aux sans-abri, notamment les maraudes. Dans l’article ci-dessous, tu peux découvrir comment elles se déroulent.

Publié le 18 avril 2012.

Mon chéri et moi sommes bénévoles à la Croix-Rouge locale depuis près de six mois.

(Ne cherchez pas de motivation précise dans le choix de l’organisme, ça s’est décidé parce que le local était à environ 2 minutes 30 de chez nous).

En dehors des D.A. (distributions alimentaires) et des collectes dans les supermarchés, je n’avais pas encore eu le cran d’affronter les « maraudes », rondes nocturnes auprès des SDF du 93.

À lire aussi : Comment aider une personne sans-abri ?

Mais durant la période de grand froid, le soutien maximum des bénévoles était demandé, alors j’y suis allée en compagnie de mon chéri et de trois autres volontaires.

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Une maraude, ça se passe comment ?

En pratique, la maraude, c’est donc un minibus, quatre bénévoles dont un conducteur (en l’occurrence, mon amoureux, Benjamin) et une responsable de maraude (appelons-la S.).

À l’arrière du minibus, nous chargeons des thermos d’eau chaude, des sachets de café et de soupes instantanées, des boîtes de conserve, des assiettes et couverts en plastiques, des produits d’hygiène (dentifrice, shampoing, papier toilette), des couvertures, des pantalons et des pulls, des gâteaux ou des chips lorsque nous en avons.

La responsable de maraude note tous les arrêts, le nom des sans-abri, toutes les informations qu’on peut grappiller sur eux et leurs demandes (soupes, couvertures, vêtements ou parfois une aide aux démarches administratives).

Elle emporte un téléphone portable grâce auquel elle signale notre départ en maraude au 115, qui la rappelle s’ils reçoivent un signalement de personne en difficulté.

Le métro plutôt qu’un centre d’hébergement

Nous partons vers 19h avec un itinéraire prédéterminé (qui peut bien sûr être modifié en cas de signalement du 115) pour arpenter une bonne partie de la Seine-St-Denis.

Nous commençons par le métro Hoche (Pantin) dans lequel nous trouvons trois « habitués » : Charly, Eugène et Saïd. Nous discutons longuement avec eux.

L’enjeu de ces maraudes, ce n’est pas juste de balancer une soupe et merci-au revoir.

Il faut « maintenir le lien social », comme le rappelle la responsable de maraude, alors nous discutons de tout et de rien en essayant de choper au vol quelques informations personnelles comme l’âge, le nom de famille…

Eugène me raconte une histoire passionnante au sujet de son homonyme, le peintre, Eugène Delacroix. Charly égrène ses souvenirs de mai 68.

Ensuite, nous leur proposons soupes, café, gâteaux… ou encore une place en centre d’hébergement.

La plupart du temps, ils refusent : les centres d’hébergement sont trop pleins, sales, ils s’y font voler leurs affaires… Dans le métro, il fait (relativement) chaud, ils préfèrent y rester.

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Un « nouveau », par contre, nous demande une place. À voir son allure, cela ne fait pas très longtemps qu’il est dans la rue, SDF.

Avant d’appeler le 115, S. le prévient : pour aller en centre d’hébergement, il faut donner son nom de famille et sa date de naissance, rien de plus, rien de moins.

« Pak » accepte, et S. bataille avec le 115 pour lui trouver une place en centre. Elle y parvient, mais au dernier moment, « Pak », probablement sans papiers, se ravise et refuse de donner son nom de famille.

S. lui explique que ce n’est pas pour le tracer, ni pour le livrer à la police, mais il reste méfiant : lui aussi dormira dans le métro. Nous lui laissons quand même une soupe et du pain avant de repartir.

Arrêt suivant au métro Fort d’Aubervilliers : il devrait y avoir Michel, un autre habitué. Mais il n’est pas là.

Nous nous apprêtons à repartir, une boule dans la gorge, lorsque B. l’aperçoit dehors, à un arrêt de bus.

« Ça fait chaud au cœur »

Michel nous raconte que les agents du métro l’ont fait sortir. Pourquoi précisément ce soir, alors qu’il fait -6° ?

Michel non plus ne veut pas être placé en centre d’hébergement.

Mon copain reste un moment à échanger des blagues salaces avec lui (c’est un joyeux luron) et au moment de se dire au revoir, Michel crie en direction de S. et moi : « Salut les cochonnes ! ».

Dans le minibus, énorme fou rire : Michel est en forme ce soir !

Vers la Courneuve, nous nous arrêtons à un « spot » connu pour abriter une dizaine de SDF.

Nous y retrouvons les « collègues » des Restos du cœur, eux aussi dans leur minibus, et faisons connaissance avec ceux qui crèchent dans le coin : Bachir, Jean-Pierre, Patrice, Ahmed…

En dix minutes, tout le monde a un café, une soupe et une couverture et discute en criant pour se faire entendre.

Là, je comprends vraiment l’expression « Ça fait chaud au cœur ».

Espoirs et déceptions pendant la maraude

Appel du 115 : ils ont reçu un signalement d’une femme avec un bébé vers Montreuil.

Nous faisons un crochet pour retrouver cette femme et lui offrir une place en centre d’hébergement, pour elle et son enfant.

Soulagée, elle accepte soupe, lait pour son bébé et la possibilité d’une nuit au chaud.

Prochain arrêt : l’aéroport du Bourget, dans un petit coin à l’abri du vent. Il y a là nos trois russes, Igor, Yannis, et Jean-Patrick (bon, ce dernier ne fait pas très slave, d’accord).

C’est lui qui fait office d’interprète pour les autres : il nous explique qu’un quatrième, Bruno, a été transféré à l’hôpital après une mauvaise fracture du genou.

Bruno refusait d’être soigné : immigré clandestin, il avait peur qu’on l’expulse.

Jean-Patrick a alors pris la responsabilité d’appeler le Samu sans le lui dire, voyant que son ami risquait la septicémie.

De retour dans le minibus, S. appelle le 115 pour avoir des nouvelles de Bruno : il devrait être sur pied d’ici la fin de semaine et une place en foyer l’attend. Enfin une bonne nouvelle !

La fin de la maraude sera plus amère : à Bobigny, dernier stop pour voir Rodrigo.

S. me raconte que cela fait une dizaine de fois qu’elle le voit et qu’il n’accepte jamais rien, même pas un bout de pain.

Rebelote cette fois-ci : il refuse tout, mais accepte de parler avec nous. Je remarque ses pieds, énormes, les baskets déchiquetés : ils ont enflé à cause de son immobilité car Rodrigo n’arrive plus à se lever.

Au moment de partir, S. dépose une couverture à côté de lui ; malgré ses dénégations, elle refuse de la reprendre, elle peut être têtue aussi !

Nous repartons vers notre point de départ en silence, songeant avec effarement au fin gilet déchiré et troué que porte Rodrigo en seul rempart contre le froid.

J’ai appris hier que S. est retournée voir Rodrigo deux jours plus tard, déterminée à lui faire accepter une place en centre d’hébergement, les températures ayant encore chuté.

Elle n’a trouvé personne et le Samu social lui a appris que Rodrigo avait été retrouvé mort le matin même.

Lorsque nous en parlons, on sent qu’elle est vraiment choquée, et moi-même, ne l’ayant pourtant vu qu’une seule fois, je me sens désolée, outrée…

À lire aussi : Comment aider les personnes sans-abri en hiver ?

Un mince rempart d’humanité

La Croix-Rouge fait des maraudes de septembre à juin, et la plupart du temps, nous avons vraiment l’impression d’être utile et d’apporter quelque chose d’important aux sans-abri.

Mais en période de grand froid, on ne peut que ressentir notre impuissance, d’autant plus cruellement que ce sont parfois les sans-abri eux-mêmes qui refusent notre aide.

Je n’aurai pas la prétention de dire que ce que je fais change quelque chose.

Moi-même, je réagis comme tout le monde : en dehors des maraudes, lorsque je croise un sans-abri, je détourne les yeux et pense à autre chose, parfois je leur glisse une petite pièce pour me dédouaner (si peu…) de notre faute collective.

À lire aussi : Faut-il « donner de l’argent à un SDF ? » et autres interrogations d’un « Point de vue social »

Vivre dans la culpabilité c’est impossible

Nous réagissons tous ainsi, car vivre dans la culpabilité deviendrait impossible.

C’est pour ça que je trouve formidable des initiatives comme les maraudes, les collectes alimentaires ou les quêtes financières.

Quand je vois la participation des gens, ça me fait un peu oublier l’inhumanité à laquelle on se heurte lors des maraudes.

Les services de transport qui boutent le vilain clodo hors de leurs frontières, le fait que des hébergements d’urgence n’aient toujours pas été ouverts alors qu’on a largement dépassé le seuil létal de la température, le fait qu’un homme se laisse mourir de froid car il est dégoûté de la vie.

Si ça vous intéresse de participer à une action du genre, renseignez-vous pour connaître les délégations les plus proches de chez vous.

Par exemple sur le site de la Croix Rouge ou sur celui des Restos du Coeur.

NB : cet article a été écrit en février 2012, lors de la période de grand froid.

À lire aussi : Soliguide, le projet d’une jeune femme pour aider les sans-abri

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Les Commentaires

23
Avatar de abou333
27 janvier 2015 à 22h01
abou333
Je salue le travail de cette madz (même si ça fait 3 ans, peut-être qu'elle est toujours bénévole), parce que comme beaucoup de monde, je déplore la situation des itinérants et autres injustices sociales dans notre monde, sans réellement travailler à le faire changer.

J'habite en région au Québec où le problème de l'itinérance est moins important (ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas, et il y a d'autres problèmes), mais du coup, ce genre d'initiative n'existe pas en région, parce que le besoin est moins criant. Mais à Montréal, il y a aussi beaucoup d'itinérance, et quand je lisais à quel point il était inhumain de jeter quelqu'un d'un endroit où il peut se réchauffer alors qu'il fait -6 °C dehors... moi je pense qu'en ce moment, la moyenne des températures est extrêmement basse par ici, on tape facilement dans les -20°C la nuit, sans le facteur de refroidissement, et je me demande comment il est possible de survivre comme ça.
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