— Article initialement publié le 6 juin 2013
Le mansplaining n’a absolument rien de nouveau. C’est un concept tout bête dont nous sommes probablement nombreuses à être témoins au quotidien. Le mansplaining, c’est quand un homme explique à une femme d’un ton condescendant, sur un sujet qui la concerne elle, qu’elle a tort de penser ce qu’elle pense, de dire ce qu’elle dit.
Le mansplaining : une illustration du patriarcat
Cette idée est très ancienne et elle n’a rien de nouveau. En revanche, le terme qui le désigne est relativement jeune : il s’agit de la contraction de « man », pour homme, et d’« explaining », expliquer. C’est l’idée que lui, le mansplainer, sait mieux que son interlocutrice (je dis interlocutrice parce qu’en cas de mansplaining, ça va surtout dans ce sens). C’est le fait de dire « Moi je sais. Toi, moins, ou pas ».
Le mansplaining se fait surtout beaucoup remarquer sur Internet quand il s’attaque au féminisme, quand une féministe relève quelque chose de sexiste et qu’un homme lui explique qu’elle a tort de voir les choses ainsi, parfois en expliquant à la principale concernée ce qu’est réellement le sexisme — qu’il ne connaît que peu en comparaison.
En ce sens, le mansplaining est une des illustrations du patriarcat, l’oppression des femmes par les hommes (pas TOUS les hommes, mais « les hommes » au sens large).
C’est, par exemple, quand on se révolte contre, disons, l’utilisation du terme « mademoiselle » et qu’on vient nous dire que les féministes devraient se concentrer sur quelque chose d’autre parce qu’il y a des combats plus importants et bla, et bla, et bla.
Comme l’explique Know your meme, « le terme provient d’une attitude en ligne généralement vue chez les hommes qui débutent sur des forums de discussion basée sur les femmes. Cependant, n’importe quel membre des deux sexes peut être coupable de mansplaining ».
Certes, il m’est arrivé — rarement, tout de même — de voir des femmes faire du mansplaining en discutant avec d’autres femmes. Toutefois, il serait malvenu de penser que le phénomène ne peut être repéré que sur Internet. Je n’irai pas jusqu’à dire que le mansplaining est partout, mais il peut potentiellement être repéré n’importe où.
Ton idée sonne tellement mieux quand je la reformule.
Le mansplaining : les origines
L’un des plus anciens exemples de mansplaining documenté date de 1903 et a été déniché par The Atlantic. Dans ce texte, Lyman Abbott explique pourquoi les femmes ne veulent pas du droit de vote.
C’est un homme qui pense détenir la vérité sur ce qu’il se passe chez les femmes, qui pense savoir mieux qu’elles ce dont elles ont envie et ce qu’elles ne souhaitent pas. Traduction de l’extrait partagé par The Atlantic :
« Je pense que c’est parce que la femme ressent, si elle ne le voit pas clairement, que la question du suffrage pour la femme est plus qu’uniquement politique ; que cela concerne la nature et la structure de la société – le foyer, l’Église, l’organe industriel, l’état, la fabrique sociale. Et à un changement qui implique une révolution dans tous ces domaines, elle oppose une opposition inflexible, mais le plus souvent silencieuse.
C’est pour cette femme silencieuse – dont la voix n’est pas entendue dans les conventions, qui n’écrit aucun éditorial, ne fait aucune lecture et ne visite aucune assemblée législative – que je parle. »
Dans ce texte, Abbott parle pour des femmes qu’il imagine exister pour appuyer son point de vue anti-droit de vote des femmes. Et peut-être qu’elles existaient, mais qu’y a-t-il de plus condescendant que de parler pour quelqu’un d’autre, de s’exprimer à sa place (j’ai déjà personnellement la nausée quand j’imagine qu’on commande un plat à ma place au restaurant, alors je te raconte pas la réaction que j’aurais eue) ?
S’exprimer à la place de quelqu’un, c’est faire preuve de paternalisme en imposant son avis comme celui du groupe marginalisé, et l’exemple d’Abbott en est une illustration parfaite.
Les femmes sont opprimées ? Pas selon mon expérience !
Évidemment, à l’époque, on ne parlait pas encore de mansplaining. Ce terme n’a que cinq ans, puisqu’il a été utilisé pour la première fois en mai 2008, soit un mois après la publication dans le
Los Angeles Time d’un article de Rebecca Solnit dans lequel elle raconte la fois où un mec, dans une soirée, a eu un comportement paternaliste avec elle : il lui conseillait vivement de lire un ouvrage relatif à son domaine à elle. Il s’est avéré que ce livre, c’est elle qui l’avait écrit.
Cette anecdote est terriblement évocatrice : comme quantité de mansplainers, l’homme a présumé en savoir plus qu’elle sur un sujet qu’elle maîtrisait évidemment mieux que lui — puisqu’en l’occurrence, elle ÉCRIT dessus. Et apparemment, lui-même n’avait lu que la critique de ce fameux livre.
Petits exemples de mansplaining
De manière plus contemporaine, il est possible de trouver du mansplaining un peu partout : dans la vie, au détour d’une conversation ou sur Internet, il n’est pas rare de voir un homme répondre en mansplainant. Par exemple, dans la conversation sur Twitter suivante, un homme explique à l’Actualaloupe comment être féministe parce qu’elle a osé insulter un utilisateur de Twitter sévèrement porté sur le slutshaming :
Ou quand un mec fait une blague sexiste qui ne fait pas rire une féministe et qu’il lui répond quelque chose comme « les féministes n’ont pas d’humour ? ». Ou quand une fille raconte qu’elle a été harcelée dans la rue et qu’elle se voit répondre qu’elle devrait être flattée d’être courtisée, ou remettant en cause ce qu’elle a vécu, comme on a pu le voir dans la discussion entre La Marquise et quelques membres du Parti Pirate.
Est-ce que ça veut dire que les hommes n’ont pas leur place dans les conversations féministes ? Non, mille fois non. Évidemment que les hommes peuvent être impliqués, peuvent combattre aux côtés des femmes pour l’égalité des sexes et sont les bienvenus dans les débats.
Mais à partir du moment où un, ou plusieurs hommes remettent en cause la parole des femmes sur ce qu’elles ont vécu, ce qu’elles vivent, ce qu’elles pensent et ce qu’elles étudient, ce n’est plus d’une discussion qu’il s’agit : c’est de paternalisme.
Pourquoi c’est lourd ?
Sachant que le but des féministes est d’atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes, le mansplaining est une des preuves multiples qu’il reste du boulot à faire : alors que de nombreux hommes ont bien compris que des femmes pouvaient être plus calées qu’eux sur certains sujets, d’autres ont encore du mal à saisir cette idée pourtant toute bête.
Il va de soi que quelle que soit notre identité sexuelle et celle de la personne à qui on s’adresse, la condescendance est quelque chose de profondément insupportable.
Ce qui différencie le mansplaining de la simple condescendance, c’est la notion de privilège : c’est un homme, qui a des privilèges par rapport à la femme à qui il s’adresse, qui fait une leçon de vie, persuadé — consciemment ou pas — d’en savoir plus qu’elle sur un sujet qui la concerne et qu’elle maîtrise. Ce serait comme si une personne blanche expliquait ce qu’on ressent face au racisme à une personne noire, par exemple.
Ok, ce concept ne tue pas, mais il est terriblement frustrant de voir que la parole des représentantes de la gent féminine est aussi souvent soumise à des hommes qui abusent de leurs privilèges masculins et décrédibilisent leurs dires.
Bonne nouvelle : le mansplaining n’est pas insurmontable ! Il est possible d’éviter d’en faire, comme l’a prouvé Hugo Schwyzer pour Jezebel. Dans Five Tips for the Mansplainers in your Life (5 conseils aux mansplainers dans votre vie), il propose quelques réflexions à mener pour savoir si on est sur le point de mansplainer ou pas :
- Est-ce que vous savez combien la femme à qui vous parler en sait sur le même sujet ?
- Est-ce que vous utilisez votre prétendue expertise pour prouver quelque chose sur votre virilité ?
- Quand elle parle, est-ce que vous écoutez ce qu’elle est en train de dire ou êtes-vous simplement en train de répéter votre prochaine réplique ?
- Est-ce que vous parlez de votre propre expérience, ou bien êtes-vous en train d’universaliser vos propres sentiments ? Est-ce que vous lui expliquez sa propre expérience ?
- Est-ce que vous savez vraiment de quoi vous parlez ?
Certes, le ton de cet article est un poil condescendant, j’en conviens. Mais il est un minimum éclairant et pourrait éviter bien des débats à la mord-moi-le-noeud sur Internet et dans la vie. Un tueur de conflits dans l’oeuf, en quelque sorte.
Le mansplaining n’est pas une fatalité : ce qu’il faut se dire, c’est qu’avec un peu d’efforts et pas mal de réflexion, les conversations entre hommes et femmes sur pleiiiin de sujets deviendront beaucoup plus sereines et constructives.
Pour en savoir plus :
- Une histoire culturelle du mansplaining sur The Atlantic (en anglais)
- Bingo féministe et mansplaining, par Anne-Charlotte Husson sur Genre !
- Why Mansplaining is still a Problem, par Rebecca Solnit sur Alternet
À lire aussi : Messieurs, l’égalité hommes-femmes ne se fera pas sans vous
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Les Commentaires
Moi perso je subis les deux quasiment à part égal.