Beaucoup de ceux avec qui je travaille aujourd’hui ne me croiraient pas si je leur disais que je suis introvertie.
Et pour cause : je suis mannequin. Repérée à 16 ans, j’en ai fait mon activité à temps plein une fois mon bac en poche. Je suis à l’aise pour poser, que ce soit dans une ambiance sérieuse ou joyeuse, je shoote régulièrement avec des équipes de 10-15 personnes, devant une « audience ». Parfois je saute, je ris, je danse presque…
J’ai même parlé pour certaines vidéos, chose qui me semblait impossible avant. Et pour ce qui est des conversations entre deux photos, pareil : je peux parler fort, faire des blagues et dire bonjour à toute l’équipe sans me sentir timide. Vous me direz peut-être, pourquoi alors vouloir parler d’introversion ?
Parce que d’abord, il m’a fallu un peu de temps avant d’en arriver là. Et ensuite, j’ai malgré tout encore des moments où j’ai l’impression d’être bloquée : trop timide, trop introvertie… Ce qui m’aide à avancer dans ces cas là c’est de comprendre comment je fonctionne et de l’accepter.
Sur cette photo pour le Elle Japon, dans les rues de New York, plein de passants me regardaient et prenaient des photos, ce qui m’aurait intimidée avant mais plus aujourd’hui. De même sur la vidéo qui suit, il y avait bien une quinzaine de personnes sur le plateau !
L’introversion n’est pas un défaut
Ce n’est qu’après avoir lu les livres Quiet de Susan Cain et The Highly Sensitive Person de Elaine Aron que j’ai intégré que mon introversion n’était pas un problème à guérir mais simplement ma personnalité, et que j’avais autant d’importance et de légitimité dans la société que celles et ceux que j’ai toujours envié•es jusqu’à présent : les extraverti•es.
On lit d’ailleurs dans Quiet que beaucoup de personnes connu•es étaient ou sont introverti•es et que ça n’empêche pas d’être investi•e dans le monde extérieur.
J’ai aussi compris que dans mon cas, mon introversion était due à une haute sensibilité, que je prends vraiment comme une qualité aujourd’hui et non une faiblesse comme je le pensais il y a quelques années. Selon Susan Cain et le Dr. Aron, tou•tes les introverti•es ne sont pas hypersensibles et tous les hypersensibles ne sont pas introverti•es. Il y a cependant une assez forte corrélation.
Après avoir lu ces livres, ça a été comme une révélation : je n’ai pas besoin de changer ma nature, y compris pour faire les activités qui me plaisent comme mon métier de mannequin par exemple.
Introversion, hypersensibilité, confiance en soi : tout est lié ?
Enfant et adolescente j’ai toujours eu l’impression de ne pas vraiment être normale. La métaphore qui résume le mieux ce que je ressentais c’est que les autres étaient né•es avec le manuel d’instruction de la vie et des relations sociales et moi non.
Aujourd’hui ma grande sensibilité me permet au contraire de détecter les réactions imperceptibles et les émotions des autres, ce qui m’aide beaucoup pour les comprendre et échanger. En revanche, à l’époque, je ne comprenais pas pourquoi je semblais être l’une des seules à ne pas me sentir à l’aise dans certaines situations banales pour les autres.
En plus d’être introvertie, j’étais aussi très timide et non, ce n’est pas tout à fait la même chose : l’introversion c’est le fait de préférer moins de stimulation extérieure – comme le bruit par exemple – puisqu’on y est plus sensible et qu’il suffit de peu pour être « rassasié ». En général on a besoin de passer plus de temps seul pour recharger nos batteries (mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas apprécier les soirées/concerts/bar bondés…).
Alors que la timidité est davantage due à un grand manque de confiance en soi (dont je souffrais également beaucoup) et à la peur du jugement des autres.
En cours, j’ai toujours eu de bonnes notes mais je ne parlais pas, sauf quand on avait un exposé ou un examen oral. Etonnement, je prenais plaisir à présenter à l’oral si le sujet m’intéressait malgré le grand stress qui précédait l’exercice. Il arrivait parfois des jours avant, m’empêchant de dormir et me faisant même trembler le jour de la présentation.
Je me rappelle que les cours les plus angoissants pour moi étaient ceux de langue et de sport, puisque c’était les cours où mes profs étaient les moins compréhensifs par rapport à ça. Ça les énervait.
D’ailleurs ça énervait d’autres élèves aussi ; et j’ai bien conscience que quand on est silencieux•se et timide les autres pensent souvent qu’on est soit hautain•e soit légèrement idiot•e (oui, on me l’a fait sentir).
Pourtant, dans des conversations avec une seule personne ou en petits groupes, j’arrive vraiment à montrer que j’ai beaucoup de choses à dire et que je ne me crois pas supérieure à mes interlocuteurs.
J’ai le droit d’être introvertie !
Je ne veux pas donner l’impression de me plaindre alors qu’aujourd’hui je suis heureuse, mais je pense qu’il est important de parler de l’introversion. J’ai souvent eu l’impression d’être considérée comme « anormale », dans notre société occidentale.
Pourtant, les introverti•es représentent 25 à 50% de la population selon les études : ce n’est donc sans doute pas une si petite minorité ! Cependant, le fait qu’on encourage les introverti•es à se comporter comme des extraverti•es les rend peut-être moins « visibles ».
Je pense aussi qu’il y a beaucoup d’incompréhension et peu d’informations sur comment élever des enfants hypersensibles et/ou introverti•es. Bien sûr qu’un bon parent ou un bon prof doit pousser un enfant à aller plus loin et à repousser ses limites, mais peu prennent conscience que les limites de ces enfants ne sont pas les mêmes que celles d’un autre.
Il faudrait pouvoir l’encourager, sans que l’enfant ne se sente comme un moins que rien quand l’adulte ne se rend pas compte de l’effort demandé, ou qu’il considère anormal de ne pas réussir à le faire.
J’ai eu notamment une prof qui criait sur les élèves qui ne prenaient pas la parole en classe parce que ça l’énervait. Plus tard, j’ai rencontré une prof d’anglais qui était particulièrement peu compréhensive et peu amicale avec les élèves « timides », qui étaient ennuyeux selon elle – merci pour la confiance en soi. C’était contre-productif puisque ça me poussait à me replier davantage sur moi-même.
Mais alors, introvertie et mannequin c’est possible ?
Du fait de mon introversion et de l’angoisse que généraient chez moi certaines expériences plutôt « simples » comme le fait de participer en cours par exemple, jamais je ne me serais sentie capable d’être mannequin. Quand j’ai été repérée ça a été un mélange de plaisir, de peur (tout lâcher pour essayer cette voie artistique alors que je voulais être médecin ?) et d’incompréhension.
Comme j’avais aussi un manque de confiance en moi je ne m’étais jamais sentie « belle », même si aujourd’hui je sais que les critères de beauté sont de toutes façons discutables et très personnels. Au début, je souffrais beaucoup du syndrome de l’imposteur, en me disant qu’un jour quelqu’un allait dire « mais qu’est-ce qu’elle fait ici, elle ? ».
Mais surtout, je ne me sentais pas capable de faire tout ce qu’une mannequin doit faire : les castings, poser devant un•e photographe et comme je l’entends souvent, « montrer que j’ai de la personnalité ». J’ai horreur de ce terme, il m’énerve beaucoup puisque souvent en disant ça les gens attendent de toi que tu danses, parles fort, ou ce genre de choses.
Longtemps j’ai pensé que je n’avais pas de personnalité, puisque je ne parlais pas fort et que j’étais mal à l’aise en public. Je n’arrivais pas à être drôle en public – alors même qu’en privé je me « lâchais » complètement et que je faisais beaucoup rire mes amies… Aujourd’hui je sais qu’il n’y a pas qu’une façon d’exprimer sa personnalité, on peut l’exprimer même en parlant calmement et en ayant un langage corporel plus « calme ».
D’ailleurs, mes rencontres m’ont souvent prouvé qu’il fallait voir au-delà des apparences : j’ai rencontré des personnes discrètes ayant pourtant une réflexion extraordinaire sur le monde, et d’autres plus extraverties, en apparence géniales qui m’ont presque déçues. On n’avait rien en commun.
Mes premiers pas de mannequin introvertie : une certaine idée du stress
Pour pas mal de personnes, le fameux « fake it till you make it » marche bien dans ce cas là. Mais à l’époque, ça me semblait juste impossible : j’avais beau essayer d’imaginer que j’étais quelqu’un d’autre, rien ne marchait.
Par exemple, ci-dessus se trouve un extrait d’une première vidéo à 17 ans. J’étais très stressée en arrivant, mais toute l’équipe a été adorable et a su me mettre à l’aise sans me juger ou trouver mon angoisse bizarre.
En parlant de ma timidité j’avais l’impression d’être le pire cas : oui, d’autres mannequins étaient « timides » mais elles semblaient arriver à vaincre leur peur plus facilement que moi, et je me sentais donc assez seule.
Pour moi, le mannequinat c’était justement une opportunité pour essayer de passer au-dessus de cette peur, d’apprendre à persévérer, sans compter les voyages que je n’aurais pas pu faire autrement.
Mes premiers castings se sont passés l’été de mes 17 ans à Londres. Comme je viens de Lille, avec l’Eurostar c’était facile. Mais ils m’ont tellement stressée que j’en ai été malade physiquement. Je me suis rendue compte à ce moment-là à quel point le stress pouvait affecter le corps.
Toutes mes premières expériences de mannequin étaient d’ailleurs très stressantes pour moi. Mon premier shooting ? J’étais tellement nerveuse que je n’arrivais pas à contrôler mes gestes, j’avais très peur d’être ridicule et de ne pas réussir à faire ce que je devais faire. C’était encore le syndrome de l’imposteur : alors que tout le monde disait adorer mon visage, moi je ne comprenais pas ce que je faisais là.
Quand j’ai fait mon premier grand voyage, un mois et demi à Tokyo, rebelote : complètement malade les premiers jours à cause du stress. Il faut dire que le rythme insoutenable du travail au Japon n’a pas aidé. Je commençais parfois à 3h du matin pour le shooting et finissais mes journées avec des castings jusqu’à 22h.
Tout était très intense, et c’était dur d’avoir l’impression d’être la seule que ces expériences faisait réagir ainsi.
Apprendre à gérer ma carrière de mannequin avec mon introversion
Et puis, petit à petit, ça s’est calmé. Le stress était moins présent et j’ai accepté que oui, c’était bel et bien mon visage qu’ils aimaient. Que je n’étais pas ridicule en posant.
D’ailleurs tous les photographes aujourd’hui me disent que j’exprime beaucoup d’émotions et que je comprends exactement ce que l’on me demande, que c’est rare. Beaucoup s’imaginent que j’ai pris des cours de comédie.
J’ai enfin pris du plaisir en me sentant légitime. Le mannequinat m’a aussi permis d’avoir mon visa pour New York, où je vis aujourd’hui, et de m’éloigner d’un conflit familial. Cela m’a aussi grandement apaisée dans ma vie en général et je me sens complètement épanouie désormais.
Mon troisième été à Tokyo, un vrai bonheur !
S’assumer en tant qu’introvertie, c’est possible !
La raison pour laquelle j’ai eu envie d’écrire ici, c’est que j’ai réussi à faire quelque chose qui, dans ma tête, m’était fermé à cause de ma personnalité : je voulais donc encourager celles qui sont dans le même cas.
Oui, j’ai eu de la chance parce qu’on est venu me chercher, j’ai été encouragée. Et bien sûr que tout le monde n’a pas envie ou la possibilité d’être mannequin ou de travailler dans ce genre de milieux. Mais avant je ne me sentais même pas capable de faire des activités qui me faisaient envie car je les pensais impossibles pour moi, comme des cours de danse par exemple.
Alors si tu es introverti•e et/ou timide, ou si tu ne se sens pas capable d’aller dans une direction que tu souhaites prendre, saches qu’en réalité tu as autant de légitimité que les autres et que rien n’est anormal chez toi malgré ce que tu as pu ressentir.
Bien sûr qu’au début ce sera dur, mais en acceptant ton introversion et en faisant les choses graduellement, tes expériences finiront peut-être par ne plus être aussi intenses et douloureuses, comme ça a été le cas pour moi.
La timidité, on peut s’en débarrasser, puisque l’on peut regagner de la confiance en soi et ne plus avoir peur du jugement des autres, mais l’introversion est un trait de personnalité. C’est normal de se sentir moins timide qu’avant et puis d’avoir l’impression que ça revient par moment, c’est juste qu’on a tendance à se protéger plus dans certaines situations !
À toi qui te reconnais, je te recommande la lecture des deux livres bienveillants que j’ai cités pour mieux comprendre les mécanismes qui se passent dans notre cerveau, ceux qui provoquent nos réactions. En plus de soulager, c’est très intéressant sur le plan psychologique et médical !
Bien évidemment, ne vous rangez pas dans une catégorie pour toujours. Comme je l’ai dit au début, il m’arrive de me comporter comme une vraie extravertie, à me demander même si je peux toujours me décrire comme introvertie.
À lire aussi : Peut-on être à la fois introverti-e et extraverti-e ?
Mais quoi qu’il en soit, je pense que c’est important de célébrer les qualités des introverti•es et de savoir que ce n’est pas une tare, avant de pouvoir éventuellement s’en détacher.
Aujourd’hui je suis épanouie, heureuse, sûre de moi (et oui, les mannequins sourient) !
Si certain(e)s ont envie d’en discuter et d’échanger sur les choses qui marchent dans les moments stressants, vous pouvez m’envoyer un message privé sur mon Instagram !
Quelques ressources sur l’introversion :
Si tu souhaites te procurer les livres dont parle Hélène :
- Tu peux trouver Quiet de Susan Cain sur Amazon ou à La Fnac ou sa version française La force des discrets, également sur Amazon ou à La Fnac.
- Tu peux trouver The Highly Sensitive Person de Elaine Aron sur Amazon ou à La Fnac, ou également sa version française sur Amazon ou à La Fnac.
Et si tu n’as pas le courage de te plonger dans ces livres ou pas le temps ou peu importe ta raison : le TedTalk de Susan Cain est très accessible et vraiment intéressant !
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On a hâte de vous lire !
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Les Commentaires
Je pense qu'il ne faut pas oublier que c'est un témoignage et pas un article de journalisme: c'est son ressenti qu'elle partage. Et peut être que ce dont tu parles @cryhouse c'est la différence aussi avec les introvertis hypersensibles ou non (je ne pense pas personnelement qu'Obama soit introverti, comme quoi c'est pas toujours évident de savoir si quelqu'un appatient à une catégorie où non) qui fait qu'on réagi à un stimuli de manière différente.
Je pense que l'amalgame timidité chez les introvertis vient aussi du fait que certains introvertis hypersensibles du coup s'entendent dire qu'ils se sont pas normaux quand ils sont plus jeunes comme elle le dit dans son texte (ça a été mon cas) ce qui peut amener à perdre confiance en soi.
En fait c'est vrai que perso je distingue deux types d'introvertis, les hypersensibles et les autres, mais c'est ce que j'ai pu observer comme différence de comportement, il y a énormément de vécus différents etc. Bref elle a exprimé son ressenti par rapport à ce qu'elle a vécu, et elle dit à ceux qui se retrouvent dans cette façon d'être (qui existent bel et bien) que c'est possible de s'en sortir, après c'est super si pleins d'introvertis comme toi ne se sentent pas mal à l'aise à cause de ça, mais j'ai bien aimé ce témoignage