Il y a peu, en rangeant le capharnaüm qui me tient lieu d’appartement, j’ai retrouvé une boîte à chaussures recouverte d’un bon centimètre de poussière.
En l’ouvrant, toute mon enfance m’a sauté à la figure : y dormaient des dizaines de lettres, cartes et autres missives que j’avais reçues au temps lointain où les écrans n’avaient pas le monopole des mots.
J’ai alors retrouvé la carte que mon parrain m’avait envoyée pour mes dix ans, la lettre que ma grand-mère m’avait mandée pour quelque classe verte, et, enrubannée dans un kleenex rose, la carte de Saint Valentin que m’avait offert mon premier amoureux, il y a quinze ans de cela.
Aujourd’hui, les gens n’écrivent plus. À l’heure où nos mots se bornent à nos écrans, nos boîtes aux lettres ne voient plus défiler que nos factures, et les seules lettres manuscrites que nous recevons se bornent aux étrennes de nos aïeux ou à des cartes postales venues des quatre coins de la France – si j’étais née à l’entour de l’an 2000, je n’aurais sans doute jamais eu le loisir nostalgique de toucher du bout des doigts des fragments de mon passé.
Remettre la lettre au goût du jour
En relisant ces mots de mon enfance, je n’ai pu m’empêcher de me demander pourquoi les lettres avaient presque disparu de nos existences. Ainsi, pourquoi ne pas remettre la lettre au goût du jour ?
La lettre, c’est l’émotion : et que celle qui n’a jamais connu l’adrénaline de l’attente, qui n’a jamais couru à toutes jambes aux devants du facteur, été transportée de joie à la vue d’un petit carré de papier blanc me jette le premier stylo plume.
La lettre, c’est le velouté d’une enveloppe, choisie avec plus ou moins de soin, la caresse d’un papier, la senteur, parfois, d’un parfum – tout un cérémonial dont se souvient avec délectation Alice, étudiante en… lettres modernes :
« Quand j’étais petite, j’avais une correspondante belge. Nos missives n’étaient pas très littéraires, mais je me souviens très bien de l’excitation qui était la mienne lorsque ma mère déposait une de ses lettres sur mon bureau. Aujourd’hui, je meurs d’envie d’entretenir une relation épistolaire avec quelqu’un. Mais à quoi bon ? Aujourd’hui, plus personne n’écrit ».
Lorsque j’ai demandé à des personnes rencontrées au hasard d’un café ce que leur évoquait la lettre, beaucoup l’ont opposée à la froideur numérique des mails, qui disent tant, mais ne disent rien. Leila, 25 ans, observe avec pessimisme le déclin de la correspondance manuscrite :
« J’associe le mail à une culture de l’instant, et la lettre à une culture de l’attente. Entre une lettre et un message instantané, il y a tout un monde : les mots que nous nous envoyons, via Facebook ou le défunt MSN, sont souvent dénués de toute réflexion : nous écrivons comme nous pensons, sans prêter plus d’attention que cela à nos écrits.
Dans Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand décrit très bien toute la sensualité, toutes les émotions qui peuvent être associées à une simple lettre : je ne cesserai jamais de déplorer la mort de la correspondance. Et si cela fait de moi une vieille conne, tant pis. »
La lettre est également un support moins immatériel que nos conversations numériques, que nous risquons de perdre irrémédiablement au gré des aléas de la technique. Relire une lettre, c’est retrouver une part de son passé, et parfois de son histoire, comme nous le raconte Alan, étudiant à Sciences-Po :
« Enfant, j’adorais fouiller dans le grenier de ma grand-mère. J’y ai retrouvé les lettres, jaunies et poussiéreuses, qu’elle avait envoyées à mon grand-père il y a un demi-siècle de cela. Mon grand-père est mort quelques années avant ma naissance, mais lire sa prose m’a donné l’impression de le connaître – que saurais-je de lui si mes aïeux avaient flirté par mail ? »
Pour Sophie, jeune professeur d’anglais, les lettres sont liées au sentiment amoureux, et ce dernier ne peut exister sans elles :
« Admiratrice de George Sand, j’ai grandi avec un idéal amoureux épistolaire. Pour moi, aimer, c’était écrire : malheureusement, mon premier amoureux était dyslexique et se refusait à l’écriture, le second était trop paresseux et le troisième, après m’avoir juré qu’il m’écrirait, ne m’a jamais envoyé une lettre de sa vie.
Sans doute était-il trop lâche – une lettre est bien plus impliquante que mille messages envoyés à la va-vite sur facebook. Mais je n’ai pas renoncé à mes rêves d’amours épistolaires pour autant. »
C’était mieux avaaaaant ?
Pour autant, était-ce vraiment « mieux avant » ? S’il est parfois tentant de regretter un passé idéalisé en lequel l’écriture n’était pas qu’un passe-temps désuet, ne tombons pas dans la sempiternelle rhétorique du « c’était-mieux-avant ».
Si j’étais née trois siècles auparavant, être une grande épistolière ne m’aurait pas consolée de mon statut d’éternelle mineure – d’ailleurs, peut-être n’aurais-je jamais su écrire. La question n’est donc pas de regretter un passé en lequel les lettres avaient une importance capitale, mais de réfléchir au moyen de réintroduire la lettre dans notre présent.
Ainsi, si tu es, comme moi, une amoureuse impénitente de la correspondance, n’hésite pas à rejoindre le topic « Et si on s’écrivait » !
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Les Commentaires
Bref j'arrête ma petite histoire. Mais vive l'écriture !