Sur les ondes de France Info le 5 avril dernier, Jean-Luc Mélenchon faisait part de son envie de lancer « le 5 mai prochain, dans la rue, une marche citoyenne pour la VIe République », à l’occasion du « jour anniversaire de l’élection présidentielle » pour « purifier cette atmosphère politique insupportable ».
Dans son appel à défiler pour la VIème République, le PCF renchérissait :
« La lamentable affaire Cahuzac n’est pas seulement la faillite d’un homme. C’est celle de la Vème République et des politiques entièrement soumises au règne de la finance… »
À la veille du premier anniversaire du mandat Hollande, les participant-e-s à la « marche citoyenne » initiée par Mélenchon se sont réuni-e-s hier autour de la Colonne de Juillet pour manifester leur « déception face à la gauche ». Lionel, venu de Lyon exprès pour l’occasion, explique :
« J’ai voté Hollande en croyant à sa promesse de changement. Un an après, je réalise que rien n’a bougé. Je me suis déplacé aujourd’hui pour montrer mon mécontentement, cette sensation désagréable qu’on m’a volé mon vote. »
La polémique des chiffres
Le cortège, « rouge de monde » selon l’expression consacrée par les militant-e-s enthousiastes, s’est étalé de la place de la Bastille à celle de la Nation – un grand classique des manifestations de la gauche en France. Jean-Luc Mélenchon avait affirmé vendredi que ce serait « un triomphe » si le cortège atteignait 100 000 personnes : selon les chiffres revendiqués par le Front de Gauche, il en a réuni 180 000. La préfecture de police a, quant à elle, évalué le nombre de participants à 30 000 : une annonce qui a fait sortir Jean-Luc Mélenchon de ses gonds, lequel y voit « une ridicule provocation » de la part de Manuel Valls.
En effet, la préfecture de police (que Manuel Valls, en sa qualité de ministre de l’Intérieur, dirige) avait pourtant annoncé, quelques heures avant le début de l’événement, qu’elle n’interférerait pas dans les statistiques de la mobilisation, comme c’est le cas pour chaque mobilisation politique. Or, à l’annonce des 180 000 de Mélenchon, la préfecture s’est finalement contredite en annonçant ce qui est désormais considéré par la gauche de la gauche comme « un chiffre politique » : il est reproché à Manuel Valls d’avoir fait volte-face en sortant un chiffre volontairement en deçà de la réalité afin de décrédibiliser la marche citoyenne de Mélenchon.
« Mettre à bas l’oligarchie »
Battant le pavé d’un dimanche après-midi plutôt ensoleillé, les manifestants se sont déplacés pour dénoncer les politiques d’austérité et exiger la priorité à l’emploi, aux services publics et au partage des richesses pour répondre aux besoins sociaux et environnementaux. Julie, 17 ans, terminale ES, s’énerve :
« Le discours est toujours le même : on dit au peuple que c’est normal de se serrer la ceinture et qu’il faut faire des concessions en temps de crise. Il y a toujours des arguments pour justifier l’austérité. Mais il y a une caste de gens à laquelle jamais personne ne touche : les actionnaires. Les licenciements pour augmenter les profits des actionnaires ? Personne ne se soucie de savoir qu’ils mettent à mal des familles entières ! »
Selon Anne-Cécile, 34 ans, venue avec sa petite famille, « il faut avoir le courage de tourner la page
» :
« Si Hollande a été élu, c’est avant tout parce que le peuple veut un changement. Et quand on dit changement, on dit « faire tabula rasa de ce qui pourrissait le système de l’intérieur ». On ne peut pas décemment continuer à faire croire au peuple que la gauche au pouvoir va essayer de leur rendre la vie meilleure. Il faut oser changer de système. »
« Les institutions de la Vème République se sont essoufflées, il faut une VIe République plus transparente »
Plus loin, Jacques et son mégaphone bien en place, scandent la nécessité d’ « en finir avec ces institutions révolues » :
« Les gens sont dégoûtés de la politique. Ils sont déprimés. Ils votent toujours, mais avec de moins en moins d’espoir, et dans la vie de tous les jours, tout le monde se dit bien que les politiciens sont des charognards. Ce n’est pas quelques réformes qui vont changer ça : il faut repenser la vie politique dans son entièreté. »
C’est là le socle d’arguments pour une VIe République : la conviction que les institutions de notre actuelle Vème République se sont essoufflées en montrant très largement leurs limites.
Selon le Parti de Gauche, « la Ve République a fait la guerre d’Algérie. Mais elle ne réglera pas la crise du capitalisme financier ». Il faut donc lui substituer une nouvelle République, pensée sur des bases plus démocratiques :
- Redonner le pouvoir au peuple et leur offrir plus de transparence de la part de leurs élu-e-s.
- Désigner une assemblée constituante, c’est-à-dire un ensemble de représentants élus au suffrage universel direct ayant pour mandat d’élaborer et de proposer un nouveau texte constitutionnel.
- Instaurer le référendum révocatoire pour rompre avec le régime d’irresponsabilité, autrement dit : la possibilité pour le corps électoral de révoquer la quasi-totalité de ses représentant-e-s, afin d’obliger l’élu-e à être en mesure de répondre de ses actes à tout moment. C’est l’idée que le Parlement doit pouvoir contrôler à tout moment les actions du gouvernement.
- Mettre fin à la « monarchie présidentielle », qui rend intouchable le président de la République pendant ses 5 ans de mandat et augmente la bipolarisation du système. Pour cela, il faut rendre son pouvoir à l’exécutif, actuellement réduit au statut faiblard de « bras droit » du président.
- Introduction de la proportionnelle dans les scrutins, afin que tou-te-s les citoyen-ne-s puissent être représenté-e-s.
Un Mélenchon qui ne fait pas forcément l’unanimité
Parce que les intérêts de la finance priment sur la vie publique, tout est mis en œuvre pour préserver le pouvoir donné à une certaine élite. C’est ce que Mathieu, 26 ans, venu de Lille, regrette amèrement :
« Les marchés financiers nous dominent. En l’absence de toute révision du système actuel, l’intérêt général ne s’imposera jamais. »
Mais le jeune homme n’est pas certain de rejoindre Jean-Luc Mélenchon jusqu’au bout :
« Je suis d’accord avec lui quand il parle d’abolir les privilèges des nantis. Mais il faut encore que j’étudie de près les propositions de la VIème République. Je suis d’un naturel suspicieux. Un homme qui a voulu faire partie de la Vème République et propose aujourd’hui d’aller vers une VI, ce n’est pas ce qu’il y a de plus logique en terme de convictions politiques »
Même son de cloche chez l’UDB Jeunes qui milite « pour une Bretagne autonome et socialiste dans une France fédérale » :
« L’UDB Jeunes s’étonne de la méthode employée par le co-président du Parti de Gauche pour la mettre en place. Lorsqu’un homme seul enjoint les partis à le suivre, lorsque l’intégralité du dossier « Tout sur la marche et la VIème république » sur le site du Parti de Gauche renvoie au blog personnel de M. Mélenchon, nous ne pouvons partager cette façon de procéder qui évoque plus le gaullisme que la démocratie réelle à laquelle nous aspirons. En tant que militant-e-s politiques nous croyons à la prise de décision collective dans une organisation politique et non au fait du Prince. »
Mais pour Thibaut, 27 ans, fervent défenseur de Mélenchon, « les reproches ne tiennent pas la route » :
« On accuse Mélenchon d’avoir retourné sa veste entre les présidentielles de l’année dernière et sa marche citoyenne d’aujourd’hui. Pourquoi tout voir en terme d’événements ponctuels ? Les choix politiques et les stratégies des politiciens ne sont pas dissociables de l’époque et des contextes donnés : en 2012, Mélenchon a voulu jouer le jeu démocratique de la Vème République en se présentant. En 2013, il reste dans l’opposition mais pense pouvoir aller plus loin encore. Ce n’est pas un retournement de veste, mais la tentative d’incarner au mieux l’opposition. Et cette incarnation n’est pas la même selon la stratégie que l’on adopte. Au moins, il essaye et reste fidèle à lui-même dans ce qu’il dénonce. »
Au loin, la voix de Pierre Laurent, secrétaire national du PCF et co-leader du Front de Gauche, gronde :
« Il y a un an, la majorité de la France (…) a clairement choisi la voie du changement, de la rupture avec dix années de reculs sociaux, d’autoritarisme, de racisme. Un an plus tard, c’est le gâchis et la colère ! »
VIème République ou pas, il est certain que les participant-e-s la marche citoyenne restent d’accord sur une chose : le changement promis par François Hollande, « c’était pas pour maintenant ».
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Les Commentaires
Seulement si le député ou sénateur s'exprime dans l'exercice de ses fonctions. Et heureusement, la pratique courante privilégie les droits fondamentaux au statut des membres du Parlement. Sinon, par exemple, Brice tout luisant (bon Hortefeux, ok..) n'aurait pas pu être poursuivi.