Je n’ai jamais été une militante. Je ne fais pas partie de ces jeunes révolté-e-s qui descendent dans la rue scander des slogans et lever bien haut leurs bannières dès qu’une loi les révulse, je n’ai pas pour ambition de changer le monde ou d’apporter ma pierre à ce bel édifice qu’est la société idéale. Ma seule contribution majeure et utile a été de voter aux présidentielles et aux législatives l’année dernière. À part ça, que couic. Je suis une mollassonne du débat politique, un mollusque du coup d’éclat. Une méduse échouée sur la plage de l’action civique.
Pourtant, depuis plusieurs semaines, je sens poindre en moi un titillement, un pincement dans mes entrailles, une agitation au bout de mes doigts comme Legolas ayant abusé de l’alcool (les incultes se réfèreront au Seigneur des Anneaux pour comprendre : il est temps de faire votre éducation, jeunes gens). Diable. Et rapidement – à partir du 13 janvier à vrai dire – j’ai compris. C’était à cause de ce débat dont on nous rabâchait les oreilles à propos du mariage pour tous, de l’adoption, et de la PMA. Avant le 13 Janvier, je n’y avais que moyennement prêté attention, puisque je fais partie de cette bande de naïfs vivant dans une bulle rose pleine d’arc-en-ciel, croyant que puisque la loi allait passer de toute façon, alors pourquoi continuer à s’exciter dessus ? Bref, avant le 13 janvier, je ne voyais pas l’utilité de m’impliquer moi-même dans le débat comme militante.
Mais ça, c’était avant.
Voyant à quel point le débat s’enflammait en ce fameux 13 janvier, j’ai décidé de m’y intéresser de plus près. J’ai lu des articles de journaux, visionné des témoignages et opinions des deux camps, suivi la manifestation des « antis » en essayant de rester la plus impartiale possible. Et ce que j’ai vu m’a stupéfaite. Au point que j’en ai lâché mon cookie qui est pitoyablement allé s’écraser par terre, sacrifié sur l’autel de la prise de conscience. J’ai vu les messages d’homophobie ouverte et stupide, comme tout le monde, mais surtout, j’ai vu l’autre, bien plus vicieuse, celle qui se cache derrière les sourires avenants, les poignées de main chaleureuses, les défilés « avec toute la famille », les amis-homosexuels-donc-vous-voyez-on-est-pas-homophobes, les beaux discours sur la tolérance et le respect de l’autre, et le pire, sur la sécurité de l’enfant. Et j’ai eu peur. Je vous le dis mesdemoiselles, mesdames, et messieurs si vous me lisez : j’ai eu peur. Et j’ai encore peur.
C’est ainsi qu’après plusieurs semaines de débat intérieur et d’indignation grandissante, j’ai vu cet évènement Facebook organisant une manifestation en faveur du mariage pour tous le 27 janvier à Londres, devant l’Ambassade de France. Ma résolution fut prise : j’allais manifester. Pour moi, pour ma conscience, pour mon devoir de citoyenne. Et pour cookie, tombé au combat.
C’était la veille de la manifestation. Le lendemain matin, j’ai pris les armes : munie de dix centimes, je me suis rendue à la salle informatique de ma fac sur Chancery Lane et j’ai imprimé deux affiches portant fièrement les slogans que je voulais défendre : « Mieux vaut un mariage gay qu’un mariage triste » et « Je suis hétéro et je me marierai quand les homos le pourront
». Toujours dans l’humour, messieurs-dames, car mieux vaut en rire qu’en pleurer. C’est ainsi qu’à quatorze heures, mes affiches à la main, escortée d’un fidèle compagnon qui voulait aussi se joindre à la manif’, et le cœur en bandoulière, je me retrouvais fleur au fusil devant l’Ambassade de France, telle Marius Pontmercy montant aux barricades (si vous me dites que vous n’avez ni lu ni vu Les Misérables, je ne peux plus rien pour vous).
Je suis venue, j’ai vu. J’ai pas vaincu grand-chose, mais l’intention y était. On nous a rabattu les oreilles pendant deux semaines avec les chiffres de la manifestation des « antis », eh bien moi, je puis vous certifier notre nombre avec exactitude. À Londres, devant l’ambassade en ce 27 janvier ensoleillé, nous étions vingt-huit.
Vingt-huit drôles d’individus, armé-e-s de leurs pancartes en français, coincés entre l’ambassade de France et celle du Koweït, en face de Kensington Park. Le spectacle était franchement cocasse. Vous pouvez rire, ou même sourire, derrière votre écran, parce que je le reconnais bien volontiers, j’ai eu envie de rire moi aussi ! Ah, elle était belle, la bande des manifestant-e-s, la bande des vingt-huit ! Ah, elle était belle, cette bande de branquignoles qui voulaient aussi, à leur mesure, faire bouger le monde !
Eh bien oui, elle était belle, cette bande des vingt-huit. Elle était belle, cette bande de rigolos que les passants regardaient de travers, qui brandissaient fièrement leurs pancartes auxquelles les non-francophones ne comprenaient rien, qui prenaient des photos tous ensemble, échangeaient leurs affiches, discutaient avec le gendarme de l’ambassade incrédule qui était venu en reconnaissance après avoir identifié un drôle d’attroupement sur le parvis (parce que oui, l’art de préparer une manif la veille au soir, c’est de ne pas prévenir qu’on vient. CQFD.) ; cette drôle de troupe constituée de Français-es, de pas Français-es, de célibataires hétéros et homos, de couples homos et hétéros, de potes, et même d’une famille de cinq enfants. Nous n’étions que vingt-huit au plus fort de notre heure de manif, et pourtant nous avons réussi à réunir autant d’horizons différents.
Et en une heure de manifestation, nous avons brillé, à notre manière. Du fait de notre petit nombre et de l’absence d’autorisation officielle, nous n’avons pas pu faire grand-chose. Simplement brandir nos affiches en souriant, fiers d’être sortis braver le froid pour une cause juste. Nous n’avons rien fait, rien apporté de décisif au débat. Mais nous étions là. Nous étions là, aux côtés de ceux et celles qui avaient pu aller manifester à Paris ou ailleurs en France. Vingt-huit à afficher devant l’ambassade des évidences qu’il peut paraître absurde de devoir encore affirmer… mais même les évidences ont besoin d’être rappelées de temps en temps. L’évidence du droit pour tous au mariage et à une famille en est une.
En une heure, nous avons aussi échangé nos points de vue, notre impatience pour certain-e-s, notre exaspération pour d’autres, notre inquiétude pour ceux qui surveillaient Twitter et ses propos homophobes, et notre optimisme. La loi passera, c’est une certitude. Pourtant, il faut encore élever la voix pour que personne ne baisse les bras, pour que chacun sache que non, cette loi ne passera pas pour rien, et que toutes les voix sont entendues. En une heure, ce qui était pour moi une certitude est devenue une conviction : je veux continuer à me battre, à faire entendre ma voix, à manifester s’il le faut, parce que je fais partie de cette société qui change et que je dois me sentir concernée, même en étant hétéro, célibataire, et loin d’être mère. Je ne veux pas que les couples homosexuels continuent d’être traités en sous-citoyen-ne-s, je ne veux pas qu’ils et elles vivent avec la peur au ventre en pensant au lendemain, je ne veux pas que les enfants soient arrachés à leur famille en cas de séparation parce que la loi ne saura pas parer à la situation. En tant que fille de divorcés, je veux que les enfants de familles homoparentales jouissent des mêmes droits que moi (on m’a toujours appris qu’il fallait savoir partager, je suppose que ça ne vaut pas que pour les bonbons ou la console de jeux). Je veux de l’amour, de la joie, de la bonne humeur, et je zute les grognons qui boudent encore dans leur coin parce qu’il faut pas toucher à leurs jouets.
Bref. J’ai fait ma première manifestation, la manif’ à vingt-huit, et je recommencerai dès que je le pourrai. Qu’on soit deux, vingt, trente, ou quatre cent mille, je répèterai encore et encore, avec mes camarades qui ont achevé aujourd’hui de me convertir au militantisme pour cette cause, des évidences et des vérités jusqu’à ce qu’elles soient entendues par tous. Quitte à ce que ça fasse effet disque rayé, au moins nous ne serons pas les seuls. Je veux encore m’exprimer dans cette ambiance de bonne humeur, de tolérance et de solidarité, que je sais avoir été la même en France via mes super-copines-qui-sont-allées-manifester-aussi-parce-que-nous-le-valons-bien.
Je clos désormais cet article en pensant aux autres qui étaient présent-e-s devant l’ambassade, à la tête ahurie du gendarme qui ne savait pas s’il devait sourire ou faire le sévère devant cette drôle de bande des vingt-huit, et aux images que j’ai vues de la manifestation parisienne. Et en me rappelant que flûte, je n’ai pas fait mon travail pour demain. Brusque retour à la réalité, alors que j’ai passé mon après-midi à la défendre. Mais aujourd’hui, j’ai été citoyenne. Et aussi ridicule cela puisse paraître, j’ai été sacrément fière de l’être.
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