Au tout début du XVIème siècle, les Européens parcourent le monde et atteignent les côtes mexicaines, ravageant les cultures et envahissant les villages. Pendant ce temps, Malinali Tenepal naît dans la région de Veracruz, au sud du Mexique (on estime sa naissance entre 1501 et 1505).
Ses parents sont de riches aztèques. Oui, ça existe. Il n’y a pas que des paysans, il y a aussi ceux qui développent le commerce. Ils lui donnent une très bonne éducation et vivent très correctement. Malheureusement, alors qu’elle n’est qu’une enfant, Malinali Tenepal va perdre son père (et hériter d’une grosse fortune — genre, VRAIMENT GROSSE) et sa mère va se remarier. C’est le début d’une autre vie.
Représentation de Malinali par Rosario Maquardt
Lorsque la mère de Malinali donne naissance à un petit garçon, son nouvel époux décide que la petite fille doit disparaître.
— Dis-moi chérie, maintenant que el chiquito nino est né, on ne va quand même pas s’encombrer de ta chiquita orpheline. En plus on va récupérer le pactole que lui a laissé ton ex. — Ok, bébé, business is business. — Ça veut dire quoi business Maman ? — Ca veut dire que je vais me faire de l’argent sur ton dos ma chiquita.
(Je vous ai déjà dit que mon rêve c’est d’être dialoguiste pour Scènes de Ménage ?) (Bien sûr les mots en espagnol n’ont pas leur place ici, vu que la langue parlée entre les protagonistes est la langue aztèque.) (Laissez-moi, c’est mon article.)
Bref, ça ne sent pas bon pour Malinali. À quelques siècles près, les parents auraient pu décider de la planquer dans un coffre de voiture et tout le monde n’y aurait vu que du feu. Mais au XVIème siècle, les voitures n’existaient pas.
La petite est vendue à des commerçants mayas et dans le village on fait croire qu’elle est décédée, sans bruit et sans souffrance. Malinali est jolie et bien éduquée. Achetée à prix moindre à ses parents, elle est revendue à prix d’or à des habitants de l’État de Tabasco (celui qui pique). Enfin, elle se retrouve entre les mains d’un riche seigneur. Elle va tisser et coudre toute la journée en écoutant les autres femmes parler. Ainsi, elle va développer un certain don pour les langues.
À la base, elle parle la langue aztèque, le nahuatl, maintenant elle comprend le maya. En attendant on la fait passer de mains en mains, et c’est pas rigolo. Et puis un jour, Hernan Cortés, à la tête de 600 conquistadores espagnols, attaque la ville de Potonchan pour mettre en esclavage tout le monde, les convertir au catholicisme et piquer leurs ressources. Beau programme.
Les Mayas se rebellent, ils se battent mais ce n’est pas suffisant pour calmer les Espagnols, alors en cadeau de paix, ils offrent 20 jeunes filles. Malinali en fait partie…
Détail de l’œuvre de Jose Clemente Orozco représentant Cortés et Malinali
Elle est jolie (on peut imaginer un mélange entre Eva Mendes, Shakira et Frida Kahlo), se fait appeler Marina et ne rechigne pas à être baptisée. Faut dire qu’elle a de quoi être déçue de ses dieux.
Les Espagnols décident d’en faire une prostituée courtisane. Tombé sous son charme, Cortés l’offre à un de ses amis, Hernandez Portocarrero. Visiblement, il est plus porté sur le vin que sur la chair de jeune fille. C’est déjà ça de gagné !
Marina accompagne Hernandez partout, même lorsqu’il se joint à Cortés pour envahir les villes. Un jour, lors des négociations, l’interprète espagnol-maya ne comprend rien à ce que racontent les Aztèques. La tension monte, genre monte vraiment, Cortés veut tous les écraser. Malinali se porte volontaire pour traduire, par contre elle parle pas trop trop espagnol. Du coup elle traduit le nahuatl en maya, et le traducteur le maya en espagnol.
— Meejrjghmz kqjgrh ekqjmgrbkejqgg* (Aztèque) — Jmhgsm egu hùoe ghsù lkhg kjhgùohrreg** (Maya) — La chica dice que el chico dice que la población no está de acuerdo con tu proposición LA MADRE QUE TE PARIO***.
*Malheureusement je ne parle pas le nahuatl ** Malheureusement je ne parle pas non plus le maya. ***Il semblerait que « la madre que te pario » soit la version hispanique de « fils de pute ». J’ai appris ça à l’école.
C’est un peu le téléphone arabe mais les enjeux sont gros. Elle va vite apprendre l’espagnol.
Malinali passe de riche, à esclave, à courtisane, à interprète et secrétaire. L’ascenseur social n’a plus de limites, n’en déplaise à Bourdieu.
Le Mexique n’existe pas en tant qu’État, c’était plusieurs royaumes (dont beaucoup qui détestaient les Aztèques avant ça, et qui ont une raison de plus de le faire). Alors qu’ils ont jusque-là maltraitée Malinali, les Mexicains vont carrément la dénigrer, la détester. Elle est complice des méchants Espagnols.
Cortés ne peut plus se passer de l’aide de Malinali, alors il demande à son ami Hernandez de la lui rendre, ce qu’il fait sans même y avoir « goûté ». Cortés la met dans son lit, et sur le terrain aussi. En 1519, il a peu d’hommes, et à la place de les envoyer au front, il passe d’abord des négociations à l’aide de sa Doña Marina.
Lorsque Cortés veut mettre sous le joug espagnol les indiens Tlaxcalas, il leur met un coup de pression (il en tue quelques-uns) et puis il demande qui veut se joindre à lui pour aller casser de l’Aztèque. Avec l’aide de Malinali, ils acceptent. Cortés a maintenant une armée pour envahir la ville aztèque de Tenochtitlan.
Les guerriers vont passer par la ville aztèque de Cholulas sans tuer personne, ils sont très bien accueillis, sauf les guerriers Tlaxcalas : eux n’ont pas le droit de rentrer dans la ville (c’est moche la rancœur). Par contre, petit problème : les habitants pensent que Malinali est une esclave et montent un plan diabolique pour la faire s’évader, mais la jolie interprète les balance. Il y a un sérieux massacre, les conséquences sont effroyables pour les Cholulas, genre il y a eu au moins 3000 morts.
À Tenochtitlan, ils sont terrifiés à l’idée de se faire écraser : Cortés a plus de 6000 indiens dans ses rangs. Du coup, face à l’empereur Montezuma II, le coup d’état se fait tranquillement. Sans pression, sans bousculade. On laisse passer les Espagnols, mais dans la ville ça pue la viande.
— Mais mec, c’est quoi cette odeur de grillé ? — T’es con ou quoi ? C’est les sacrifices humains. — Les quoi ? — Les sacrifices humains. On prend des mecs vivants et on les pend par les pieds dans les brasiers. Après ils sont morts et ça sent un peu le bacon, mais on m’a dit que c’était indispensable. Genre ça rend les dieux contents. — Ce sont vraiment des tocards ces Indiens, putain.
Cortés pense d’ailleurs que les sacrifices aux dieux aztèques sont en fait un culte au diable, et veut les faire interdire. Et ça, ça ne plaît pas à Montezuma II. On est à deux doigts de la grosse guerre bien sanglante. Cortès fait assigner l’empereur à résidence, alors le peuple pète un plomb, il y a du feu, des jets de pierres (aucune source ne fait référence à des bonnets rouges) contre Cortés, mais c’est Montezuma qui est blessé. C’est quand même pas des génies les indigènes.
Montezuma décède de ses blessures. Les Espagnols étant en infériorité numérique, ils fuient pendant la nuit, craignant la vengeance du peuple. Mais les chevaux et les armures c’est pas super discret dans un cortège de milliers de personnes. Du coup, certains Espagnols, dans la précipitation, ont voulu traverser un lac et se sont noyés dans leurs armures (eux non plus ce sont pas des génies) ; d’autres ont été capturés et ont fini dans le brasier en sacrifice.
Le peuple aztèque est victorieux, il a chassé les méchants conquistadores. Hélas, la victoire est de courte de durée : la variole va ravager la ville. C’est con. Maintenant ça ne sent plus le grillé mais le corps pourri.
En 1521, Cortés et son armée retournent à Tenochtitlan et décident de mettre le feu à la ville pour tuer tout le monde… donc sans le savoir ils vont éradiquer la maladie. C’est pas mal, mais du coup, il ne reste pas grand-monde de vivant. Pendant ce temps, Marina accouche d’un petit garçon, Martin. Fils de Cortés, il est officiellement le premier mélange entre du sang espagnol et indien. Tout le monde rentre en Espagne.
— Chéri, c’est comment ton pays ? — C’est super, tu vas goûter la paella et la sangria. Par contre, faut que je te dise un truc… la semaine prochaine tu seras mariée à Juan Jaramillo. — Mais chéri, mais, te quiero mucho… — J’ai plus besoin de toi en Espagne, je sais parler espagnol. À plus, on se voit dans quinze jours dans le bateau ! — Oh non, on m’a encore utilisée…
Malinali par Diego Rivera
Avant de partir pour l’Espagne, Malinali a demandé à être conduite auprès de sa famille. On peut aisément imaginer que c’était pour y lancer plein d’insultes en plein de langues différentes. La mère et le demi-frère étaient terrifiés à l’idée de sa venue, ils pensaient être assassinés pour l’avoir vendue.
Mais Malinali, âgée d’une vingtaine d’années et maman d’un petit Cortés, estime avoir vu trop de sang dans sa vie et décide de n’agir que pour le bien, aussi elle accueille sa famille avec des présents et leur pardonne tout (trop bonne trop conne ?).
Finalement, après son mariage et son arrivée en Espagne, il ne reste aucune trace de Marina dans les archives. Difficile, pour les mâles européens, d’assumer avoir eu recours à une femme — indigène en plus — pour conquérir des villes. Elle a accouché d’une petite fille, Maria, et il est possible qu’elle soit morte de la peste à l’âge de 26 ans. On ne sait pas trop.
Son existence ne cesse d’alimenter les mythes et légendes autour des indigènes et des hommes blancs (ces derniers lui ayant fait une réputation de salope en plus de ça). Elle a longtemps été surnommée La Malinche, « la femme capitaine ».
NB : On me signale que les dialogues présents dans cet article seraient pure fiction.
Les Commentaires
Ben là où j'habite, on m'a dit le contraire : "indio" est raciste, et "indigeno" est correct. A moins que selon la région d'origine, ça puisse s'intervertir, je sais pas.