On s’emmerde sec, en 2020-2021, pas vrai ? Une fois qu’on a bâti la plus belle île sur Animal Crossing: New Horizons, fini notre premier puzzle depuis la fin de la primaire et accepté qu’on n’aura jamais la patience de se mettre à la broderie, on se fait sacrément chier.
Certains mettront cet ennui à profit pour nettoyer leur carrelage à la brosse à dents ou trier leurs chaussettes dépareillées, d’autres ont des occupations plus originales. Comme les masculinistes et autres pick-up artists, qui ont décidé en 2020 d’inventer un nouveau genre de mecs. Tranquille.
Après le « mâle alpha », le « mâle sigma »
Peut-être avez-vous la chance de ne pas être au courant des délires perpétués par les pick-up artists, ces « experts en séduction » autoproclamés qui jouent sur le mal-être de certains hommes pour leur faire ingérer une vision très genrée et misogyne de la société.
Dans ces sphères circule depuis longtemps le concept du « mâle alpha », un type d’homme qui aurait une personnalité de leader, choperait toutes les meufs et se situerait en haut de la pyramide sociale. La théorie du « mâle alpha » a pourtant été réfutée par son auteur lui-même, un scientifique ayant étudié les loups en captivité dans les années 1940 ; largement débunkée depuis, cette idée reçue perdure pourtant dans certains coins d’Internet.
Figurez-vous que les meutes de loups sauvages fonctionnent plutôt avec un duo mâle-femelle à leur tête, mais comme ça n’arrange pas les mascus, ils ont décidé d’ignorer ce fait pour se concentrer sur leurs fantasmes humides de domination masculine.
Et voilà que débarque le « mâle sigma », souvent représenté dans les sphères des youtubeurs chelou sous les traits de John Wick, assassin implacable incarné au cinéma par l’adorable Keanu Reeves.
Qui est le mâle sigma ?
Un article très clairement traduit par Google Translate énumère pas moins de 17 (!) caractéristiques du mâle sigma, mais on n’a pas ce temps, donc voici les grandes lignes de ce profil psychologique très professionnel (non) :
- Le mâle sigma est un rebelle qui remet en question les normes sociétales (alias le bad boy qui fume des roulées et dont le film préféré est Fight Club)
- Le mâle sigma ne s’intéresse ni à la mode ni à la pop culture (ça veut dire qu’il méprise ce que les « moutons » apprécient, mais n’a pas compris que Rick and Morty aussi c’est de la pop culture)
- Le mâle sigma peut être moqué ou ostracisé car il n’est pas comme les autres, mais tenez-vous bien, il s’en fout parce qu’il n’a pas besoin d’être aimé (pas comme nous autres, faibles personnes)
- Et le plus important : le mâle sigma POURRAIT être un mâle alpha mais CHOISIT de ne pas l’être.
Aaaaah ! Que c’est pratique ! Ainsi, les mecs qui n’arrivent pas à se sentir « alpha » (populaires, charismatiques, séducteurs, influents) ont une nouvelle excuse. Ils sont des « sigma », les bad boys, les outsiders qui posent un regard condescendant sur tous les autres esclaves de la société.
Quant à savoir pourquoi John Wick, qui sue du charisme par tous les pores, a été choisi pour illustrer cette invention… Écoutez, on sait depuis longtemps que la compréhension des symboles culturels par les mascus laisse à désirer — rappelons qu’ils ont basé pas mal de leur rhétorique sur la « pilule rouge », issue de Matrix, sans comprendre que le film est une métaphore de la transidentité. Peut-être espèrent-ils rallier enfin Keanu Reeves à leur cause, qui sait ?
Le « mâle sigma », nouvelle œillère des masculinistes
La théorie du « mâle sigma » circule depuis plusieurs mois dans les sphères masculinistes (cf. ce post Medium de septembre 2020) mais n’a atteint le grand public que lorsqu’elle a été moquée sur Twitter.
Qu’est-ce qui se putain de passe avec les hommes ?
Un peu comme les complotistes, les masculinistes s’échinent à faire correspondre le monde à la vision qu’ils en ont — au lieu de remettre en question leur vision face à la réalité.
Personne n’a envie d’être un « mâle beta », « delta » ou « gamma », ces sous-genres d’hommes qui ne rencontrent pas le succès car ils ne sont pas assez virils ; mais au lieu de se dire qu’il est peut-être totalement con de catégoriser les mecs ainsi, la « solution » a été de créer une nouvelle catégorie où ranger ceux qui veulent se persuader qu’ils valent autant que les « alpha », même s’ils n’ont pas bâti une vie épanouissante.
C’est très pratique : vous perdez des amis à force de leur rebattre les oreilles avec vos théories foireuses ? Vous n’avez pas de meuf car bizarrement, les délires mascus ne sont pas très attirants ? Vous avez du mal à nouer des liens sincères ? Ce n’est pas parce que les concepts masculinistes ont fait de vous quelqu’un d’infréquentable : c’est parce que vous êtes un « mâle sigma » !
Et comme l’a noté l’internaute ci-dessous, c’est particulièrement cocasse de voir les mascus s’échiner à inventer de nouvelles façons d’être un homme, alors qu’ils reprochent souvent aux communautés LGBTQ+ de façonner des identités sorties de nulle part.
« Les gens cis-hétéro chelou : “Ils n’arrêtent pas d’inventer de nouveaux genres !”
Aussi les gens cis-hétéro chelou : “En plus de la dynamique alpha/bêta classique, nous avons déterminé les mâles omega, delta et gamma, et nous pensons avoir identifié un nouveau type : le mâle sigma. »
Encore une fois, les masculinistes sont si proches de s’attaquer au vrai problème : la construction de la masculinité et ses codes qui enferment les hommes dans des cases aussi rigides que dangereuses. Sauf qu’au lieu d’interroger les normes de genre, ils en recréent, encore et encore, cherchant un sentiment de sécurité et d’appartenance.
Ça pourrait être aussi futile que de connaître son signe astrologique ou sa maison de Poudlard, mais c’est bien plus sérieux : derrière ces délires, il y a toute une mécanique qui vise, rassemble et exploite des hommes en souffrance, leur inoculant une vision du monde haineuse et sexiste.
Alors si un proche commence à vous parler de sigma et d’alpha, et qu’il n’est pas en train de réviser son alphabet grec, prenez ça comme un signal d’alarme : il y a fort à parier qu’il traîne dans de drôles de coins d’Internet…
À lire aussi : Comment devenir un mâle alpha, un vrai ?
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
J'en ai connu des comme ça.....quand j'avais 14 ans. Je les appelle les " c'est pas une phase c'est qui est-ce que j'suis vraiment" ( si t'as la ref tu es une belle personne)
C'est triste, pathétique, révoltant. Je leur souhaite sincèrement de se sortir ces idées de merde de la tête mais m'est avis qu'on pourra pas sauver tout le monde.