La semaine dernière, un jeune homme de 26 ans a abattu plus d’une dizaine de personnes sur un campus universitaire dans l’Oregon, aux États-Unis. Le tueur, Chris Harper-Mercer, a fini par se suicider. L’enquête, toujours en cours, visera à comprendre ses motivations mais aussi à déterminer s’il souffrait ou non de troubles mentaux.
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Le président Obama a livré un émouvant discours, plein d’une rage froide devant ce qui est devenu une ignoble « routine ».
Bien souvent, aux États-Unis, quand une tuerie survient, les politiques et les personnalités médiatiques alertent sur l’urgence entourant les maladies mentales, très mal identifiées, considérées et traitées. Mais ne serait-ce pas un écran de fumée destiné à éviter le vrai sujet, celui des armes à feu et des lois entourant leur possession ?
C’est l’avis de John Oliver, qui a consacré son dernier Last Week Tonight à la question de la santé mentale et à la façon dont on parle de ce sujet aux États-Unis. Comme d’habitude, je vous ai traduit l’intégralité de son émission : onze minutes salvatrices dans le paysage télévisuel.
La santé mentale vue par John Oliver (traduction intégrale)
Les maladies mentales, ce truc que les acteurs font semblant d’avoir quand ils veulent décrocher un Oscar. Dans la vraie vie, la santé mentale peut être un sujet délicat, dont les gens n’aiment pas trop parler. Et comme ce psychiatre l’explique, même quand on en parle, on ne le fait pas bien.
Les mots sont importants
« La stigmatisation est toujours un problème grave, qui se révèle dans les façons dont nous imaginons et parlons des personnes souffrant de maladies mentales, dans les termes, les mots utilisés pour les décrire, comme par exemple « taré•e », « psycho », « toc-toc »… »
Entendre un quinquagénaire barbu utiliser le terme « toc-toc » peut avoir tué ce terme pour toujours. C’est comme quand votre mère dit que quelque chose est « dar » : c’est fini, le mot est mort. Mais à part ça, il a totalement raison ! C’est horrible de parler d’une personne souffrant de maladie mentale en disant qu’elle est « toc-toc ».
Nous ne parlons pas bien des maladies mentales. Même des personnalités médiatiques ayant le terme « Docteur » dans leur intitulé peuvent dire des choses affreusement erronées.
— Dans le prochain épisode de Dr Oz, tout le monde se demande : « Suis-je normal•e ou taré•e ? » ! — Est-ce que vous avez perdu l’esprit ? Vous êtes devenue folle ? Parce que les gens fous sortent de chez eux pour lécher des cailloux et hurler à la lune. (Dr Phil)
C’est quoi ton foutu problème ?! Lécher un caillou et hurler à la lune ne veut pas dire qu’on a une maladie mentale, ça veut dire qu’on est un loup avec une déficience en fer. Tu penses à des loups anémiques, Dr Phil, tu confonds tout.
Parler des maladies mentales pour éviter d’autres sujets
Peut-être que la chose qui montre le plus clairement qu’on ne veut pas parler de santé mentale, c’est qu’on en parle seulement, comme on l’a encore vu cette semaine, après une tuerie de masse, afin d’éloigner le dialogue de la question des lois autour des armes à feu.
— Ce n’est pas un problème lié aux armes à feu, mais aux maladies mentales (Donald Trump) — Bien des tueries comme celles-ci sont commises par des gens souffrant de troubles mentaux. (Dr Ben Carson) — Doit-on améliorer notre façon de soigner les pathologies mentales ? Évidemment. (Mike Huckabee)
Rien de mieux, visiblement, qu’une tuerie de masse pour générer un intérêt soudain pour la santé mentale
Rien de mieux, visiblement, qu’une tuerie de masse pour générer un intérêt soudain pour la santé mentale de la part des politiques. Notons cependant que l’État dont Huckabee est le gouverneur a reçu un D- niveau soins des pathologies mentales, pendant qu’il occupait ses fonctions. On ne peut pas donner des leçons aux gens sur un sujet pour lequel on a reçu un D-, ce serait comme faire un discours sur la grammaire en disant « Faut mieux pensé à comment on fé les mots, faut qu’on l’fait » !
Les personnes souffrant de maladies mentales, plus souvent victimes que coupables
Parler de santé mentale juste après une tuerie de masse, c’est peut-être bien le pire timing du monde. Parce que, pour info, « l’écrasante majorité des personnes souffrant de troubles mentaux ne se montrent pas violentes » et « l’écrasante majorité des crimes commis avec une arme à feu ne le sont pas par des personnes souffrant de troubles mentaux ». À vrai dire, « les adultes souffrant de troubles mentaux ont plus de chances d’être victimes de violences que d’en perpétrer » !
Alors parler de santé mentale uniquement quand une tuerie de masse vient d’arriver, ça envoie un très mauvais message. C’est comme si on ne parlait de Coca-Cola que dans ce contexte :
https://youtu.be/yJoocpy7UBc
Bill Cosby est la cible de très nombreuses accusations de viol, NDLR
Bien sûr que cette publicité est réelle et qu’elle est signée Coca-Cola, mais la plupart des canettes de Coca ne sont pas celles que tient Bill Cosby, et il serait un poil injuste de penser à lui à chaque fois qu’on évoque le Coca-Cola.
Mais s’il n’y a que maintenant qu’on peut parler de santé mentale, alors peut-être devrions-nous en parler. Parce qu’en 2013, «
on estimait à 43,8 millions le nombre d’adultes touché•e•s par une maladie mentale aux États-Unis », et « environ 10 millions avaient souffert d’une maladie mentale pendant l’année précédente ». Dix millions ! C’est quasiment le nombre de gens qui vivent en Grèce ! Et la plupart d’entre nous en savent plus sur la Grèce que sur les maladies mentales. Facile, je sais au moins trois trucs :
- Son économie s’effondre
- Le compositeur Yanni est originaire de là-bas
- Le yaourt grec a l’air d’être fabriqué dans une ville où il est illégal de danser
Le problème des centres de soins aux États-Unis
Quand on s’intéresse à la façon dont notre société traite les maladies mentales, on se rend tout de suite compte que c’est le bordel… et que ça l’a toujours été. Auparavant, on enfermait les malades dans des asiles souvent dans un état si déplorable qu’on les surnommait les « trous à serpents » (ce qui n’a pas l’air d’être un endroit cool où vivre, même quand on est un serpent : je préfèrerais un loft à serpent, ou un bungalow à serpent, un truc du genre). Puis, dans les années 50, le président Kennedy a signé un amendement visant à fermer le plus d’asiles possible.
« Selon cet amendement, les institutions médicalisées vont être remplacées par des centres de soin. En une ou deux décennies, il devrait être possible de réduire le nombre des patient•e•s admis•es pour troubles mentaux de moitié. »
C’était pas une mauvaise idée ! Quand on est face à une horrible institution faisant subir des choses innommables aux gens, la bonne chose à faire c’est de la fermer. Mais avant de devenir tout fiérots à l’idée qu’on a clos ces « trous à serpents », il faut que vous sachiez qu’on a jamais fait le reste du boulot en accordant assez de fonds aux centres de soin promis par Kennedy.
Près de 125 000 adultes américains souffrant de sérieuses maladies mentales vivent dans des maisons de retraite
Tou•te•s ces patient•e•s ont bien dû aller ailleurs, et ont parfois atterri dans d’affreux endroits. Par exemple, il y a quelques années, il a été estimé que « près de 125 000 adultes américains souffrant de sérieuses maladies mentales vivent dans des maisons de retraite ». Foutre un•e jeune en compagnie de vieilles personnes et espérer que ça se passe bien, c’est pas une SUPER idée. Ce serait comme embaucher Taylor Lautner pour Indian Palace 2 : insoutenable pour TOUTES les personnes concernées !
Certains États ont pratiqué ce qu’on appelle la « thérapie Greyhound », ce qui n’implique malheureusement aucun chien immense composé à 90% d’os, mais pire encore : les Greyhound avec quatre roues et un WC défectueux [une très grande compagnie de cars sillonnant les États-Unis, NDLR].
« Nous sommes dans le seul centre de soins psychiatriques public du Nevada, dont l’équipe a été accusée de pratiquer la « thérapie Greyhound », considérée comme innommable. Elle fonctionne ainsi : on libère plus tôt que prévu des patient•e•s dont la condition est très grave, et on leur fournit un aller simple, en bus, hors de la ville. »
Désolé mais il n’est pas possible, quand on veut se débarrasser de quelqu’un, de juste le/la foutre dans un bus pour une autre ville. Sinon c’est comme ça que fonctionneraient toutes les ruptures ! « Désolé Greta, c’est pas toi, c’est moi, mais cela dit je pense que tu vas vraiment kiffer ta nouvelle vie à Clermont-Ferrand » !
La prison, trop souvent un passage obligé pour les malades
Et on en est pas encore à l’endroit le plus déprimant où finissent les personnes souffrant de maladies mentales.
« Deux millions de gens souffrant de troubles mentaux vont en prison chaque année. Ce qui veut dire qu’on en trouve dix fois plus derrière les barreaux que dans des centres de soins publics. »
C’est… horrible ! Dire que le meilleur endroit où recevoir des soins psychiatriques est en prison c’est comme dire que le meilleur outil d’éducation sexuelle est une chanson de Lil Wayne ! « Non, Darren, tu ne peux pas « la lever, gifler et retourner comme une spatule », où as-tu appris ces conneries ?! Ça veut dire quoi la retourner comme une spatule ? Tu aimerais que je fasse ça à ta mère ?! Non je ne crois pas ! ».
https://youtu.be/N_cCtq2rJxQ
Soigner les personnes souffrant de maladies mentales via le système judiciaire, ce n’est pas seulement inefficace : c’est très coûteux. Et dangereux. Parce que souvent, quand quelqu’un souffre d’une urgence psychiatrique, on appelle la police, et l’issue peut être tragique. Une statistique impressionnante nous dit que « la moitié, au moins, des personnes tuées par balles par la police chaque année ont des problèmes mentaux »…
À leur décharge, certains services de police changent leur façon de procéder, parfois en créant des unités spéciales comme celle-ci.
« Ces officiers sont des experts en ce qu’on appelle l’entraînement à une intervention en situation de crise.
— Dirais-tu que tu ne veux pas vraiment mourir, tu veux juste arrêter de souffrir ? — Oui. — D’accord. Voudrais-tu qu’on t’aide ? — Oui.
Cette femme accepte leur aide.
— On va y aller ensemble, tu viens avec nous, dans une voiture banalisée.
Tout cela fait partie d’un programme-pionnier qui aide les personnes souffrant de maladies mentales.
C’est très très bien, mais dire qu’il s’agit d’un « programme-pionnier »… ça brise un peu le cœur. Les choses « pionnières » ne devraient pas être des trucs évidents qu’on aurait toujours dû faire, mais des idées révolutionnaires qui repoussent les limites du possible, comme un drap-housse facile à plier, ou des airbags en marshmallow, ou une poupée gonflable qui n’aurait pas un regard méprisant !
Malheureusement, « 15% des forces de l’ordre ont adopté ce programme ». Il est généralement basé sur le volontariat, mais comment est-ce qu’un élément aussi important du job peut être basé sur le volontariat ?! Pensez à la mascotte d’une équipe de foot : on ne laisse pas la personne choisir de porter ou non son costume, car sinon ça peut devenir très moche très vite ! Elle en a besoin pour faire son boulot correctement !
L’inextricable bazar des soins
C’est un BORDEL.
Ce ne sont que quelques exemples. Notre système tout entier a besoin d’une révision complète. Ça ne va pas être facile : le soin des maladies mentales se fait via Medicaid (qui change selon les États), les agences de santé fédérales (qui gèrent plus de 100 programmes différents autour de la santé mentale), ET les centres de sécurité sociale de chaque État ! C’est un BORDEL. Enfin, au moins dans un bordel on passe parfois un bon moment, là c’est genre un plan cul nul.
Bien sûr, certains programmes fonctionnent ! En voici un : le traitement communautaire via l’affirmation. Il aide les personnes souffrant de maladies mentales à rester intégrées dans la communauté, en procurant de l’aide, y compris à la maison ou au travail. Écoutez donc cette employée expliquer comment ça fonctionne.
« Être en bonne santé mentale, ça ne passe pas seulement par une visite chez le psy, ça passe parfois dans l’admission au sein de certains endroits ou la fiche de paie qui arrive à temps. Alors plutôt que de rencontrer la personne une fois ou deux par mois pour parler de comment elle va, ce qu’elle ressent, on met tout en œuvre pour lui permettre de continuer à vivre de façon indépendante au sein de sa communauté. »
C’est… génial ! Tout ça semble être une option bien meilleure que celles qu’on a testées, à savoir :
- Rien faire
- Ne rien foutre
- Pas faire grand-chose
- Essayer à peine
- La case prison
Pourtant, dans bien des États, ces programmes sont en danger à cause de raisons diverses allant des coupes budgétaires à des problèmes financiers au sein de Medicaid, même si selon une étude, ils « paient pour eux-mêmes », ce qui est formidable. Les programmes d’État qui paient pour eux-mêmes, tout comme les élèves de première année à la fac capables de faire de même, c’est un foutu miracle !
« On leur doit bien ça »
Et ce n’est qu’un exemple, de nombreux autres programmes existent. C’est à nous, en tant que société, de trouver des moyens de les financer ; pas seulement parce que c’est fiscalement la chose à faire, mais parce qu’ils sauvent des vies. Et si je me souviens bien, certain•e•s politicien•ne•s clament partout que c’est quelque chose qui leur tient à cœur.
— Ce n’est pas un problème lié aux armes à feu, mais aux maladies mentales (Donald Trump) — Bien des tueries comme celles-ci sont commises par des gens souffrant de troubles mentaux. (Dr Ben Carson) — Doit-on améliorer notre façon de soigner les pathologies mentales ? Évidemment. (Mike Huckabee)
Eh ben faites-le, alors ! Parce que quitte à continuer d’utiliser les personnes souffrant de troubles mentaux comme des boucliers pour éviter de parler régulation des armes à feu, la moindre des choses serait de mettre en place un putain de plan pour elles.
La santé mentale en France
John Oliver a raison, impossible de le nier. Négliger les personnes souffrant de maladies mentales, rendre l’accès aux soins compliqué voire impossible, aboutit à des issues tragiques comme la prison ou le face-à-face avec des officiers de police armés. Une société digne de ce nom se doit d’aider tou•te•s ses membres, y compris les gens touchés par le handicap et la maladie, qu’elle soit physique ou mentale.
Selon le site gouvernemental dédié à la santé et à la protection sociale, en France :
« En 2008, parmi les 600 établissements de santé assurant une prise en charge hospitalière en psychiatrie, près de la moitié sont des établissements publics. […] L’autre moitié se répartit à parts égales entre les établissements privés à but non lucratif et les cliniques privées, ces dernières ayant essentiellement une activité d’hospitalisation à temps plein. »
Comme nous l’apprend le PDF récapitulant cette étude, tous les lieux ne sont pas à égalité quand il s’agit de soins. Selon l’endroit où on se trouve en France, la densité de places à temps complets mais aussi de psychiatres libéraux peut varier du simple au double…
Parlons chiffres à présent : selon PsyCom…
« La prise en charge des pathologies mentales est financée à…
- 41% par l’État
- 38% par l’Assurance Maladie
- 18% par les conseils généraux
- 2% par les ménages
- 1% par la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie) »
L’État joue donc un rôle essentiel dans le financement des soins traitant les pathologies mentales et les personnes qui en souffrent. Mieux traiter les maladies psychiques permet en plus de faire des économies, car elles coûtent de l’argent, à la fois via les congés maladie et les indemnités versées aux gens concernés.
Les pathologies sont parfois tournées en dérision
Au-delà des considérations pratiques, certains problèmes évoqués par John Oliver se retrouvent de notre côté de l’Atlantique, notamment au niveau de la façon dont on parle des maladies mentales. Il est fréquent d’entendre les gens utiliser « taré•e », « psycho », « schizo » comme des insultes. D’un autre côté, les pathologies sont parfois tournées en dérision — changer souvent d’avis, ce n’est pas être bipolaire, et aimer avoir un bureau bien rangé, ce n’est pas souffrir d’un TOC.
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Tou•te•s ensemble, nous pouvons faire bouger les choses. Informez-vous sur les maladies mentales, ne croyez pas les films et séries qui associent trop souvent une pathologie à un comportement violent, écoutez les témoignages des personnes concernées, ne jugez pas les membres de votre entourage s’ils vous confient être diagnostiqué•e schizophrène, bipolaire ou autre. On a peut-être moins de tueries qu’aux États-Unis, mais nous aussi, « on leur doit bien ça ».
Les Commentaires
"Je ne peux pas continuer à conduire mon fils handicapé (atteint du syndrome de Gilles de la Tourette et d'hyperactivité) à plus de 100 km de chez moi pour qu'il poursuive sa scolarité, d'autant que je suis, en plus, obligée de l'attendre devant le lycée toute la journée pour limiter les frais de carburant, délaissant ainsi mes quatre autres enfants et mon travail au domicile d'une personne handicapée. Tout ceci à cause de son lycée de proximité qui a tout fait pour évincer mon fils, ne voulant pas admettre son handicap."
Ce combat me touche car ça me rappelle étrangement ma situation au collège quand j'avais 13 ans, rien que la phrase de la mère "ce lycée n'a pas voulu avoir ne serait-ce qu'un soupçon de compréhension" me parle tellement! Je trouve ça encore plus scandaleux maintenant que les pathologies psy sont plus connues, qu'il y a internet et tout. Ce jeune est reconnu par la MDPH c'est tout simplement inadmissible de mettre autant de bâtons dans les roues à sa mère et de risquer de le déscolariser (et je sais à quel point il est dur de se "rescolariser" ensuite...)
Merci!